Face au “mépris” de Génération identitaire, le parquet requiert des peines de prison ferme

Reportage
le 18 Oct 2022
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Au terme d'un procès marqué par l'absence des prévenus, le procureur a requis des peines allant de six mois de sursis à un an ferme à l'encontre des 23 ex-membres de Génération identitaire. Jugés pour leur violente intrusion au siège de SOS Méditerranée, ils pourraient être interdits de séjour à Marseille.

Le président de SOS Méditerranée François Thomas aux côtés d
Le président de SOS Méditerranée François Thomas aux côtés d'un des avocats de l'ONG, Me François De Cambiaire. (Photo CM)

Le président de SOS Méditerranée François Thomas aux côtés d'un des avocats de l'ONG, Me François De Cambiaire. (Photo CM)

Lorsqu’ils ont investi le siège de SOS Méditerranée le 5 octobre 2018, les militants du groupe d’extrême droite Génération identitaire se sont déplacés à 23. Dans les locaux, ils avaient trouvé sept salariés de l’ONG, dont six femmes, qui ont toutes dit à la barre la “peur” puis le “traumatisme” laissé par ce souvenir. Mais ce lundi, plus personne n’était là pour leur faire face. Sur les 23 individus mis en examen, aucun n’est venu honorer sa convocation judiciaire devant le tribunal correctionnel de Marseille.

C’est donc face à un public très confidentiel, privé des 23 prévenus du dossier, que le procureur Ahmed Chafaï a annoncé les réquisitions du ministère public. À savoir : des peines allant de six mois de prison avec sursis à un an de prison ferme. Au total, le parquet a requis des peines de prison ferme pour onze prévenus. Il sont presque tous déjà connus de la justice, soit pour leur intrusion à la CAF de Bobigny en 2019, soit pour leur occupation du siège du Parti socialiste en 2013, en marge de la Manif pour tous. Dans les deux cas, ces “opérations politiques” avaient aussi été revendiquées par Génération identitaire.

Six mois ferme requis contre Jérémie Piano

Seul le Lyonnais Romain Espino, ancien porte-parole du groupuscule aujourd’hui dissout et connu pour ses opérations anti-migrants dans les Alpes, s’est vu requérir un an de prison ferme. Le parquet a demandé six mois de prison ferme à l’encontre de Jérémie Piano, candidat derrière Éric Zemmour aux dernières législatives à Aix-en-Provence. La même peine a été demandée pour le Parisien fiché S, Édouard Michaud, et pour l’ancien candidat RN aux départementales en Normandie, Mathieu Balavoine.

Autre pilier du mouvement, Peter Sterligov, ancien légionnaire russe employé aujourd’hui par la mairie RN de Beaucaire dans le Gard, s’est vu requérir un an d’emprisonnement dont six mois ferme. Tout comme Thaïs d’Escufon, ancienne porte-parole du groupuscule. Pour 12 prévenus inconnus des autorités, le parquet a requis six mois de prison avec sursis. Une peine réservée aux plus “jeunes” afin qu’ils “retiennent la leçon pour l’avenir”, a commenté le magistrat Ahmed Chafaï. En peine complémentaire, le procureur demande une interdiction de séjour à Marseille pendant cinq ans.

Un dossier hors normes qui “dépasse la liberté d’expression”

Tous les prévenus sont poursuivis pour “violences volontaires” et “groupement formé en vue de la préparation de violences” à l’exception d’une militante, jugée pour avoir filmé puis diffusé la scène. Sur la vidéo postée en ligne, on y voit la façade du siège de SOS Méditerranée recouverte d’une banderole de plusieurs mètres accusant l’association d’être “complice du trafic d’êtres humains”. Pendant ce temps dans les locaux, les sept salariés confrontés aux militants craignent une “attaque terroriste”. L’intrusion entraînera jusqu’à dix jours d’incapacité totale de travail aux victimes.

J’ai vu des prévenus lisses, sans compassion, sans regret, sans affect pourtant indispensable à toute relation humaine

Le procureur

“La semaine dernière, les victimes ont livré à la barre leurs émotions, j’ai deviné des frissons. En face, j’ai vu des prévenus lisses, sans compassion, sans regret, sans affect pourtant indispensable à toute relation humaine”, accuse le procureur Ahmed Chafaï. Les quelques militants entendus la semaine passée par le tribunal avaient vanté une “action politique” et “pacifique”. Registre récusé ce lundi par le ministère public. “Toute personne a le droit de manifester, et personne n’a enlevé ce droit à Génération identitaire. Ce que nous avons dans ce dossier, ce sont des violences avec des conséquences psychologiques et une entrave à la liberté du travail. C’est hors normes et cela dépasse la liberté d’expression”, estime-t-il.

Pour le magistrat, le délit de groupement formé en vue de violences est bien caractérisé. Selon plusieurs témoignages, une militante était venue quelques jours plus tôt au siège de SOS Méditerranée pour repérer les lieux. Le procureur rappelle aussi plusieurs échanges sur des messageries sécurisées faisant état d’une action imminente à Marseille. “On retrouve un langage en faveur de l’utilisation de la violence. On a des recherches effectuées sur des armes”, énumère Ahmed Chafaï.

