Trois jours d’école de luxe pour les bons élèves des quartiers prioritaires

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le 22 Fév 2016
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120 élèves venus de collèges classés en éducation prioritaire, choisis pour leurs bonnes aptitudes scolaires, ont eu droit à des cours haut de gamme. L'Institut Louis-Germain, association à l'origine du projet, vise l'excellence pour leurs futurs.

(Photo LC)
(Photo LC)

(Photo LC)

13 h 57 un vendredi après-midi pendant les vacances scolaires. Des petits groupes d’ados en baskets galopent dans les escaliers en moquette du World Trade Center. Ils sont comme chez eux dans les allées de ce bâtiment d’ordinaire dédié au monde de l’entreprise. Pendant trois jours, ils sont les élèves de l’Institut Louis-Germain, une association qui propose aux meilleurs élèves des quartiers prioritaires d’approfondir leurs savoirs.

En poussant la porte d’une salle de séminaire d’entreprise, quinze élèves de 3e interrogent leur professeur sur la linguistique japonaise. Pour eux, l’après-midi c’est français et culture générale et mathématiques le matin. “Vous vous rappelez de la distinction signifiant-signifié ? Eh bien, le japonais m’a vraiment appris l’arbitraire du signe !”. Antoni, chercheur en esthétique à l’université ne ménage pas son public. Les élèves sont si calmes qu’on se demande si l’heure de la sieste ne fait pas son œuvre. Disposés en U autour de lui, ils sont en réalité à l’affût. “C’est quoi la syntaxe monsieur ?” interrompt au vol Zinédine. Le prof rebondit sur la question et quelques secondes plus tard, le voilà parti sur un nouveau sujet : l’apprentissage du langage soutenu.

Il propose alors à ces jeunes de moins de 15 ans une expérience tout à fait inédite : écouter un français tellement sophistiqué qu’il en paraît étranger. Lumières éteintes et rideaux fermés, la voix du comédien Denys Podalydès lisant un texte de Roland Barthes résonne dans la pièce silencieuse. “Vous avez compris quelque chose ?”, interroge le prof à la fin de l’extrait. Les “ouiiii !” et les “nooon !” se mélangent. Une élève a pris les devant “J’ai noté tous les mots que je n’ai pas compris ! “Métaphysique”, “occulter”, “mettre en batterie”…”

“On travaille sur Roland Barthes et ils kiffent”

“Parfois, au collège, mon niveau est plus élevé que celui des autres. Ici, la vitesse de travail me convient”, confie Sarah, 14 ans et demi. Pour pallier l’ennui, elle a commencé à apprendre le japonais en autodidacte. “Tout le monde veut travailler, vraiment, ça change !” s’enthousiasme de son côté Nicolas, scolarisé au collège Jacques-Prévert dans le 14e arrondissement.

“Mon objectif c’est de leur donner faim”. Passé par les sciences de l’éducation, l’enseignement en collège et maintenant la recherche en philosophie, Antoni se réjouit de l’émulation qu’il parvient à susciter : “C’est des troisième des quartiers nord, on travaille sur Roland Barthes et ils kiffent !”. Que ce soit avec de bons ou de mauvais élèves, la pédagogie à suivre est pour lui la même. “Quand on est en échec scolaire, c’est que l’école ne répond pas à nos besoins. Souffrir parce qu’on est en avance, c’est la même chose”, assure-t-il.

“Les mener vers un vrai bac”

À l’origine du projet, pas d’enseignant mais un ancien du monde de l’entreprise, Julien Puel. Inspiré par la figure de Louis Germain, l’instituteur qui avait donné le goût de la connaissance à Albert Camus, il a créé l’association en 2014, inquiet pour ces jeunes, potentiels talents de demain, qui n’ont pas toujours l’environnement adapté pour viser haut. Il a donc contacté des collèges classés en REP+ pour leur proposer ce programme de tutorat en direction des bons élèves. Chaque proviseur convaincu a ensuite transmis l’offre aux familles de ses meilleurs élèves.

Ces derniers ont été “recrutés” en 3e et en 4e, assez tôt “pour les mener vers un vrai bac” en les suivant d’années en années, explique-t-il. Et surtout pour les aider à envisager un parcours dans l’enseignement supérieur. “Le souci majeur c’est après le bac, quand ils arriveront à la fac et qu’il leur faudra être autonome. En développant leur curiosité, on peut les armer pour cela”, confirme le professeur de philosophie.

