Froide randonnée pour une vie de chantier à Picon-Busserine
Après des mois de contestation d'un quotidien vécu au rythme des chantiers, les habitants de Picon-Busserine ont reçu le préfet accompagné d'une élue et de techniciens. Un accueil musclé et une visite qui n'avait rien d'une promenade d'agrément.
Froide randonnée pour une vie de chantier à Picon-Busserine
Ils rentrent un par un dans la salle polyvalente du centre social l’Agora, à la Busserine (14e). Accueillis en premier lieu par “Madame Mouaci”, à qui tous serrent la main. Préfet, adjoint au maire, représentant des bailleurs, responsables de la rénovation urbaine ou du chantier de la rocade L2… Une quinzaine de hauts responsables et techniciens s’installent sagement face aux soixante habitants qui subissent depuis des mois, le jour comme la nuit, des chantiers dont ils ne voient pas la fin. “Nous nous sommes assis où on nous a dit de nous asseoir”, ironise Arlette Fructus, adjointe à l’urbanisme. “Nous sommes venus pour vous écouter”, annonce Yves Rousset, préfet délégué pour l’égalité des chances. Et de fait, avant de partir en excursion dans le quartier, l’aréopage commence par écouter les complaintes des habitants, prenant des notes, en bons élèves. Des moues agacées ou dubitatives apparaissent par moment, mais tous font profil bas.
Cette visite était attendue de longue date. Depuis le printemps, les habitants des cités Picon, Busserine et Saint-Barthélémy 3 manifestent régulièrement pour atteindre les responsables politiques. Leur venue vient acter plusieurs mois d’échanges tendus. Au cœur de leurs revendications, un quotidien rythmé par les désagréments de multiples chantiers, ceux de la réhabilitation de leur appartement, ceux de la rénovation de leur quartier, ainsi que la pharaonique construction de la rocade L2 dont le chantier se déroule sous les fenêtres de plusieurs bâtiments. Cet été, le groupement d’intérêt public Marseille Rénovation urbaine a organisé des ateliers de réflexion avec les habitants, mais peu semblent en avoir eu l’écho. Faire venir le préfet sur place, de manière officielle, était en revanche un des objectifs des protestataires. Ce jeudi après-midi pluvieux, ils tiennent leur petite victoire et ne comptent pas en rester là.
“Ils s’attendent à voir des chiens enragés, mais ils vont être déçus”, disait Karim Mouaci, fils de celle qui est devenue l’une des figures de proue de la contestation, aux habitants réunis avant la visite. De fait, les prises de paroles se font globalement dans le calme. À travers une succession d’interventions concises, plusieurs habitants rappellent les points litigieux : poussières, camions qui roulent vite, travaux de nuit, absence de signalisation, bruit, malfaçons… La plupart disent ne plus vouloir faire “d’état des lieux” et demandent des actes.
Une menace d’action en justice comme ultimatum
Certains pointent même malicieusement l’élection présidentielle qui approche. Pierre Lézeau, représentant de plusieurs associations du quartier redoute “une ère de glaciation” qui pourrait figer toute intervention de l’État, d’où l’urgence de faire appliquer les revendications. Le préfet délégué pour l’égalité des chances hausse les sourcils. “Vous-même on ne sait pas si vous serez là l’année prochaine !”, enfonce un autre habitant. Rire crispé du préfet. Karim Mouaci, qui prend la parole à son tour sur un ton se voulant fédérateur, annonce qu’il a contacté une avocate pour porter le litige devant la justice avec l’État, la Ville et les bailleurs en vue d’être indemnisés. L’annonce est suivie d’un silence.
