En appel, les ex chefs des pompiers Maggi et Jorda se défaussent de leurs responsabilités
Poursuivis pour prise illégale d’intérêts, favoritisme et du détournement de fonds publics, l'ancien maire de Velaux Jean-Pierre Maggi et le colonel retraité Luc Jorda ont comparu mardi et mercredi devant la cour d'appel d'Aix. L'avocat général a requis, comme en première instance, de la prison ferme pour les deux hommes.
Jean-Pierre Maggi et Luc Jorda lors de leur procès en appel. (Photo C.By.)
“Amateurisme et sentiment de toute puissance dans le maniement des fonds publics”. En quelques mots lapidaires, Pierre-Jean Gaury, l’avocat général, peint le tableau du procès qui s’achève. Pendant deux jours, ces 3 et 4 mai, Jean-Pierre Maggi, 78 ans, maire socialiste puis divers gauche de Velaux de 1977 à 2020, et président du service départemental d’incendie et de secours des Bouches-du-Rhône (SDIS 13) de 1998 à 2012 et Luc Jorda, 73 ans, directeur de ce même établissement public de 1997 à 2014, étaient renvoyés en appel pour des faits présumés de prise illégale d’intérêt, de détournements de fonds publics et d’atteinte à l’égalité des marchés.
Debout dans le box du ministère public, Pierre-Jean Gaury fait du SDIS époque Maggi-Jorda un “bateau ivre”. “On ne peut pas parler de système mafieux, mais toutes ces irrégularités ont démontré l’évidence et la réalité des faits reprochés aux prévenus”, martèle-t-il. Au terme des débats, il demande à la cour “une sévérité exemplaire” à l’égard des deux prévenus. Il requiert contre l’ancien élu quatre ans d’emprisonnement dont 18 mois ferme (à réaliser à domicile sous surveillance électronique), 100 000 euros d’amende et 5 ans de privation de droits civiques. Et à l’encontre de Luc Jorda : trois ans d’emprisonnement, dont un ferme, 75 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction d’exercer des fonctions similaires. Des réquisitions proches de celles prononcées en première instance en janvier 2021, mais allégées de la saisie de biens immobiliers.
La 6e chambre correctionnelle de Marseille avait ensuite condamné Jean-Pierre Maggi à trente mois d’emprisonnement dont six mois de prison ferme et à cinq ans de privation des droits civils et civiques. Luc Jorda avait écopé, lui, de deux ans de prison dont six ferme, à purger à domicile sous surveillance électronique.
Dossier à tiroirs
Le dossier Maggi-Jorda est de ceux qui recèlent de multiples tiroirs. Celui-ci en contient trois. Le plus garni, le plus lourd, a trait au Cireex. La création et l’exploitation de ce centre international de ressources et d’expertises construit à Fos-sur-Mer à l’initiative du SDIS 13 ont été confiées par sa direction à la société privée Safety Center Training (SCT). Ce gros morceau lie les deux hommes. Les deux autres temps du procès – l’embauche au SDIS sur recommandation de Jean-Pierre Maggi de proches ou de saisonniers velauxiens et la cession d’un terrain communal de Velaux aux enfants de sa compagne – ne concernent, eux, que l’ancien maire.
À la barre, les deux hommes choisissent deux options de défense distinctes. À Maggi, la rondeur bonhomme et la séduction de l’élu de proximité qu’il fut un demi-siècle durant ; à Jorda la rudesse pète-sec de l’ancien colonel. Lorsque Jean-Pierre Maggi admet sans difficulté ses “erreurs”, concède avoir “eu tort”, Luc Jorda – énervé, virulent parfois à la limite de franchir la ligne rouge face à la présidente Anne-Valérie Lablanche – nie et nie encore. Lui n’est “pas d’accord”, répète-t-il à l’envi, avec les “interprétations” du dossier que fait le tribunal. Il ne pense pas avoir “commis de faute” mais vit depuis le début de cette procédure qui s’étale sur plus de 10 ans “dans les flammes de l’enfer”.
Vous engagez des fonds publics. En tant que président ordonnateur, il vous appartient de vérifier que vous les engagez à bon escient.
