Exploitant défaillant, État en difficulté : l’incendie de Saint-Chamas continue de polluer

Enquête
par Suzanne Leenhardt & Violette Artaud
le 21 Jan 2022
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Déclenché le lendemain de Noël, l'incendie d'un entrepôt rempli de déchets à Saint-Chamas fume toujours. Tandis que l'exploitant traîne des pieds pour mener les travaux qui lui incombent, l’État peine à prendre la main.

Exploitant défaillant, État en difficulté : l’incendie de Saint-Chamas continue de polluer
Exploitant défaillant, État en difficulté : l’incendie de Saint-Chamas continue de polluer

Exploitant défaillant, État en difficulté : l’incendie de Saint-Chamas continue de polluer

De l’entrepôt, il ne reste plus que le squelette et une partie de la toiture. Mais les déchets, eux, sont encore là. Matelas, tuiles, ferrailles et tubes en PVC forment toujours des montagnes, que les pompiers arrosent sans discontinuer. Depuis le départ de l’incendie de l’entrepôt de Recyclage concept 13, à Saint-Chamas le 26 décembre dernier, une grande quantité des déchets stockés là est partie en fumée. Mais près d’un mois plus tard, de la matière qui continue de se consumer, exposant les riverains à un taux de particules fines élevé, potentiellement dangereux pour leur santé. Comment expliquer cette lenteur des opérations ? Auraient-elles pu se dérouler plus rapidement ? Retour sur la gestion en forme de casse-tête d’un incendie hors normes.

À leur arrivée sur place le 26 décembre, les pompiers estiment à 25 000 mètres cubes la quantité de déchets sous l’entrepôt. L’extinction est donc partie pour durer, préviennent-ils. Pour définir les actions à mener, une cellule de crise réunit plusieurs acteurs dont les pompiers, le maire de Saint-Chamas, le sous-préfet d’Istres, les services de l’État, Atmosud – l’association chargée de la surveillance de la qualité de l’air – et l’agence régionale de santé. La priorité est alors donnée à la préservation des sols et des nappes phréatiques.

En d’autres termes, le choix est fait de laisser les déchets se consumer sans les noyer massivement afin d’éviter une pollution souterraine. Mais l’air se charge en particules fines et en autres substances nocives, pendant plusieurs jours. “Il y a eu un match entre l’air et l’eau qui s’est joué au début. Un des choix initiaux a été de dire on laisse brûler et nous on a dit “il faut arrêter ils sont en train de s’en prendre plein le nez””, rembobine Dominique Robin, directeur d’Atmosud.

Bisbille autour du bassin de rétention

Face aux mesures relevées dans l’air, les autorités décident donc au bout de quelques jours de procéder au noyage du feu. Il faut aller vite. Et surtout, construire un bassin de rétention pour pouvoir récupérer l’eau qui servira à éteindre le feu et la dépolluer. En théorie, c’est à Recyclage concept 13 de prendre en charge ces opérations. Dans une communication du 28 décembre, la préfecture le souligne. “Ce jour, suite à l’incendie, le préfet a pris un arrêté préfectoral de mesures d’urgences prescrivant à l’entreprise sans délai la mise en sécurité et l’évacuation des déchets.

Mais la coordination ne se fait pas et la préfecture finit par acter la carence de l’entreprise. De son côté Recyclage concept 13 indique avoir mandaté une entreprise pour commencer a construire le bassin. “On voulait réhabiliter un petit bassin qui se trouve à côté en creusant une tranchée, ils ont dit que c’était trop petit. Ils ont décidé du bassin dans une réunion où on n’était pas convié”, se défend Jennifer Oké, salariée de Recyclage Concept 13 et fille du patron de l’entreprise. Dans la nuit du 30 au 31 décembre, les services de l’État missionnent une autre entreprise pour la construction du bassin de rétention.