Bien que calmes, les habitants n’en sont plus au stade du constat et des ultimatums qui ne disent pas leur nom sont posés. “Je vous laisse un mois pour tout régler et encore, je suis gentille, ça fait 700 jours qu’on vit ça !”, tempête Fadela Mouaci quand son tour de parole arrive. Une invective qui a pour effet direct de braquer ses interlocuteurs. Après une dernière intervention d’habitant, on passe à la visite sans transition ni réponses. “Je veux bien entendre que ce n’est pas assez et qu’il reste du boulot, mais il s’est quand même passé des choses !”, tente tout juste le préfet, avant de renvoyer les échanges au mois prochain, où une réunion devrait avoir lieu entre le préfet de région et les représentants des associations pour formuler des propositions concrètes.
“Des interlocuteurs intenses”
Une fois partis en promenade, les élus et techniciens semblent plus à leur aise dans ces chantiers qu’ils maîtrisent mieux que la communication de crise. Beaucoup profitent de ne plus être face à l’assemblée pour expliquer le travail effectué en aparté aux habitants qui viennent les solliciter… et aux journalistes. “Ici on a construit 20 logements, il y a une nouvelle voie publique qui clarifie l’espace et permet d’entrer et de sortir plus librement. Là-bas il y a l’école qui est neuve, la gare. Trois immeubles ont été construits, un est déjà livré”, détaille Nicolas Binet, directeur de Marseille rénovation urbaine en cheminant sur la piste non goudronnée qui mène actuellement au centre social. Les habitants ont du mal à se projeter dans ce quartier de demain que l’on a pensé pour eux.
“Il faut verbaliser, il fallait un exutoire pour mieux repartir. Toutes les remarques ne sont pas fondées, il y a des problèmes de communication qu’il faut dépasser”, analyse Didier Raffo, en charge de la rénovation urbaine chez le bailleur Habitat Marseille Provence, alors qu’un jeune fait une roue arrière en scooter devant le préfet. “Ça a toujours été un lieu où les discussions ont eu une grande intensité, car il y a des interlocuteurs qui eux même sont intenses. Tout le monde pensait qu’il était impossible de faire quoique ce soit ici, mais bon an mal an, les choses avancent”, assure, en off, un autre interlocuteur. “Cette visite était nécessaire pour aller vers plus de collégialité”, résume, optimiste, Jeanine Fialon, en charge du pôle de rénovation urbaine chez Logirem.
Collégialité, conjugaison malheureuse, configuration regrettable… En soulignant le mauvais timing de tous ces chantiers simultanés, bailleurs et responsables de la rénovation urbaine ont tendance à pointer du doigt celui de la L2, sans qui, à les entendre, la réhabilitation se serait faite dans des conditions quasi-idéales. Inouk Moncorgé, directeur de la SRL2, regrette lui aussi cette “conjugaison” mais refuse de porter le chapeau un peu lourd du grand méchant producteur de poussière et de bruit. “Nous en avons encore pour à peu près 9 mois de travaux ici, quand nous partirons les autres chantiers seront certainement toujours là, et il y aura toujours des camions. Il faut voir que la réhabilitation du quartier est ambitieuse, elle coûte ce que coûtent 10 km de L2 !”
Bras de fer pour être indemnisés
Cheminant courageusement, malgré ses talons hauts, à travers les allées mouillées de la cité, Arlette Fructus ne tient apparemment pas rigueur des invectives qui l’ont en partie visée. “On est dans une configuration maximale, avec des travaux gigantesques en parallèle. Forcément, c’est une cocotte minute. Les habitants subissent cela au quotidien, je reconnais que ce n’est pas simple. Leur sentiment est au-delà de la colère, et je le comprends.” Le projet d’action en justice lui semble en revanche peu plausible : “Si les locataires veulent aller en justice, cela va leur prendre beaucoup de temps et d’énergie, et il vaudrait mieux qu’ils les emploient à réfléchir à des solutions avec nous”.