Quand on les interroge sur leur avenir, les élèves sont encore dans le flou. “Un bac général d’abord !”, insiste Zinédine. “Continuer le plus longtemps possible !”, renchérit Anaïs. Ses parents, son père chauffeur poids lourds et sa mère hôtesse de caisse, lui ont bien fait comprendre qu’ils voulaient qu’elle aille loin, “pas comme eux”, dit-elle.

“Suivez le programme et allez plus loin”

Homme discret mais déterminé et un peu franc-tireur, Julien Puel a organisé, seul et bénévolement, les premiers campus l’année dernière à Avignon. Pour la version marseillaise débutée pendant ces vacances, il a vu grand. Dix collèges ont répondu à son appel et proposé l’expérience à leurs meilleurs élèves. Trois bus RTM ont été affrétés matin et soir pendant les trois jours pour amener les 120 élèves depuis les quartiers Nord vers le centre-ville.

Les professeurs qu’il a choisis sont tous formateurs, mais pas forcément en poste dans l’Éducation nationale, certains étant plus tournés vers les cours pour adultes, ou plus en lien avec le monde de l’entreprise.“La consigne c’est : suivez le programme, et allez plus loin, revendique Julien Puel, il n’y a pas de programme alternatif, nous ne sommes ni en confrontation, ni en substitution par rapport à l’Éducation nationale, nous sommes complémentaires”. Les professeurs comme l’organisateur se refusent à tout commentaire à voix haute sur l’état de l’enseignement dans les quartiers prioritaires. Mais tout dans la démarche dénonce, en creux, les insuffisances de l’éducation offerte à ces jeunes affamés de savoir.

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Les élèves et leurs familles s’engagent pour suivre les cours à chaque vacances pendant un an, contre la somme symbolique de 30 euros. Côté financements, l’organisateur philanthrope est peu disert. Après avoir récolté plus de 8000 euros via un appel au financement participatif, il n’a pas sollicité de subventions publiques mais démarche des mécènes parmi les grandes entreprises locales dont il préfère taire le nom. “D’importantes négociations sont en cours, je ne peux pas dévoiler leurs noms pour le moment”, se dédouane-t-il. Si les fonds espérés sont débloqués, une cinquantaine d’élèves sont dans les starting-blocks pour rejoindre le programme aux prochaines vacances scolaires, indique-t-il.

En cours de français, les quatre garçons du groupe sont en tout cas unanimes sur l’aspect qui leur a le plus plu dans le campus. “La pause de midi !”, s’exclame Mokrane. Pour plusieurs d’entre eux, à l’exception de Zinédine qui passe ses samedis à la bibliothèque de l’Alcazar, le centre-ville est une découverte. En moins de trois jours, le centre Bourse voisin est déjà devenu leur cour de récré. L’Institut Louis-Germain leur offre le cadre de vie des hommes d’affaires habitués des lieux. Quand vient l’heure de la pause, après avoir rédigé en groupe une lettre à l’adresse de Roland Barthes, la plupart s’attarde dans la salle, autour d’une fontaine à eau rutilante qui les amuse beaucoup. “Une fontaine à eau, de la moquette, rien que ça et ils se sentent plus aimés…” philosophe leur enseignant.

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Commentaires

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  1. julijo julijo

    Mouais, c’est mignon, plutôt sympa.
    Il faut aider les pauvres des quartiers défavorisés et l’expérience n’est pas sans intérêt…
    Pourquoi j’ai envie de gerber…?

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  2. Helene Goldet Helene Goldet

    Non, on n’est pas le 1er avril, c’est pas une blague….
    Je recommande à tous la lecture du “Roland Barthes sans peine” de Patrick Rambaud. Ce mélange de cuistrerie de bas étage (on leur fait lire du Roland Barthes), et de Word Trade Center à la Marseillaise (un vieux projet qui a foiré), ce serait drôle si c’était que le scénario d’un film.
    Mars Actu, je vous aime, c’est pas facile de faire ce job.

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  3. Happy Happy

    Voilà le genre de sujet qui peut provoquer des commentaires très tranchés. Et je trouve justement que l’article réussit à tenir un point de vue équilibré et pour tout dire humaniste . L’enthousiasme et l’investissement des adolescents montrent ce que l’expérience a de profitable au niveau individuel, et la journaliste en rend compte avec empathie, sans ironie facile : le désir d’apprendre de ces enfants est respectable et appréciable.
    Et dans le même temps, l’article n’occulte pas les questions légitimes que soulève une initiative privée, financée par du mécénat d’entreprises, visant à compléter (pallier ?) le service public d’éducation. Mais ces questions politiques, que je partage, sont présentées sur un autre plan que le plaisir immédiat de ces adolescents, dont on aurait tort de les priver (et de nous priver).
    Ainsi, on a une fois de plus deux niveaux d’un très bon journalisme : l’empathie avec les individus, le recul par des interrogations politiques qui sont soulevées mais dont les réponses ne sont pas assénées. Bravo à Lisa Castelly et merci !