“Après on nous a demandé de chercher des bâches mais on n’a pas trouvé, ajoute Jennifer Oke. Même l’entreprise Midi TP [missionnée par l’État, ndlr] nous a dit qu’il fallait s’y connaître pour trouver ce genre de bâches”. Après des aléas météorologiques, et notamment un fort mistral, l’installation n’est finalement opérationnelle qu’à partir de la deuxième semaine de janvier. Elle est où l’urgence quand on voit que le bassin s’est cassé entre temps ? On aurait eu le temps de le faire avec notre entreprise. Maintenant on nous demande 200 000 euros”, persiste Jennifer Oké. Toujours est-il que près d’un mois plus tard, le feu brûle encore.

Qui pour récupérer les déchets ?

Alors que le premier tas de déchets a été éteint, ils ne peuvent pas être évacués de la zone de noyage, ce qui empêche les sapeurs-pompiers de poursuivre.

Les équipes du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) peuvent enfin démarrer l’opération de noyage le 13 janvier. Elle consiste à étaler les déchets pour pouvoir les arroser. Aux côtés des pompiers, un salarié de l’entreprise mandatée par Recyclage concept 13, perché dans un engin, déplace les immondices vers les lances à eau. Les tas s’apparentent à un “fumigène de joyeux mélanges“, esquisse le lieutenant-colonel Bisone, du SDIS. Ils contiennent des déchets classés comme “industriels banaux”, des matières non dangereuses comme du bois, du plastique ou encore du textile. Mais pour assurer ce noyage, et la sécurité des pompiers, il a fallu d’abord faire tomber les structures extérieures du bâtiment. De la même manière, la préfecture a dû mettre un coup de pression à l’exploitant en menaçant de se substituer à lui. “L’entreprise a donc été mise en demeure ce jour d’entamer cette déconstruction dès demain, faute de quoi réquisition sera opérée à ses frais“, pouvait-on lire dans un communiqué envoyé le 5 janvier. Ce n’est que quelques heures avant ce délai que Recyclage Concept 13 a finalement fait venir une entreprise du Var pour entamer la démolition.

Les structures métalliques, contenant de l’acier, sont rapidement parties. L’acier, ne craignant pas le feu, peut être revendu à un prix pouvant atteindre plusieurs centaines d’euros la tonne. En revanche, les déchets entreposés, dont la plupart a brûlé, sont difficilement valorisables. Alors que le premier tas de déchets a été éteint, ils ne peuvent pas être évacués de la zone de noyage, ce qui empêche les sapeurs-pompiers de poursuivre.

Encore une fois, l’évacuation des déchets revient à l’exploitant. Mais celui-ci assure à Marsactu ne pas trouver de solution. “Veolia se proposait de récupérer le produit mais la Dreal [un service de l’État chargé notamment des questions environnementales, ndlr] et la préfecture ont refusé à cause de la pollution“, se défend Jennifer Oké. Elle est rejointe par Linda Ouacheck, responsable commerciale de l’entreprise : “Il y a deux sociétés qui accepteraient de reprendre les déchets brûlés s’ils sont triés mais comme ils sont plein d’eau, ils sont lourds et ça donnera des factures qui frôlent le million d’euros.”

“J’ai arrêté d’estimer le temps que ça prendra”

L’exploitation pourra-t-il régler la facture ? Rien n’est moins sûr…

Selon nos informations, la préfecture est censée prendre la main à ce niveau également. Ainsi, un arrêté est en préparation pour une consignation. L’exploitant devra alors déposer une somme d’argent à un comptable public correspondant au montant des opérations. L’évacuation des déchets, elle, pourrait être prise en charge par la métropole. Cette dernière ne confirme pas à l’heure de la rédaction de cet article.

