Feu l'arbre à palabres de la place de Lenche

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le 4 Juin 2013
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Feu l'arbre à palabres de la place de Lenche
Feu l'arbre à palabres de la place de Lenche

Feu l'arbre à palabres de la place de Lenche

Une vieille dame est assise de bon matin près du théâtre de Lenche. Elle contemple une souche d'arbre peinte en rouge. C'est tout ce qu'il reste du platane dont l'ombre couvrait le banc où elle avait l'habitude de s'asseoir. Il ne reste plus ni bancs, ni fraîcheur ombragée sur la place rénovée l'an dernier.

"Nous qui sommes nées ici, il faudrait qu'on rouspète", glisse-t-elle avec malice à sa voisine qui vient de s'installer à côté d'elle. Ensemble, elles commenteront pendant de longues heures tous les mouvements sur la place. C'est pourtant une autre génération, d'un demi-siècle de moins, qui manifeste son indignation sur l'assassinat avec préméditation de tous les arbres de la place. Déclenchant une petite tempête médiatique dont les quartiers de Marseille se sont faits une spécialité.

"Une blague"

Dans un coin de la place, un érable gîtait, tranquillement mais sûrement. Au point d'inquiéter la boulangère. Elle prévient alors un adjoint d'arrondissement. Sans réponse de la part de la mairie, elle interpelle à nouveau l'humble élu quelques mois plus tard alors qu'il se pavane sur les pavés devant sa boulangerie. Il envoie un expert en arbres qui rassure la commerçante – malgré la forte inclinaison de la bête – et lui laisse sa carte pour qu'elle le contacte "en cas de problème". L'arbre en question choit un soir de mistral début mars, ne faisant que des dégâts matériels. On accuse alors le méchant mistral d'être responsable de sa chute. Les riverains ne s'en inquiètent alors pas plus que ça, loin de se douter de la suite.

"Quand on m'a dit qu'ils allaient tout couper, j'ai cru que c'était une blague", raconte au téléphone Patou Rahal, présidente du comité d'intérêt de quartier du Panier. "Nous n'avons jamais été informés qu'ils allaient couper tous les arbres, il n'y a même pas eu un panneau", témoigne Emilie Kassentini qui a assisté à  toute la scène depuis une fenêtre de son appartement. A la terrasse du café en dessous de chez elle, elle salue et tutoie tout le monde. Cette cause est devenue la sienne et celle d'un collectif créé dans son sillage, face à une ennemie désignée, la glacière d'en face, qui a donné son accord pour ce qu'ils nomment un massacre. Dans l'urgence, la mairie aurait omis de prévenir l'ensemble des riverains mais a pris le soin de rédiger un communiqué de presse diffusé la veille pour annoncer le génocide végétal :

Par mesure de précaution et pour prévenir tout risque d’accidents, la Ville de Marseille procèdera, jeudi 16 mai 2013, à l’abattage de l’intégralité des arbres, en accord avec Florence Bianchi, présidente de l’association « Le Panier, coeur de Marseille », représentant les commerçants, artisans et artistes du Panier.

La coupable est donc toute nommée. Le CIQ,  s'en retrouve tout offusqué : "Ce que nous reprochons à Madame Caradec l'adjointe aux espaces verts c'est de ne pas nous avoir convié à la réunion d'urgence". Piqué dans son orgueil, le comité d'intérêt de quartier conserve l'avantage de ne pas avoir eu à approuver l'abattage. Seule la glacière Florence Bianchi était présente avec les experts. Ce qui fait dire à Elise Touanen, autre résidente de la place : "encore une fois, la mairie est dans le discours qui veut que les commerçants représentent les riverains. Or, ce ne sont pas du tout les mêmes intérêts". Que ce soit du côté de la Mairie ou du côté de la présidente de l'association, on explique l'absence de concertation par l'urgence de la situation. Sans doute pour rester dans l'ultra-réactivité qui avait prévalu lorsque le premier arbre menaçait de tomber.