La présidente
La présidente attaque l’audience par le Cireex. Soit la réalisation à Fos-sur-Mer d’un établissement de formation à la lutte contre les incendies, notamment liés au risque industriel. Une idée novatrice et pertinente sur le papier. Un fiasco à l’arrivée. Les débats laissent un goût d’inachevé et moult questions en suspens. Pourquoi le SDIS 13 passe-t-il une convention, à plus de 160 000 euros, avec la société SCT sans mise en concurrence, au mépris de toutes les règles des marchés publics ? Pourquoi le SDIS prend-il à sa charge – pour 200 000 euros – des travaux de terrassement que ladite société devait réaliser ? Pourquoi le SDIS 13 met-il trois de ses pompiers à disposition de cette entreprise privée pendant presque deux ans, pour un coût d’environ 330 000 euros pour la collectivité ?
À ces questions, que la présidente Lablanche pose avec une régularité de métronome, Jean-Pierre Maggi n’apporte que peu de réponses. “Vous engagez des fonds publics, appuie la présidente. En tant que président ordonnateur, il vous appartient de vérifier que vous les engagez à bon escient”. Mal à l’aise, l’ancien président des casernes départementales extirpe, d’un vieux cartable bordeaux posé à ses pieds, des notes rangées dans des blisters. Il évacue : “Ce dossier, ce sont les services qui l’ont monté et proposé. Moi, je n’intervenais qu’à mon niveau d’élu”. L’avocat général ironise : “C’est à se demander à quoi sert un président, alors !”
Je n’avais pas les moyens intellectuels de vérifier tout ça.
Jean-Pierre Maggi
La gestion calamiteuse du dossier Cireex, qui pourrait relever du détournement de fonds publics, n’est donc pas la faute de Jean-Pierre Maggi. À plusieurs reprises, il assure d’ailleurs ne pas avoir les “moyens intellectuels de vérifier tout cela”. La faute n’est pas plus celle de Luc Jorda, à l’entendre. L’ex-directeur des pompiers réfute tout en bloc et avec une véhémence fracassante. Il voit dans la convention entre le SDIS et la SCT, “un partenariat public privé”. “On n’avait pas la volonté de cacher quoi que ce soit”, dit-il. À ses yeux, tout était “bordé” par un avocat qu’il charge abondamment. “Mais sur le terrain, le vrai patron du SDIS, c’était vous, non ?”, recadre sèchement Anne-Valérie Lablanche.
Plus le colonel retraité s’exonère, plus elle se montre abrasive : “On ne prend pas un rôle de direction et le traitement qui va avec sans prendre les responsabilités qui vont avec”. Luc Jorda comme Jean-Pierre Maggi ont “engagé des fonds publics (…) sans prendre aucune précaution”, pique-t-elle. L’ex directeur minimise les sommes ainsi déboursées avec une légèreté désarmante. Les travaux?: “Ça n’a coûté que 200 000 euros”. Face à lui, la présidente se décompose. Plus tard, Angélique Gallucci, pour l’association Transparency International, partie civile, ne manquera pas de moquer ces prévenus qui malgré “leur pouvoir décisionnel, leur pouvoir de contrôle” ont finalement laissé se réaliser “à l’insu de leur plein gré” un montage financier bancal et préjudiciable pour la collectivité.
Promotions et embauches familiales
Les autres dossiers se centrent ensuite sur Jean-Pierre Maggi. Désormais retraité, le maire de Velaux d’alors, a-t-il fait embaucher par le SDIS le fils et le gendre de Josiane Goud, sa compagne à l’époque devenue sa femme, en troisièmes noces, en janvier 2013 ? A-t-il ratifié en tant que président de l’institution, la promotion et la titularisation de sa future épouse, technicienne devenue en deux ans technicienne supérieure cheffe, au SDIS ? Dans les deux cas, il répond par l’affirmative. “Je ne conteste pas les faits, mais je conteste la façon dont ils sont présentés. Si je suis là, c’est qu’on me reproche quelque chose”, reconnaît celui qui fut aussi député de 2012 à 2017. “Je n’aurais jamais dû m’occuper de la carrière de ma compagne”, convient-il avant d’admettre que son “impartialité” était alors forcément mise à mal. Même aveu pour avoir pris part aux embauches des fils et gendre de celle-ci.
