Guillaume Vande Ghinste, un grimpeur dans la ville

Échappée
le 26 Déc 2022
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Le jeune Belge a écrit un livre où il recense plus de 300 voies d'escalade dans le centre-ville de Marseille. Premier topo de grimpe urbaine, il promeut l'appropriation de l'espace public par la pratique de cette discipline artistique et sportive.

Guillaume Vande Ghinste est installé depuis cinq ans à Marseille. Photo : Emilio Guzman
Guillaume Vande Ghinste est installé depuis cinq ans à Marseille. Photo : Emilio Guzman

Guillaume Vande Ghinste est installé depuis cinq ans à Marseille. Photo : Emilio Guzman

Dos à la Bonne mère, Guillaume, Oscar et Ludovic s’agrippent tour à tour à l’une des parois de l’esplanade de la Tourette (2e), en contrebas de l’église Saint-Laurent. Ils se sont retrouvés pour une session de bloc urbain, un type d’escalade de faible hauteur oscillant entre performance sportive et artistique. “Tac…. tac… là, il y a un passage sans pieds“, pense à voix haute Oscar, barbe brune et bonnet noir sur la tête, avant de se lancer une troisième fois sur le mur. Derrière lui, Ludovic place ses mains pour faire parade en cas de chute.

Les trois amis se sont échauffés en amont sur un mur voisin où les prises sont plus faciles et se sont équipés de strap. Ces bandes adhésives placées autour des phalanges trahissent les grimpeurs mais les empêchent de se “faire une poulie“, blessure classique des doigts. Entre leurs tentatives d’atteindre le haut du mur, ils feuillettent le livre Grimpe urbaine à Marseille. Topo de bloc urbain, écrit par l’un d’entre eux, Guillaume Vande Ghinste, et sorti en avril 2022.

Publié aux Éditions des crêtes, basées à Marseille, ce topo – le nom donné aux guides de voies d’escalade – recense 300 lignes dans les huit premiers arrondissements de la ville. “Le livre aurait été trop gros pour faire toute la ville. J’espère avoir donné l’élan pour faire dans les huit autres !“, songe l’auteur. Ponctué de dessins et de photographies, l’ouvrage est le premier du genre en France. D’ordinaire, ces guides sont réalisés pour les voies naturelles en falaise. Les 200 pages de l’ouvrage, au-delà de plaire aux aficionados de la grimpe, traduisent une volonté de transmettre un amour de la ville et de l’appropriation de l’espace public. “Je commence à avoir des retours de personnes que je ne connais pas qui me disent qu’elles ont essayé certains blocs, c’est cool !”, confie-t-il humblement.

Deux ans de collecte de données

Sur les façades du Panier, du tunnel National, ou même sur le pouce du musée d’art contemporain, il a tracé des lignes fictives. Elles représentent les voies à emprunter pour gravir les constructions. Certaines sont encore en projet : personne n’a encore réussi à “ouvrir” la voie, comprendre : grimper jusqu’en haut. “J’ai observé et repéré des prises et je me dis que pour des gens très forts, ce serait faisable”, sourit l’auteur. Pour cet ouvrage, il a traqué deux ans durant les moindres petites crevasses où caler phalanges et orteils. “Au parc Puget, des petits tuyaux de canalisation laissent la place pour y glisser un doigt seulement et ça rend le bloc difficile !“, explique avec passion le jeune homme.

Pour déterminer la cotation des voies, soit le niveau de difficulté classé par numéro et lettre, plusieurs de ses amis ont grimpé afin de trouver un consensus. “Ils m’ont aussi aidé à choisir les noms des voies. Pour certaines, tu vois qu’on n’a pas réfléchi longtemps“, sourit Guillaume. L’une d’elle, baptisée “RIP petits doigts“, impose de n’utiliser que les prises verticales.

Venu de Belgique

Grand et fin, cheveux châtains en coupe mulet, anneau argenté au nez, Guillaume est avenant et curieux. Né en Belgique, il habite Marseille depuis cinq ans. “Bruxelles, Paris, Marseille, Berlin, c’est un peu l’autoroute“, s’amuse le trentenaire qui voit l’attraction grandissante pour ces villes comme une mode. À Bruxelles, il s’adonne au parkour – discipline qui consiste à réaliser des acrobaties pour franchir des obstacles urbains – avant de rejoindre le Sud de la France et de se plonger dans le “bloc”. Au cours des deux dernières années, il a travaillé à l’écriture de son livre et a réduit ses dépenses au maximum pour vivre. Il habitait alors dans un squat du centre-ville. Aujourd’hui, il vit aux Chutes-Lavie et est employé au mur de Luminy (9e), une salle d’escalade “familiale“. “Je n’ai pas écrit le livre pour les sous, c’est sûr“, rigole-t-il. Sur la vente d’un livre à 24 euros, il n’en perçoit que 8 %, soit même pas deux euros.