Faut-il comprendre que la voie est désormais ouverte à des négociations pour indemniser les locataires ? L’adjointe à l’urbanisme élude. Mais à la même question, un autre des responsables n’a pas l’air de trouver cette hypothèse farfelue. Qui paierait alors pour les préjudices causés par ces mois de chantier ? L’État qui a lancé le chantier ? Ou la SRL2 son partenaire privé ? Et comment démêler les désagréments causés par le chantier de la L2 de ceux de la rénovation urbaine ? En tout cas, les habitants semblent doucement orienter leurs actions vers ce but. L’avocate qu’ils ont contactée, Me Amina Buzier-Ouertani, explique que si aucune procédure n’est à ce jour lancée ni même encore en préparation, ses potentiels client veulent “un bras-de-fer”. “Le préfet a raison de voir ça comme un ultimatum”, résume-t-elle.
La visite poursuit son cheminement entre bâtiments bientôt démolis, passages sommairement aménagés en bordure de voie rapide et bâtiments tout neufs, dont l’école où c’est l’heure de la sortie, bambins courant en tout sens. Une forte odeur de shit arrive parfois aux narines des visiteurs, qui poursuivent leur chemin sans prêter attention. Rien de bien étonnant, au fond, dans une cité qui a servi de décor au film Chouf, sorti cette même semaine avec pour sujet le trafic de drogue.
“Avoir l’impression d’être délaissé c’est quelque chose d’insupportable”
À la tête du cortège, le préfet Rousset mène la cadence et prend en charge les habitants qui viennent lui expliquer tantôt les problèmes de la rénovation tantôt les difficultés qu’ils ont à changer d’appartement. Yves Rousset prend des notes. “Faire venir tout le monde ici, c’est leur prouver que ce qu’ils vivent nous importe. Avoir l’impression d’être délaissé c’est quelque chose d’insupportable. Ils en font un enjeu de dignité et il faut donc leur répondre.” Pour l’heure, il ne peut en revanche que rappeler que les chantiers ont permis l’embauche de 60 personnes du quartier, et que la clause d’insertion a bénéficié à 92 personnes – pas forcément habitantes du quartier. Sa promesse dans l’immédiat : mettre en place avec le préfet de police le contrôle de la vitesse des camions.
Le petit cortège finit son expédition dans le salon de Fadela Mouaci. Celui là même dont elle refusait la visite aux inspecteurs de la Logirem en signe de résistance. Comme si les deux heures et demie passées ensemble sous la bruine avaient aboli les animosités. Pendant que le fils Mouaci montre à la vingtaine de visiteurs les malfaçons toujours présentes – tuyaux posés par dessus les fenêtres, finitions plus que bâclées sur le balcon – sa mère prépare le café. Arlette Fructus accepte volontiers, pendant que Sid Abadli, représentant des locataires de la Busserine, lui donne son sentiment profond sur la gestion de la rénovation urbaine par la Ville. Madame Mouaci raccompagnera par la suite tout ce beau monde à la porte, un peu épuisée et mais aussi déçue du peu d’habitants présents. “On espère avoir été entendus cette fois-ci. Sinon on recommencera le blocage, jour et nuit”, promet-elle quand même.
Le militant associatif Pierre Lézeau veut voir aussi dans cette journée un tour de force : “C’est important pour les associations de prouver que lorsque nous nous exprimons, nous avons les habitants avec nous. C’est aussi important de leur montrer à eux que nous agissons, qu’on ne fait pas que parler. Des choses ont avancé, peut-être, mais pour le moment elles ne sont ni lisibles ni audibles pour les habitants”. Pas sûr que la multitude d’acteurs venus en force ce jeudi, sans discours ni support de communication, aura permis plus de lisibilité. Le préfet reparti dans sa berline, Inouk Moncorgé est interpellé par des jeunes qui regardaient le cortège de loin. “Pourquoi est-ce que vous n’avez pas pensé à nous donner du travail quand tous ces travaux ont été prévus ?”, lui dit l’un d’eux. Le directeur général tente une explication du système complexe de répartition des emplois d’insertion. Dialogue cordial sans dénouement, à l’image de cette journée.
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