Sur le délit de violences, nié par les mis en cause, le procureur rappelle que plusieurs victimes disent avoir été “agrippées, plaquées, ceinturées, éjectées : tous ces mots apparaissent au dossier”. Quelques secondes avant l’intrusion musclée, une salariée de l’ONG avait innocemment ouvert la porte au groupuscule car l’une de ses membres s’était présentée comme une future bénévole. “Il y a un partage des tâches évident avec des prévenus qui ont joué les anges et d’autres, les démons. Ils sont tantôt gentils, tantôt colériques, et ce jeu particulier me paraît très déstabilisant pour les victimes”, analyse le procureur.

“Fondamentalement racistes, particulièrement islamophobes”

Au final, l’audience laisse “un goût d’inachevé” au magistrat. “Les victimes n’ont récolté que mépris et ricanements. C’est une chose très rare, et ça empêche la reconstruction nécessaire aux victimes de violences”. Tout en refusant de s’adonner à une “réflexion doctrinale” pour “se concentrer sur le droit”, le ministère public s’autorisera tout de même une très courte remarque : “si l’on voulait poser une question doctrinale, on aurait fait venir des historiens. Et tous auraient dit qu’aucune frontière, aucun mur barbelé n’a jamais pu stopper les morts en mer.”

Entendus avant le réquisitoire, les avocats des parties civiles se sont montrés moins cliniques. “Il y a chez eux une jouissance pathologique du malheur des autres. Vous êtes fondamentalement racistes, particulièrement islamophobes. Vous êtes des ennemis de la République” déclarait, par exemple, Alain Lhote conseil de l’association La Maison des Potes, pour qui l’absence des prévenus est “un mépris insupportable, intolérable de la justice.”

Des prévenus restés silencieux

En défense de Génération identitaire, l’avocat Pierre-Vincent Lambert a qualifié l’action de ses clients de “happening médiatique”, un “mode d’action pratiqué par tout le spectre politique, y compris des collectifs de sans-papiers”. Selon l’avocat, si “aucune procédure n’a été ouverte contre les gilets-noirs lorsqu’ils ont occupé le siège du groupe Elior, la mise en examen de ses clients est “un vrai problème en matière de liberté d’expression”.

même si certains témoignages parlent de bousculades, la vérité est qu’on ne sait pas qui a fait quoi, et qu’on ne le saura jamais.

L’avocat des prévenus

Pierre-Vincent Lambert veut bien admettre “une certaine confusion, voire une bousculade à l’entrée des locaux de SOS Méditerranée. Mais pas de violence au sens pénal.” Au détour d’une phrase lâchée en milieu de plaidoirie, l’avocat mettra le doigt sur l’une des grandes faiblesses du dossier : “même si certains témoignages parlent de bousculades, la vérité est qu’on ne sait pas qui a fait quoi, et qu’on ne le saura jamais.” Face aux enquêteurs, la majorité des prévenus avaient gardé le silence. Face au tribunal, aucun ne s’est aventuré à désigner les “cerveaux” de l’opération.

L’opération marseillaise est la première qui vaut aux militants une comparution pour violences. Dans leurs autres affaires, les anciens membres de Génération identitaire n’ont jamais écopé de peines de prison ferme.

Interrogé à la suspension d’audience, François De Cambiaire, avocat de SOS Méditerranée, se réjouit d’avoir “entendu un message de fermeté de la part du procureur. Il est important que le ministère public mette un coup d’arrêt à ce mode opératoire”, estime-t-il. Sans donner de montant précis, la défense de SOS Méditerranée a plaidé pour “un préjudice exceptionnel”, vu son “caractère collectif et sans précédent”. La date du délibéré sera connue ce mardi.

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Commentaires

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  1. mrmiolito mrmiolito

    Je ne connaissais pas la notion d’interdiction d’un territoire municipal en droit, mais j’aime assez l’idée de ne plus croiser ces racistes a Marseille.
    Dommage quand même pour le représentant de Zemmour, qui nous distrayait bien quand il mettait un coup de boule a un représentant du FN local…

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  2. kukulkan kukulkan

    qu’ils prennent bien cher ces êtres dégoutants.

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  3. julijo julijo

    6 mois de sursis à un an ferme.
    et bien ce n’est pas cher payé.
    23 personnages douteux et a priori irrécupérables, qui jusque là, et encore aujourd’hui, sont en liberté….ça fait pas rêver.
    d’ailleurs plutôt une bande de dangereux peureux, ils sont à peine venus au tribunal.
    6 m de sursis à un an ferme, ça suffit pas.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Oui, gros biceps, petits cerveaux, et pas grand chose du côté de la capacité à assumer ses propres actes. On est bien face à de petites racailles. J’utilise ce terme à dessein : c’est leur langage pour désigner tous ceux dont la couleur de peau ne leur convient pas.

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  4. Zumbi Zumbi

    On les mettra dans les unités spéciales pour radicalisés, avec les barbus ? Qu’ils s’entretuent, ça fera des places en prison.

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