[En quête de Castors] Quand l’esprit se perd
Dans le Nord de Marseille, de curieuses maisons réunies en lotissement portent le nom d'un rongeur. Castors des Aygalades ou du Merlan, ils sont les derniers témoins d'un formidable mouvement d'auto-construction, né après-guerre. Pour cette série d'été, Marsactu remonte le cours de cette histoire. Dernier épisode, vers la fermeture.
Les paisibles allées des Vieux-Cyprès, dans le 13e arrondissement. (Photo : B.G.)
Depuis l’avenue de la Rose, les indices sont rares. Dans ce bout du 13e arrondissement de Marseille où dominent les tours, on peine à trouver l’ombre d’un Castor. Et pourtant, ils sont là : sur la route de la Croix-Rouge, un panneau indique une école, La Rose-Castors. Un peu plus loin, des rues aux accents révolutionnaires annoncent la couleur : les boulevards Thermidor ou Brumaire permettent l’accès aux Castors des Vieux-Cyprès. Le plus important lotissement Castor de Marseille niche sur un mamelon, encadré des cités de 13 Habitat, Val Plan, la Bégude Sud et Nord.
Le parc des Vieux-Cyprès compte 606 logements répartis entre des bâtiments collectifs de petite taille qui bordent l’avenue Albert-Einstein et des “villas” en bande qui occupent le haut de la colline. Boulevard Brumaire, entre les allées Vendémiaire et Pluviôse, une plaque mangée par les haies rappelle l’empreinte fondatrice d’Henri Bernus. Ce résistant, militant de la jeunesse ouvrière chrétienne et fondateur du mouvement squatteur à Marseille, est à l’origine des Castors du Merlan. Un peu plus loin, à proximité du centre commercial que surmonte une tour de seize étages, une plaque rend un hommage plus marqué, à cet ancien FFI qui faisait jouer ses réseaux de résistant jusqu’à Paris.
“Il était prévu une seconde tranche au Merlan, raconte Georges Heriakian, le président du conseil syndical des Vieux-Cyprès. Mais la Ville les a expropriés pour y construire la future voie rapide L2. Henri Bernus a donc trouvé ce terrain de 13 hectares appartenant à la famille Laplane, composé d’oliveraies, de terres maraîchères et de pinèdes.”
Avantages comparés entre HLM et Castors
Installé dans l’ancienne coopérative, envahie de chaises, le fils de Castor est intarissable sur le sujet. Retraité de la fonction publique, il compile les documents de l’époque avec une vraie passion pour cette aventure collective, allant jusqu’à Pessac (Gironde) où l’auto-construction a connu une première pierre d’importance, dans les terrains marécageux de l’Alouette, en 1948. Il a même réalisé un opuscule sur les avantages comparés des grands ensembles locatifs et des petites maisons des Castors. Sans surprise, le fléau penche vers les Castors pour “les bâtiments à taille humaine” et “pour l’esprit d’équipe et de solidarité”.
Il a vu son père, Manuel, ouvrier cordonnier, prendre son vélo au moindre temps libre pour donner sa part de l’apport travail. Lui-même a fait “des heures à 16 ans” pour un copain de son père qui ne s’en sortait pas. Il a carrelé, payé deux francs de l’heure, “trente centimes d’aujourd’hui”. Bien plus tard, il a racheté sa part d’héritage à sa sœur pour s’installer rue Germinal, dans un de ces maisons au toit de béton. Ramassées en bande à flanc de colline, elles donnent l’impression de se tenir les épaules.
Logements en bande
“Il ne faut pas se mentir, si on faisait ainsi des logements en bande, c’était directement inspiré de l’habitat ouvrier des corons, affirme le vieil homme, toujours gaillard à 76 ans. Mais, parmi les nouveaux arrivants, tout le monde ne comprend pas la particularité de cet habitat. Il se trouve que les façades comme les jardins et même les murs intérieurs sont des parties communes. On ne peut rien y construire sans l’aval de la copropriété.”
Les Castors sont morts, les veuves ont vendu quand les enfants n’ont pas repris, les surfaces étaient un peu mesquines.
georges Heriakan, président du conseil syndical
Avec Louis Roubin, le représentant du syndic professionnel, il ne cesse d’écrire aux copropriétaires, descendants de Castors ou nouveaux arrivants pour qu’ils se mettent en conformité avec le règlement. Derrière les hauts murs qui séparent aujourd’hui les jardins, on trouve toutes sortes d’édicules, vérandas, abri, entrée maçonnée ou piscines, construits sans autorisation de la copro, voire sans permis de construire. Le bel ordonnancement s’étiole. “Qu’est-ce que vous voulez, c’est comme ça, l’esprit s’en va, c’est dans l’ordre des choses, constate Georges Heriakian. Les Castors sont morts, les veuves ont vendu quand les enfants n’ont pas repris, les surfaces étaient un peu mesquines”. Parfois, certains achètent pensant acquérir une villa, alors qu’ils s’agit en réalité d’un immeuble horizontal.
