Grève des femmes de chambre : “Malgré la précarité j’ai face à moi des méga-combattantes”

Interview
le 21 Juil 2023
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Cette semaine, les femmes de chambre de l'hôtel Marriott Vélodrome ont obtenu gain de cause après six jours de grève. Elles étaient représentées par la CNT-SO, qui enchaîne les mouvements à Marseille. Juriste du syndicat autonome au niveau local, Camille El Mhamdi, revient sur ces batailles presque toutes victorieuses.

Mobilisation des femmes de chambres de l
Mobilisation des femmes de chambres de l'hôtel NH Joliette en 2019, accompagnées par la CNT-SO. (Photo : CMB)

Mobilisation des femmes de chambres de l'hôtel NH Joliette en 2019, accompagnées par la CNT-SO. (Photo : CMB)

À l’hôtel Marriott Vélodrome, le piquet de grève a été rangé ce mercredi 19 juillet. Les employées de cet établissement quatre étoiles ont fait six jours de grève devant leur lieu de travail et dans l’indifférence des clients. Munies de casseroles et de banderoles, elles ont fait du bruit pour briser l’habituelle invisibilité de mise dans les hôtels de luxe. Elles ont obtenu gain de cause sur l’une de leurs revendications phare : le passage en temps plein de chacune d’entre elles. La grève est donc arrêtée, pour le moment.

La juriste du syndicat CNT-SO, Camille El Mhamdi. (Photo Nina Cardon)

Ces dernières années, quasiment à chaque piquet de grève dans un hôtel marseillais, une femme est là pour apporter un soutien moral et juridique à ces femmes de chambre : c’est Camille El Mhamdi. Elle est la représentante de la Confédération nationale des travailleurs – Solidarité ouvrière (CNT-SO) à Marseille. Depuis sa création en 2012, la CNT-SO mène des combats dans tout le secteur de l’hôtellerie marseillais. Arrivée en 2015 dans les rangs du syndicat anarchiste, la juriste a vu le nombre de syndiqués passer “de 15 à 300”. Conséquence d’un effet domino : l’organisation mène les luttes, hôtel après hôtel, et en ressort presque toujours gagnante.

Marsactu : Revenons sur votre dernière bataille, celle de l’hôtel Marriott Vélodrome. Quels étaient ses enjeux ?

Camille El Mhamdi : On avait l’intention de créer un grand mouvement de grève générale, avec l’ensemble des femmes de chambre marseillaises. Lors des dernières manifestations contre la réforme des retraites, les femmes se sont rencontrées, ont discuté. Donc, on avait l’espoir qu’un mouvement collectif prenne forme. Il faut comprendre que les hôtels sont différents, mais la société sous-traitante, nommée Acqua, est quasiment toujours la même. Les femmes de chambre ont alors un seul employeur. Hélas, la société Acqua a réussi à sectoriser les hôtels pour diviser les employées. Au final, seules six femmes de chambre du Marriott ont continué.

Qu’avez-vous obtenu concrètement ?

Au Marriott Vélodrome, la revendication qui avait émergé était celle d’avoir une prime saisonnière, car l’été, leur travail est particulièrement dur. La société de nettoyage s’est directement cachée derrière l’hôtel qui ne veut pas générer de dépenses supplémentaires pendant l’été. Hier [mercredi 19 juillet], le patron de la société Acqua est venu en proposant de passer tout le monde à temps plein, ce qui va leur assurer une stabilité, c’est une première victoire. Donc, on suspend la grève jusqu’en septembre, mais elle peut repartir s’il n’y a pas de nouvelles propositions d’ici-là.

Comment parvenez-vous à convaincre des femmes qui sont très précaires de faire grève ? Est-ce que Marseille est une ville particulièrement mobilisée ?

Bien souvent, ces femmes sont issues des communautés cap-verdienne et comorienne, elles se connaissent. Elles apprennent que l’une a obtenu le treizième mois et se disent qu’elles peuvent avoir la même chose. C’est sûr que la conjoncture à Marseille est particulière. Nous sommes présents aussi à Paris et à Lyon et ça n’a pas du tout pris pareil. Ici, malgré la précarité, j’ai généralement en face de moi des méga-combattantes. Quand elles disent “on y va”, elles y vont pour de vrai, avec les casseroles et tout. Elles ont une réelle niaque dans la lutte. Elles sont exploitées au travail, à la maison aussi, car il y a beaucoup de femmes seules avec enfant, mais elles ne se laissent pas faire. Quand on les voit, on abandonne totalement nos clichés. Ce sont surtout les employées cap-verdiennes qui transforment les piquets de grève en fête. Avant, j’étais la seule à prendre la parole lors des négociations, aujourd’hui, je vois des figures qui émergent parmi elles et qui ne se laissent pas démonter.

