Emplois d'avenir au conseil général : quand les élus jouent les DRH

L'hôtel du département.

La mesure est un symbole de la politique dédiée à la jeunesse voulue par François Hollande. Les emplois d’avenir doivent permettre aux chômeurs de moins de 25 ans, sans qualification ou presque (maximum CAP) d’acquérir l’expérience et la formation suffisante pour s’insérer dans la vie active. Le gouvernement peine à tenir les quotas de recrutement. Invitées à prendre leur part dans cette action, les collectivités locales ont plutôt rechigné. Pour sa part, le conseil général des Bouches-du-Rhône doit bientôt recruter 150 emplois d’avenir sur trois ans pour un coût estimé à 3,6 millions d’euros par son président Jean-Noël Guérini (soit un quart des salaires, le reste étant payé par l’État). Forcément, en ces temps de chômage de masse, toute promesse d’emplois publics entraîne des questions légitimes sur la façon dont sont opérés les recrutements. “C’est Pôle emploi qui gère”, nous a expliqué le conseil général, dans un premier temps. Mais, en creusant un peu, on s’aperçoit vite que pour obtenir un de ces précieux postes, mieux vaut avoir déjà… du réseau.

Au conseil général, les premiers à avoir flairé l’aubaine sont les élus qui y ont vu un beau moyen à un an des municipales de satisfaire quelques-uns de leurs administrés. La décision a été prise par Jean-Noël Guérini, confient plusieurs élus, de ventiler l’enveloppe entre les conseillers généraux et une liste d’une centaine de noms a déjà été transmise pour contrôle à Pôle emploi. “Le président nous a dit en réunion que ce serait réparti entre nous. Moi, normalement, j’en ai trois mais ça peut encore varier”, glisse un conseiller général marseillais qui réclame comme nombre de ses collègues l’anonymat. “Moi, j’en ai quatre comme tout le monde”, complète sans complexe un élu hors de Marseille qui compte bien décider seul de leur destination “sans en parler” aux autres élus de son canton. Un autre, en froid avec Guérini, se lamente : “S’il y a bien un cocu dans cette affaire, c’est moi ! Cette année, je n’ai obtenu que deux emplois saisonniers.”

La nièce d’un conseiller général

Certains comme Christophe Masse restent droit dans leurs bottes et s’en tiennent à la version officielle : “Un système comme ça, ça n’est pas possible, c’est Pôle emploi qui gère”. L’élu des quartiers Nord, Rebia Benarioua, maintient également la version officielle. Ce fidèle de Jean-Noël Guérini commence d’abord par minimiser le système :  “On a commencé à recevoir plein de CV. Oh… Vous allez encore parler de clientélisme mais nous les élus sommes sollicités en permanence. Bien sûr on a fait passer les dossiers à la DRH. Après, ils passent l’entretien comme tout le monde”.  Quant à la question des quotas par élu, il n’en a “pas entendu parler”. Pourtant, dans la liste de 100 noms, une jeune femme du nom de Benarioua apparaît et le conseiller général finit par concéder qu’il a proposé sa nièce. “Oui, c’est la fille de ma soeur. Elle fait partie des demandes mais elle est éligible, elle passera l’entretien comme tout le monde. Elle a le droit de travailler comme tout le monde. Je l’appuie comme les autres : un courrier à la DRH. Comme les autres.”

Comme les autres, la formule revient comme une rengaine. La pratique semble suffisamment ancrée pour qu’elle paraisse normale. Ainsi, parmi les représentants de l’État, on ne fait que peu de cas de cette histoire : “S’ils sont éligibles, à la limite, peu importe la manière dont ils sont chalutés”, glisse-t-on dans les couloirs de la préfecture. La région a elle finalement renoncé à mettre en place un système analogue à celui du conseil général, explique un conseiller régional de la majorité : “cela devait être réparti entre les élus avant que certains d’entre nous s’en émeuvent et qu’on arrête le système pour mettre en place une commission et que l’on n’autorise plus les conseillers régionaux à proposer des candidatures”.

Au conseil général, face à notre insistance, on devient finalement plus disert. “En ouvrant des postes, c’est normal qu’il y ait des candidatures. Qu’ils passent par la DRH ou par les bureaux des élus, cela ne change pas grand chose. De toute façon, les candidatures doivent être validées par Pôle emploi et ensuite, les éligibles passent devant un jury composé de fonctionnaires de la direction des ressources humaines et d’agents spécialistes du métier ciblé”.

Une chose est sûre, le conseil général n’a pas vraiment été regardant sur les profils qu’il a envoyés à Pôle emploi. Parfois, il n’a même pas pris le temps de vérifier qu’il avait toutes les pièces. Certains noms sont arrivés sans CV ni informations supplémentaires sur la qualification du candidat. Un autre candidat n’avait certes pas de diplôme mais pour une simple raison, il est toujours à l’école. En terminale, plus précisément.

Aucune communication des offres

Qui plus est, la collectivité n’explique pas comment elle a pu obtenir autant de candidatures. Si le principe de ces emplois est acté depuis la fin de l’année dernière et adoptée en commission permanente, aucune communication n’a pour l’heure été faite autour de ces emplois. La signature solennelle avec le préfet souhaitée par le président n’a même pas encore eu lieu. “Je ne peux pas ignorer la situation du président”, justifie Hugues Parant en soulignant la forte volonté de Jean-Noël Guérini, sujet en ce moment à des ennuis de santé, en faveur de cette paraphe symbolique.

“Il y a des candidatures proposées par Pôle emploi”, veut convaincre le conseil général. L’offre n’a pourtant jamais été officiellement publiée. Du coup, l’accès à ces emplois a été très longtemps verrouillé. En revanche, peu de temps après notre demande d’explication, il semblerait effectivement que le conseil général ait sollicité Pôle emploi et à la mission locale pour proposer des CV. Seule la liste finale dira si cela n’est pas un effet de manche.