Grimper dans la ville, c’est surtout pour lui l’occasion de faire des rencontres. Via les réseaux sociaux, il propose régulièrement des sorties de bloc urbain, ouvertes à tous public. Les profils ? “C’est tous des gros babos“, ironise Ludovic en s’incluant. Guillaume estime que les personnes qui se rendent à ces sessions ont entre 18 et 35 ans. Le trio s’inscrit plutôt à rebours des salles d’escalade qui font restaurant et bar en même temps et affichent bien souvent des tarifs assez onéreux – comptez 17 euros la journée pour une salle du centre-ville. “Dans leur communication, il n’y a que des photos de bouffe et pas d’escalade !“, souligne Oscar. Même s’il atteint aisément le haut du mur, ce moniteur d’escalade préfère, lui, les sorties encordées sur des longues voies de falaise.

“Vous ne montez pas sur la gouttière, hein”

Il ne faut pas attendre longtemps avant que l’activité des trois amis ne suscite l’attention des passants, entre incompréhension, regards amusés et admiration des enfants. La fin de la matinée arrive et le soleil perce le ciel. Un homme passe la tête de sa fenêtre située à la hauteur des voies. “Vous ne montez pas sur la gouttière hein, parce qu’après, s’il y a un problème, il faut appeler la présidence de la République“, prévient-il en poussant l’exagération. Guillaume lui explique que le but est justement de ne pas l’utiliser : ça serait de la triche. L’homme rassuré leur souhaite une belle journée.

Dans sa pratique, le grimpeur urbain n’a jamais eu trop “d’emmerdes“. Mais pour anticiper ces éventuelles réactions, Guillaume a listé dans l’ouvrage quelque uns de ses conseils. Les sources de conflit résident plutôt sur les espaces privés, qui ne figurent pas dans le topo, même s’ils ne sont pas inconnus du groupe. Des adresses qui sont d’ailleurs partagées avec le milieu du graffiti et de l’urbex, cette forme d’exploration urbaine notamment racontée dans une chronique de Marsactu. “C’est un truc discret, il ne faut pas donner les infos“, explique le trentenaire qui n’en dira pas plus. Sur la façade de l’esplanade, il a d’ailleurs repéré le logo du groupe Massalia Parkour Officiel.

Oscar est moniteur d’escalade en club. Il préfère les falaises mais s’adonne facilement au bloc urbain. (Photo : Emilio Guzman)

Un message politique

Derrière sa voix calme, le discours de Guillaume Vande Ghinste est clair et assumé. “Je pense sincèrement qu’on peut avoir un effet positif sur la ville”, pose-t-il. Dans son topo, il appuie : “Faire de cet espace un lieu qui nous appartient et dont on doit prendre soin nous impose les mêmes attentions qu’un endroit de vie que l’on partage collectivement (habitations, bibliothèques, piscines, etc)”. Et pousse la réflexion pour que “les agressions sexistes, les situations de détresse des personnes dans la rue, l’omniprésence de la voiture, la disparition des espaces verts, la surveillance abusive“, soient pensées collectivement comme “le prolongement de notre palier“.

Le jeune homme met aussi un “point d’honneur” à ne laisser aucune trace de chaussons ou de magnésie – poudre blanche utilisée pour sécher les mains des grimpeurs – après chaque passage, pour se défendre des accusations de détérioration de l’espace public.

Pendant son travail de collecte, la différence entre les arrondissements marseillais lui est apparue de manière flagrante. “Dans le 3e, les murs ne tiennent plus et tout est sale alors que dans le 7e, c’est nettoyé à chaque fois. Il y a un tel écart de conditions de vie dans le centre-ville et par le biais de la grimpe, tu le ressens hyper vite“. Il précise dans l’ouvrage que le nombre de blocs peu élevé dans le 3e (15 blocs seulement) est dû à l’état du bâti.

Changement de spot avant de clôturer les deux heures de sortie. Un peu plus loin rue Henri-Tasso, un autre pan de mur donne du fil à retordre aux trois grimpeurs. La ligne “Atcha-Outcha” est cotée 6A+ et exige un niveau élevé. Malgré leurs encouragements mutuels, ils n’atteignent pas le haut. Mais la persévérance fait partie de la discipline. La bande reviendra bientôt pour tenter de gravir ces sommets du coin de la rue.

“Grimpe urbaine à Marseille. Topo de bloc urbain” de Guillaume Vande Ghinste, disponible aux Éditions des crêtes, 30 rue Saint-Savournin, 13001 Marseille.

Site : https://www.chemindescretes.fr/escalade/43-grimpe-urbaine-a-marseille.html

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Commentaires

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  1. BRASILIA8 BRASILIA8

    Et dire que dans les Calanques accessibles en bus ils existent des centaines de voies d’escalade dans un décor unique parfois au dessus de la mer avec juste le bruit des vagues et le cri des gabians !!
    Escalade sur structures artificielles en salle ,sur ouvrages maçonnés en ville et tout cela dans la Ville de Gaston Rebuffat, de Georges Livanos …

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  2. kukulkan kukulkan

    pour le coup selon les monuments et selon la dangerosité ça me semble pas forcément positif partout ! la ville pourrait aménager sur une dizaine/vingtaine de sites en ville des parcours plus cadré et cordés non ?

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  3. Patafanari Patafanari

    Défense de flâner. Le piéton doit désormais surveiller vélos et trottinettes qui zigzaguent sur les trottoirs et se garder des babos et autres tagueurs des cimes qui risquent de lui dégringoler sur la calebasse.

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