Est-ce que cette dernière grève fait partie d’une stratégie générale ? On a l’impression que vous opérez comme une tache d’huile en s’attaquant à chaque hôtel, un par un.

À la base, il n’y avait pas de stratégie. La CNT-SO est arrivée en 2014 à Marseille donc on est un tout jeune syndicat. On allait devant les hôtels avec des tracts pour les distribuer aux femmes de chambres. Notre première bagarre a été le décompte des heures travaillées. Avant, la plupart des femmes de chambres étaient payées à la chambre, ce qui est illégal. On a obtenu qu’elles soient payées à l’heure. Puis, une chose en entraînant une autre, plusieurs hôtels nous ont rejoints et on a commencé à réclamer des primes et le treizième mois. Pour être honnête, notre but, c’est la grève générale, mais c’est vrai que c’est un objectif compliqué à atteindre.

Comment faites-vous pour mobiliser sans porter le combat à la place des employées ?

La survie des mouvements dépend des femmes de chambre. Par exemple, pour le dernier mouvement, certaines avaient des problèmes de surendettement et ne voulaient pas s’engager dans le mouvement. C’est pour cela que nous avons des caisses de grève qui compensent les pertes de salaire. Pendant la grève de six mois, on a réussi à payer chacune des grévistes donc elles ont confiance dans ce fonctionnement. Pour moi, c’est le nerf de la guerre. Celles qui renoncent, c’est surtout qu’elles n’ont pas envie d’avoir de problèmes. Parfois, j’ai l’impression de trop m’investir et de m’épuiser dans la logistique. Je leur demande sans cesse si elles sont prêtes à continuer, car sinon ça ne vaut pas le coup de s’investir autant.

Vous avez connu des échecs ?

En 2019, on a eu un gros conflit de six mois de grève au NH Collection de la Joliette qui a été un échec. La société Ellior de l’époque n’a rien voulu lâcher. C’est le conflit qui m’a le plus marquée. Nos caisses de grève pouvaient compenser les salaires, mais administrativement les paies étaient à zéro. Donc quand on recherche un appartement ou qu’on est sans-papiers, c’est compliqué. La grève s’est arrêtée, mais ça a été un déchirement pour tout le monde. Certaines ont quitté la CNT-SO après cela. Une petite victoire est apparue quand même lors de la fin du contrat de sous-traitance. L’hôtel a changé de société de nettoyage pour prendre Acqua. Les nouveaux sous-traitants avaient tellement peur de la grève qu’ils ont directement négocié l’accord qu’on voulait. Donc cela s’est fait un an plus tard, mais c’est tout de même une victoire. En dehors de ce cas, on a toujours gagné, même s’il faut faire des compromis.

Quels objectifs vous fixez-vous en tant que syndicat ?

Il reste encore des hôtels à aller chercher. C’est vrai qu’on ne tracte plus devant les établissements comme on le faisait avant. C’est pourtant ce qui faisait notre différence avec les grands syndicats comme la CGT. C’est certain qu’il reste quelques hôtels dans lesquels on n’a personne et où les choses se passent certainement mal. Aussi, au B&B de la Joliette par exemple, on a gagné un super accord en 2018, mais toutes les femmes de chambre ont fini par partir. On n’a plus d’adhérentes là-bas et je ne suis pas certaine que notre accord soit appliqué.

Quels sont vos prochains combats ? Où s’arrête la lutte ?

C’est vrai qu’aujourd’hui, il est de plus en plus dur d’obtenir des choses. Les éléments de base ont été gagnés sur presque tous les hôtels, comme le treizième mois et la prime de panier, c’est difficile d’avoir plus. Ce qu’on nous dit souvent, c’est qu’on a déjà tout obtenu, que les femmes de chambre sont déjà mieux payées que certains salariés de l’hôtel. Moi, je ne pense pas, l’inflation est là, on doit continuer de se battre pour qu’elles gagnent dignement leur vie. Après, tout dépend d’elles et de leur motivation. On reste soumis à leur détermination à se mobiliser ou non. Mais le combat est sans fin.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Merci de rendre hommage à ces travailleuses invisibles, exploitées, en lutte pour leurs droits et leur dignité. Elles ne demandent pas la lune. Bravo à ce syndicat et cette juriste de les accompagner avec détermination.

    Signaler

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