Emmaüs Pointe-Rouge expulse une mère isolée juste après l’obtention de sa carte de séjour
Bénévole depuis quatre ans, une femme guinéenne dénonce sa mise à la porte par l'association, sans avoir le temps ni les ressources pour retrouver un toit.
Emmaüs Pointe-Rouge, qui accueille une boutique et loge une soixantaine de bénévoles. (Photo : LC)
À compter du lundi 2 septembre, Mama, 28 ans, ne saura plus où dormir avec sa fille, âgée de 9 ans. Arrivée de Guinée en bateau il y a quatre ans, cette jeune mère célibataire a passé toutes ses années en France en tant que bénévole à Emmaüs Pointe-Rouge, qui comprend une boutique ouverte au public. Comme de très nombreux “compagnons” qui travaillent dans la structure contre hébergement gratuit, Mama était sans-papiers. Cet été, elle a enfin obtenu un titre de séjour temporaire. La fin d’un combat, le début d’un autre : c’est le moment qu’Emmaüs Pointe-Rouge a choisi pour la mettre à la rue.
“Je leur ai fourni quatre ans de ma vie. J’ai mal au cœur. Emmaüs, c’est pour aider les gens ou pour les briser ?” lâche la jeune femme, désespérée. Nous la retrouvons dans un parc en pleine journée. Mama n’est plus autorisée à travailler à Emmaüs Pointe-Rouge depuis que la structure lui a demandé de faire ses valises. Elle tente un appel au siège d’Emmaüs France. Au téléphone, elle résume sa situation, expose son désarroi, mais la femme au bout du fil répète plusieurs fois : “De ce que je comprends, ils vous ont prévenue un mois à l’avance. Ils ont respecté la procédure. Je suis désolée. Au siège, on ne peut pas dire aux communautés locales ce qu’elles doivent faire.”
Mama esquisse un “merci” poli, salue et raccroche. De son sac, elle sort trois courriers qu’elle nous montre. Le premier date du 13 juillet. Il est signé de la présidente d’Emmaüs Pointe-Rouge, Fatiha Abdelali. On lit que Mama a commis plusieurs entorses au règlement. “Nous estimons que l’ensemble de ces faits constituent un faisceau d’éléments suffisamment graves nous conduisant à vous exprimer notre souhait que vous quittiez la Communauté avec une solution vous permettant d’assurer les conditions d’une éducation digne à votre fille”, conclut le courrier. Les deux autres courriers annoncent la date choisie pour son départ : le 2 septembre, jour de la rentrée scolaire pour sa fille.
Conflit ouvert avec un responsable
Que reproche-t-on à Mama ? D’abord, plusieurs vidéos publiées sur le réseau TikTok, où la bénévole profère “des accusations graves” de “racisme” et de “favoritisme” à l’encontre de Kamel Fassatoui, l’un des trois responsables de la structure, lit-on dans le courrier. Sur ces vidéos que nous avons pu visionner, Mama explique qu’au fil du temps, ses rapports avec ce responsable se sont dégradés, virant au conflit ouvert. Elle évoque notamment une dispute où Kamel Fassatoui aurait soutenu une autre bénévole, alors que cette dernière aurait ordonné à Mama de faire sa vaisselle personnelle. Une situation jugée dégradante et dénigrante. “Mais je n’ai jamais publié ces vidéos, ce sont des vidéos brouillons que j’ai envoyé à des gens”, se défend Mama. Impossible à vérifier. À l’heure actuelle, elles ne sont effectivement pas en ligne.
Toujours dans le même courrier, Emmaüs Pointe-Rouge explique que fin juin, la bénévole a fait entrer un camion sur le parking de la structure sans autorisation, pour procéder à “un enlèvement massif de biens divers”. De simples sacs de courses lui appartenant destinés à être envoyés en Guinée, se défend Mama, en nous montrant des photos. Pas de quoi provoquer son expulsion, soutient-elle.
“À Emmaüs, il y a trois interdictions un peu au-dessus des autres : la violence, la drogue et l’alcool”, déroule un autre bénévole, soutien de Mama, qui souhaite rester anonyme. “Elle n’a rien commis de tout ça, poursuit un second compagnon également rencontré par Marsactu. Elle fait des erreurs, comme on peut tous en faire. Mais de là à lui laisser un mois pour trouver un autre logement et un travail ? Ça fait quatre ans que sa vie est là, c’est impossible ! Elle vient d’avoir ses papiers, ils ne lui laissent même pas le temps de s’organiser.” Tous les deux estiment assister à “trois ou quatre expulsions par an”, mais qualifient d’inédite la mise à rue d’une mère célibataire. Comme Mama, quatre autres femmes sont hébergées avec leurs enfants à la Pointe-Rouge.
32 heures de bénévolat par semaine
Ces quatre dernières années, comme la soixantaine de compagnons d’Emmaüs Pointe-Rouge, Mama a gagné tout juste 400 euros par mois, pour 6 h 30 de travail quotidien, cinq jours sur sept. Cette somme n’est pas un salaire mais une “allocation communautaire”, statut officialisé par l’État et dont le montant est fixé par Emmaüs France. Il lui a toujours été donnée en liquide, et comprend aussi une prime de congés, puisqu’elle bénéficie de 30 jours de vacances par an. Des modalités confirmées par les deux autres compagnons interrogés.