Le vieux baron de la gauche départementale, ancien proche de Jean-Noël Guérini, balaye, en revanche, tout clientélisme électoral dans le recrutement, au sein des équipes du SDIS 13, de saisonniers majoritairement originaires de Velaux ou du canton de Pélissanne dont il était également conseiller général. En moyenne, dans les années 2008, 2009 ou 2010, autour de 60% des recrues estivales, dûment recommandées par une lettre type signée de sa main, émanaient de ses fiefs électoraux. “Des milliers de maires font comme ça ! Mais c’est pas des emplois d’été qui vous font élire”, tranche-t-il sur le ton d’un homme de l’art. Il égrène non sans fierté les élections victorieuses remportées dans sa carrière : “Sept et avec une moyenne de 58 % des voix”.
Secret de polichinelle
Reste la parcelle AW213. Un terrain municipal que la commune de Velaux vend, en 2011, à deux enfants de la compagne de Jean-Pierre Maggi et leurs conjoints. Ce terrain est cédé 200 000 euros – le montant évalué par les Domaines – via une agence immobilière velauxienne qui ne percevra qu’une commission modique, 1000 euros contre 10 000 euros à 14 000 euros estimés pour une transaction de ce montant. Le passage via un professionnel de l’immobilier a-t-il servi, comme le suggère la présidente, à “faire écran” pour dissimuler les attaches familiales entre le maire de la commune vendeuse, et les acquéreurs, ses beaux-enfants ? L’édile affirme que non.
À l’opacité qui lui est reprochée, il oppose que ses liens avec les acheteurs étaient de notoriété publique, “un secret de polichinelle”. L’élu a tout de même eu la grande maladresse de participer au scrutin actant cette vente en conseil municipal. De nouveau, à la barre, il confesse son erreur: “Je me suis emboucané tout seul”. La prise parole, pleine d’émotions, des enfants de Josiane Goud – “vous parlez d’une parcelle, nous parlons de notre foyer” – n’empêche pas l’avocat général de requérir, comme en première instance, la confiscation de ce terrain.
L’agressivité, ce signe d’innocence
En défense, comme les deux prévenus l’ont fait pendant ces deux jours, leurs avocats cherchent à minimiser leurs responsabilités, notamment dans l’épineux dossier Cireex. Pour Luc Jorda, Gaëtan Di Marino, conteste tout délit. Son client a fait preuve à la barre “d’agressivité et de colère”, soit. Mais ce sont là “les signes de son innocence.” Il réitère, comme en première instance, sa requête d’une relaxe totale.
Quelques minutes avant lui, Gilbert Sindres, le conseil de Jean-Pierre Maggi réclame la relaxe également, mais pour les seuls faits de détournement de fonds publics. Pour ceux relevant de la prise illégale d’intérêt que son client reconnaît dans leur ensemble, il demande au tribunal de punir Jean-Pierre Maggi, mais de prendre en considération le fait que l’ancien maire a évolué dans la reconnaissance de ses fautes. Le jugement a été mis en délibéré au mercredi 22 juin.
Commentaires
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La maggicratie c est fini on dirait
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On peut supposer que les sommes détournées, que payent nos impôts, ne seront jamais remboursées
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1er paragraphe : réquisitions amputées des saisies immobilières ! ça ira mieux en lisant moins vite.
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Vertigineux, aussi, cet argument-massue de l’élu = ‘je n’avais pas les moyens intellectuels de vérifier tout ça’. Oui, élu et réélu durant des lustres SANS MOYENS INTELLECTUELS … comme quoi, la bêtise n’est PAS une garantie d’innocuité ni d’honnêteté, et n’empêche pas d’aller à la soupe ! Pour peu que Maggi et son compère prennent effectivement un ‘bouillon’ à l’issue du délibéré, la vente de leurs appartements à Paris et Montpellier devrait limiter un peu les dégâts financiers pour la collectivité.
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