Désormais, l’ancienne salle du magasin coopératif ne sert plus guère, en dehors des assemblées générales. Les mariages et fêtes n’y seraient pas les bienvenus, trop proches des habitations. À l’intérieur, les murs sont décorés des banderoles tracées à la main des derniers combats historiques : la construction du collège sans concertation, le raccordement d’un programme voisin porté par Bouygues. Une reproduction du programme “Les jours heureux” du conseil national de la résistance réaffirme les valeurs d’antan. Elles ont pâli comme le papier a jauni.
Maisons individuelles, habitat collectif et centre commercial
La Coop est descendue s’installer plus bas, dans le centre commercial qui sert de base à la tour. Car, c’est là encore, une particularité des Vieux-Cyprès, en plus des petits bâtiments de quatre étages, le projet prévoyait une grande tour de 16 étages. “Mais, les pouvoirs publics ont refusé de considérer qu’il s’agissait là d’une opération Castor, reprend le président. Henri Bernus a donc demandé l’autorisation d’y faire une opération de promotion, en créant sa société privée, baptisée Logistyle”.
Une dernière opération a vu le jour sur l’ancien terrain qui servait à pondre les agglos. Une école provisoire y a été installée par la Ville avant d’être remplacée dans les années 80 par 17 villas, baptisés Castors de l’amitié, pour y loger les enfants de Castors. Mais personne n’a construit les murs de ses mains. Peu à peu, la ville a rattrapé cette campagne. “Je n’ai pas vu pousser les tours, constate Georges Heriakian. Je me souviens du Clos-La Rose, le premier grand ensemble, mais pour les suivants, j’étais déjà parti faire mes études. Soudain, elles étaient là. C’est vrai gâchis. On a fait des cages à poules”.
Plan en main, il est intarissable sur l’urbanisation de ces collines où courrait le Jarret. Il constate avec peine cette normalisation qui banalise. “À la fin des années 80, trois voies, Fructidor, Brumaire et Thermidor, ont été cédées à la Ville en échange de l’entretien et de l’éclairage public”, explique Louis Roubin. “C’est une bêtise, tranche le président. On a gardé l’assainissement qui est le plus cher“.
Fermeture aux rodéos
La copro a alors dû faire face à un flot de voitures qui l’utilisent comme voie de délestage des artères voisines, surchargées. “Et puis comme la voie est circulaire, c’est idéal pour y faire des rodéos”, souffle le syndic. Face à ces nuisances qui s’accumulent, les Vieux-Cyprès se ferment par petits bouts. Les deux hommes viennent d’écrire à Martine Vassal, présidente de la métropole, pour annoncer leur intention de clore les accès à la copropriété. Une décision, à laquelle Marsactu a consacré une autre série d’été, qui se banalise depuis plus de 20 ans : le phénomène des résidences fermées concernerait près de 30 % des voies de la ville selon les travaux d’Élisabeth Dorier.
L’affaire n’est pas si simple, surtout au sommet de la colline où les rues partent en traverses, ici la Carmagnole, là la Lanterne, le passage des Jacobins ou de Robespierre. Il faut apporter l’électricité, délimiter les accès, publics ou privés.
Déjà le terrain de boules a dû fermer “quand le pastis entre copains s’est transformé en vodka Redbull pour les jeunes des quartiers”. De toute part, les murs s’élèvent, remplaçant les murets et les vieux grillages.
Au nord, la copropriété espère faire protéger, sous le statut de terres agricoles, les derniers vestiges de la plaine maraîchère, lors de la prochaine modification du plan local d’urbanisme. Déjà, les Vieux-Cyprès ont gagné en 2019 une petite étoile qui signale un “patrimoine bâti à protéger au titre d’une forme d’habitat spécifique”. “On aimerait qu’il y ait une consultation de l’architecte des bâtiments de France à chaque modification du bâti, espère Georges Heriakian. Cela appuierait le règlement de copropriété“. Une entrée dans l’histoire et une fermeture sur le quartier.
Commentaires
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Quelle belle histoire et quelle nostalgie, merci pour ce bout de vie des gens et de Marseille
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L’esprit n’est pas tout à fait perdu lorsque les Compagnons bâtisseurs Provence interviennent dans les logements et en pied d’immeuble. Le faire-avec et le faire-ensemble ne sont pas obsolètes. Un peu partout dans à Marseille et en dehors, on perpétue le mouvement d’auto réhabilitation initié par les Castors…
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