En échange, la structure fournit un hébergement, et les repas sont préparés par les bénévoles. Mama a d’ailleurs longtemps été affecté à la cuisine ainsi qu’à la plonge et au nettoyage des toilettes. “Les postes les plus fatigants, beaucoup plus que ceux en boutique”, appuie un autre bénévole qui souhaite lui aussi rester anonyme. “On gagne trop peu pour économiser, on n’a pas le droit à la CAF, on a du mal à chercher un vrai travail ailleurs vu qu’on est déjà presque à temps plein ici… C’est comme si tout était fait pour qu’on arrive pas à sortir du système”, analyse un autre bénévole.
Ce quotidien précaire, auquel s’ajoute pour certains la fragilité d’être en attente de régularisation, a déjà été dénoncé ailleurs en France. Dans plusieurs Emmaüs du Nord, des dizaines de sans-papiers ont même mené une grève inédite en 2023, largement documentée par nos confrères de Streetpress. À Emmaüs Pointe-Rouge, les trois bénévoles que nous avons rencontrés avancent que les autres compagnons ont peur de parler. “On est des gens sans situation, on ne peut pas risquer de se retrouver à la rue”, résume l’un de nos interlocuteurs. Un ancien bénévole que nous avons aussi contacté se rappelle de la “solidarité” à l’œuvre : “Dans ces structures, on vit tous ensemble, on se soutient entre sans-papiers. On est des bosseurs. Je me souviens de Mama, c’est quelqu’un qui bosse et qui ne prend jamais de pause.”
“Elle a eu ses papiers, elle doit partir !”
D’ailleurs, cette dernière vient de déposer ses premiers CV et d’envoyer son dossier à la CAF, deux démarches qu’elle ne pouvait entreprendre tant qu’elle attendait son titre de séjour. “Mais j’ai besoin d’un peu plus de temps, un mois c’est trop court ! Ils m’ont recommandé une liste d’hôtels. Mais comment je paye ? J’ai pas d’argent !” Nous avons pu voir la liste en question. Tous les établissements facturent 300 euros par mois minimum. Mama s’inquiète aussi pour la rentrée scolaire de sa fille, qui était jusque là inscrite à la Pointe-Rouge.
Contacté, Kamel Fassatoui n’a pas souhaité répondre à nos questions. “Je ne souhaite plus communiquer avec Marsactu”, indique-t-il par texto. Peut-être une allusion à l’un de nos articles, paru en 2021, sur un précédent conflit interne ? Il précise ensuite être “le seul habilité à communiquer” au sein de la structure. Puis, après lui avoir objecté la présence de deux autres responsables et d’une présidente : “Vous n’avez qu’à essayer de les contacter”, conseille-t-il.
Par téléphone, la présidente, Fatiha Abdelali, écourte elle aussi la conversation. Elle n’évoque pas les “fautes” commises par Mama, pourtant énumérées dans le courrier signé de sa main. Et parle uniquement de la situation administrative de la bénévole : “Elle a eu ses papiers, elle doit partir !” soutient-elle plusieurs fois, oubliant l’existence de nombreux bénévoles français ou en situation régulière. “Elle n’est pas expulsée, c’est son choix de partir”, répète la présidente. “Toutes les personnes qui partent d’ici partent d’elles-mêmes”, conclut-elle. Sans craindre de contredire, donc, les courriers qu’elle a elle-même signés. À cinq jours de l’échéance, Mama sait que le dialogue est rompu avec la hiérarchie. Sa dernière demande ? “Plus de temps, pour m’organiser.”
Commentaires
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Pas de violence, drogue, alcool, et pour les mains aux fesses c’est comment ?
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Présence très discrète des habituels dénonciateurs et révolutionnaires de la place Bernard Cadenat , du comptoir du bar de la place Jean Jaurès ou des “bobos” gauchistes du 8eme puisque le député est du NFP maintenant ,au sujet des exploiteurs qui profitent des immigrés et des femmes ou bien des deux.
Sans doute les effets du “silence laïc” , concept subliminal qui peut aussi se traduire par le fameux “qui ne dit rien consent”.
Sans doute des “pudeurs de gazelles” comme dit l'”autre”.
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Soyez plus précis afin de ne pas glisser dans des allegations gratuites.
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Pas joli joli.
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Reprenez notamment l’épisode du “Radisson” et les dames qui font le ménage et qui heureusement sont sorties avec quelques succès du conflit. Les propriétaires , les dirigeants et les clients se sont faits “pourrir” par les justiciers de comptoirs de service, en accord ainsi avec leurs consciences politiques de gauche.Mais là le “silence laïc” , j’adore cette expression au demeurant, dans toute sa splendeur.
Pas joli, joli dites vous. Cela est ma foi bien vu.
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La charité chrétienne ( emplatre sur une jambe de bois) a souvent un revers que l’on voit ou pas … les ” bonnes oeuvres” dans des sociétés construitent sur les inégalités montrent quelques fois leurs failles. C’est vieux comme le monde, relire Germinal de Zola et se souvenir ( plus récemment) de ce restaurant à Notre Dame de la Garde qui a fin
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finalement fermé car les employées étrangères étaient garvement exploitées ( non respect du code du travail)
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Merci à Emmaüs Pointe-Rouge, qui oeuvre depuis de nombreuses années pour aider les plus démuni-e-s ( qui, généralement, n’ont pas les moyens de se payer un smartphone avec le forfait qui va avec pour faire des ” tic toc”…) !
Au nom des centaines de personnes que vous avez sauvé, MERCI !!!
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