"Effectivement, en tant qu'habitante de longue date, et au nom du principe de précaution, puisqu'aucun des experts ne pouvait me certifier que les arbres ne tomberaient pas, j'ai dit que j'étais favorable, confesse Florence Bianchi. Oui mais moi je n'habite pas ici depuis 3 ans mais depuis bien plus", se défend-elle vivement, reprenant un argument fort usité d'opposition entre les nouveaux habitants et ceux qui étaient là avant. Au final, la seule qui serait donc légitime est la mamie qui habite là depuis que les Allemands ont rasé saint-Jean.

"L'âme de Lenche"

Pour pallier le manque d'ombre sur la place, les restaurateurs ont ressorti leurs parasols dépareillés. Plus pour longtemps puisque la place de Lenche est concernée par la "Charte terrasse" portée par l'adjointe aux emplacements Martine Vassal. Les parasols seront uniformisés puisque "les commerçants les prendront chez le même fournisseur" explique l'élue UMP, qui en échange proposera une exonération de taxe sur les terrasses. "Cette idée des grands parasols était prévue bien avant l'abattage des arbres, tient-elle à préciser, mais maintenant on va essayer d'activer les choses". Pas de date de livraison prévue pour autant. La perspective ne réjouit pas les riverains dont la seule préoccupation est de savoir quand des arbres seront replantés.

Une réunion ce lundi avec le service des espaces verts, la mairie d'arrondissement et MPM, a réuni le CIQ, l'association des commerçants et quelques riverains dont Emilie Kassentini, représentante du collectif d'habitants. "On nous a promis de planter dix platanes en novembre", rapporte-t-elle. "Mais ça va mettre dix ans à pousser !", lui répond Elise Touanen quand elle lui apprend la nouvelle. "On nous a annoncé qu'ils devraient faire 5 à 6 mètres et 30 à 35 centimètres de diamètre", poursuit Emilie Kassentini, qui ne semble pas convaincue par les annonces faites. Elle prépare d'ailleurs une action le 15 juin, une "manifestation poétique pour faire bouger les politiques", et a commencé à collecter des photos d'archives sur les arbres de la place. "Nous allons faire notre deuil", ajoute la jeune femme. Pour sa part, Elise Touanen, souligne la portée symbolique de l'abattage. "Ils ont coupé l'âme de Lenche".

De son côté, l'adjointe aux espaces verts collecte aussi les photos d'archives pour les soumettre à l'architecte des bâtiments de France qui doit donner son avis sur la replantation. Sur la date, l'élue – en botaniste aguerrie – se contente de rappeler le vieux dicton paysan "A la Sainte Catherine toute plante prend racine". Parmi les facteurs expliquant le déracinement des arbres, outre les travaux, elle en voit un autre : "Il a beaucoup plu cette année, ça doit avoir fragiliser les racines".

En attendant les nouveaux arbres, les petites vieilles de la place de Lenche se serrent toute la journée sur l'unique banc à l'ombre, parce que comme elles disent "en plus ces trois pauvres bancs en bas de la place, ils sont en plein vent".

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Commentaires

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  1. Anonyme Anonyme

    Bousculer les responsables pour que soit installé des bancs, ombragés. Il est donc obligatoire de s’assoir à la terrasse d’un café et de consommer? Quid des fontaines dans ce pays de soleil et de vent? Et la superbe esplanade des musées.. verra-t-on des bancs ombragés face à la mer et face aux structures magnifiques et verra-t-on vehicules écologiques -gratuits- pour transporter des touristes un peu handicapés!!! . ce serait là une véritable ville qui se modernise et pense à l’humain!

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  2. la belle la belle

    Un bien bel article, j’aime beaucoup votre prose, c’est comme si on se promenait sur cette place …

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  3. Casanovette Casanovette

    A la Sainte Caradec, le fouet d’Attila pète sec !
    A la Sainte Bianchi, l’ombre des frondaisons, c’est fini !
    A la Sainte Vassal, toute l’année après, tu chiales
    A la Sainte Gaudine, ressortez les guillotines !