À Saint-Chamas, l’histoire commence à exaspérer. “Plus de trois semaines après, le feu brûle toujours. Il y a des gens qui n’assument pas leurs responsabilités. Il y a tellement de rebondissements, ça se décide heure par heure, même minute par minute“, constate, las, Didier Khelfa. “J’ai arrêté d’estimer le temps que ça prendra. J’ai l’impression qu’on ne nous aide pas. Comme s’il n’y avait que les pompiers qui voulaient éteindre ce feu“, rigole amèrement le lieutenant-colonel Bisone.

“S’il y avait eu un assureur, tout aurait été géré avec l’assurance”, regrette Didier Khelfa. Mais Recyclage concept 13 n’en bénéficiait pas, comme le confirme Jennifer Oké. “Ce n’est pas par un choix. Pour une activité comme celle-ci c’est compliqué d’avoir une assurance. Ils veulent une référence de caméra thermique qui coûte très cher”, rétorque la jeune femme, selon qui un chèque devait être envoyé à un assureur le lendemain de l’incendie. Reste la question de la solvabilité de l’entreprise. Pourra-t-elle assumer les dépenses de ces opérations ? “On est une jeune société, on ne s’en relèvera pas”, jure Jennifer Oké. Une jeune société qui avait eu le temps d’amasser des milliers de mètres cubes de déchets.

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Suzanne Leenhardt
Violette Artaud

Commentaires

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  1. Karo Karo

    “Une jeune société qui avait eu le temps d’amasser des milliers de mètres cubes de déchets” et qui avait été payé pour en assurer le recyclage et a quel prix ?
    La lecture des arguments de l entreprise laisse un sentiment d’amateurisme de leur part absolument renversant et surtout un m’en fouti total. Doit on les plaindre si ils ne se relèvent de cet accident .
    Cela met en évidence la disparition pernicieuse des moyens humains de l’Etat en matière d’inspection des sites industriels. Trop cher d’avoir des inspecteurs pour faire appliquer la loi mais finalement combien cette catastrophe écologique a t-elle coûte en moyens humains mobilisés ?

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  2. petitvelo petitvelo

    De la joie de déléguer un service d intérêt general à la main invisible du marché et ses cascades de sous traitances et d audits privés à la recherche du moindre coût immédiat, avec toujours la faillite en porte de sortie. Mutualisons les pertes, privatisons les profits…

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  3. AlabArque AlabArque

    ‘Quand tout sera privé, on sera privé de tout’, hélas …

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  4. Bibliothécaire Bibliothécaire

    Des pieds nickelés du banditisme écologique. Incompétents, là pour ramasser l’argent car le stockage est devenu une manne depuis l’arrêt des exportations vers la Chine et la Malaisie, quels étaient les process mis en place à part le stockage ? Comment peut-on exploiter un site pareil sans assurance et quel est cette histoire de caméra thermique ? Un coût dérisoire par rapport aux dégâts.

    En tant que citoyen, j’espère que la personne interrogée sera vite derrière les barreaux à titre conservatoire et que le jour sera fait sur les clients de cette entreprise, son existence réelle en tant que recycleur et pas uniquement stockage et la responsabilité de l’incendie.

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  5. BRASILIA8 BRASILIA8

    A la lecture de l’article on peut se demander qui des services de l’État ou de l’entreprise est le plus incompétent
    La préfecture a toujours un temps de retard ” elle va faire , elle prépare …le choix initial d’origine de laisser bruler montre bien le peu de cas des populations pour ce qui concerne l’entreprise pas de doute qu’elle n’est pas solvable
    une grand réussite

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  6. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Question tout à fait innocente, car je ne connais pas l’économie de ce secteur : quel est l’intérêt de stocker plusieurs dizaines de milliers de tonnes de déchets ? Est-ce dû à un problème d’insuffisance des capacités de traitement ou d’élimination en aval ? Y a-t-il une autre raison objective ?

    Une telle masse me paraît incompréhensible compte tenu du danger qu’elle représente pour l’environnement.

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  7. Haçaira Haçaira

    Et c’est encore le con tribuable qui va payer

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