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    • leravidemilo leravidemilo

      Ben, vous venez de dire l’essentiel. Pas grand chose à rajouter; si ce n’est de de relever que la qualité de l’article semble bien en pleine correspondance avec l’intérêt des contributions et commentaires qu’il suscite, y compris même des “”sarcasmes”” qui , par leur mise à distance, sont également un mode d’interrogation du réel …(Marsactu est une bonne école, pas toujours mais bien souvent!).

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  4. VitroPhil VitroPhil

    Je rejoins l’excellent commentaire de Thomas.
    L’article est bien fait et le sujet mérite plus de réflexion que de simple sarcasmes aussi fondés soient ils.

    Si cela ouvre des horizons à quelques jeunes c’est salutaires. Il existe d’autres formes d ‘initiatives complémentaires à l ‘ éducation nationale. On peut relever le formidable travail de l’association marseillaise PACQUAM depuis plus de 25 ans.

    Bien sûr, on devrait attendre que l ‘EN tire le meilleur de chaque élève mais en attendant on ne peut pas en conscience railler les initiatives complémentaires qu’elles soient d’inspiration éducation populaire ou comme dans notre cas du mécénat.

    On a le droit de préférer le premier mode au second. Mais dans tous les cas cela comble un manque malheureusement évident.

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  5. ALAIN B ALAIN B

    J’habite dans le 3ème, les journaux nationaux on enfin parlaient des problèmes des écoles dans notre quartier, pourtant en mai et juin les enseignants, les parents d’élèves ont manifesté sans le soutien des élus locaux.
    Vouloir “sauver” les meilleurs élèves cela pose le problème de l’abandon de ce quartier et si ces organisateurs ne mettent pas en cause les conditions de travail de ces élèves cela sera seulement de la bonne conscience.
    Des enseignants ont décidé de faire du soutien pour tous, les communistes du quartier leurs ont prêté leur local.
    La maison pour tous fait aussi du soutien mais pour tous
    Le secours populaire fait aussi du soutien
    Et surement il y a d’autres associations
    Alors que les élus déjà mettent les locaux en bon état, de baisser les effectifs de ces classes….. des solutions existent mais il faut une volonté politique

    Alors quand seront finies les écoles ghettos alors les bons élèves et tous autres pourront suivre et faire des études supérieures

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  6. JL41 JL41

    J’ai animé récemment une rencontre sur le décrochage, qui n’est pas seulement scolaire. Pour venir à bout, au moins partiellement, du décrochage scolaire, nous avons une panoplie connue d’inspirateurs : Steiner, Freinet, Montessori… (je cite de mémoire) pour changer le rapport à l’enfant et l’amener à se construire en référence à la diversité de ses petits camarades, sans esprit de compétition (au moins les premières années), mais en jouant les originalités personnelles et les complémentarités. Sans oublier la musique et le travail manuel : ces enfants savent planter un clou lorsqu’ils ont leur bac.

    Nous avions aussi le cas d’« Espérance banlieues » (voir le livre d’Harry Roselmack et Eric Mestrallet), où l’on peut constater qu’une partie des familles et des enfants accepte le retour à la discipline et à des valeurs parfois jugées traditionnelles comme le drapeau. Les vidéos et les images qu’on peut voir montrent des enfants heureux dont on nous assure qu’ils s’épanouissent. Dans cette école, l’intégration d’un enfant réclame parfois des mois de rattrapage individuel. Les parents savent que « l’école pour tous » ne le fera pas. Ces parents sont partisans d’une discipline où l’enfant sera cadré. Cette initiative venue des milieux de l’entreprise, financée par elles (et maintenant le public), n’a pas encore fait l’objet d’analyses sur les résultats et les valeurs transmises aux enfants. Si certains ont des éléments, je suis intéressé.
    L’école de Montfermeil : https://www.youtube.com/watch?v=QzFX2WEYiYI
    Certains parmi les lecteurs connaissent-ils l’expérience marseillaise : http://esperancebanlieues.org/projets-decoles/lecole-ozanam

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