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  4. MP MP

    C’est ce que la mairie et Mme Caradec appellent le développement durable. Les arbres font de l’ombre naturelle l’été, ne coûtent rien, absorbent les polluants comme le gaz carbonique et sont plutôt beaux à regarder; on les arrache et à la place on achète des parasols qui vont durer au maximum cinq ans ,si ils ne sont pas volés, qu’il va falloir nettoyer et sous l’ombre desquels il n’y a aucune fraîcheur. L’écologie rime souvent avec l’économie.

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  5. William Roy William Roy

    Je me demande si le fournisseur des parasols sera désigné par la mairie… encore un moyen de se faire des copains pour Gaudin et ses séides. Un jour peut-être la gouvernance locale sera empreinte de déontologie, d’ici là, il faut surveiller de près ce qu’il se passe à MArseille.

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  6. Casanovette Casanovette

    Tous ensemble, en coeur, allez la Caradec, avec nous ! ” A la Sainte UMP, la mairie affiche son mépris décomplexé des Marseillais “

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  7. biz biz

    Les services de la ville s’illustrent à nouveau par leur nullité. triste !

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  8. Marseillois Marseillois

    Dimanche midi, soleil de plomb sous les parasols achetés en catastrophe par les restaurateurs (non fixés au sol car la mairie ne l’autorise pas). Un coup de vent, et hop ! une ardoise tombe, entraîne dans sa chute un parasol, qui s’abat à quelques centimètres de la tête d’un bébé. Tranche de vie sur l’une des (autrefois) places les plus vivantes de Marseille.

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  9. Niko Niko

    Au risque d’en décevoir certains, 30/35 cm est la circonférence du tronc à 1m du sol et non pas son diamètre.

    C’est quand même bien triste pour cette place.

    Quant à l’explication de la pluie pour les racines, il n’a pas plu tant que ça cette année, juste d’une manière différente. Un arbre en milieu urbain souffre plus de l’imperméabilisation que d’excès d’eau, mais bon, c’est tellement plus simple de ramener cela a une supposée incohérence de la nature, comme si l’homme était plus fort et sachant que cette nature qui nous “agresse” (vent, arbre qui tombe….)

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  10. chato13 chato13

    – d’une part, il y a les platanes
    – et d’autre part il y a LES BANCS ! Que j’ai toujours connus sur les côtés de la place, de haut en bas.

    Ils ont enlevé ces bancs, ils en ont placé QUATRE face à face, en bas, souvent squattés par des clochards.

    C’est du foutage de gueule intégral. On venait faire la causette avec les mamies du quartier, sur ces bancs. Il parait qu’ils ont été enlevés pour faire plaisir aux cafetiers. C’est peut-être bien pour les touristes, mais on oublie qu’il y a des gens qui y VIVENT, dans ce quartier.

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  11. Jc D Jc D

    Des arbres et des bancs
    Des arbres et des bancs
    Des arbres et des bancs
    Des arbres et des bancs
    Des arbres et des bancs
    Des arbres et des bancs
    Quand est ce qu on empaille les vieux Marseillais

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  12. castadiva castadiva

    J’habite vers la place Lenche.
    Elle n’a plus d’âme, exactement comme ce désastreux quai de la Fraternité.

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  13. L'observatoire du Panier L'observatoire du Panier

    Trop d’approximations dans l’article de Clémentine Vaysse. Pourquoi le « dernier » platane ? Il n’ y en avait qu’un, le plus ancien arbre de la place, surnommé affectueusement « Napoléon » par les habitants.
    Aucun arbre n’est tombé en « mars » 2013 sur la place de Lenche comme l’affirme in petto Clémentine ! L’érable est tombé le 11 mai !
    Je n’en finirais pas dans ce commentaire de signaler toutes les inexactitudes ou informations fausses qui émaillent cet article. Elles portent atteinte aux personnes. Elles déshonorent le beau métier de journaliste.
    Juste un petit point de droit : dans un collectif, il n’y a pas de « responsable » attitré . Tout le monde est solidaire !
    Une seule chose juste : nous pleurons tous les arbres de la place de Lenche. Et nous en portons le deuil.

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