[Document] Les menaces d’un policier pour dissuader Otman de porter plainte pour violences

Enquête
par Clara Martot Bacry & Coralie Bonnefoy
le 30 Août 2023
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Le policier mis en examen ce mercredi, notamment pour violences en marge des émeutes, a tenté de dissuader le blessé de porter plainte. Au cours d'un échange téléphonique dont Marsactu publie de longs extraits, l'agent demande à Otman de "faire le mort" s'il ne veut pas se retrouver "avec une procédure" contre lui.

Otman aux alentours de 22h45 à la Plaine le 1er juillet, après avoir été frappé par des policiers. (Photo : Julian B.)
Otman aux alentours de 22h45 à la Plaine le 1er juillet, après avoir été frappé par des policiers. (Photo : Julian B.)

Otman aux alentours de 22h45 à la Plaine le 1er juillet, après avoir été frappé par des policiers. (Photo : Julian B.)

“Tu parles pas de ce que tu as eu, que tu as passé la nuit à l’hôpital. Tu dis : « j’ai fait un petit malaise parce qu’il faisait chaud et j’ai pris un coup sur la tête. Mais rien de grave. »Voici le conseil menaçant que Pascal, agent en fonction à la division centre de Marseille, a donné à Otman, victime de multiples fractures au visage après avoir été frappé par des policiers. Ces paroles ne nous ont pas été rapportées. Elles ont été enregistrées lors d’un échange téléphonique que Marsactu a pu écouter puis authentifier, et que nous révélons aujourd’hui.

Otman, Marseillais de 36 ans, a été frappé par des policiers le samedi 1ᵉʳ juillet à l’angle de la place Jean-Jaurès et de la rue Saint-Savournin, au sortir d’un tabac pillé. Marseille connaissait sa troisième nuit d’émeutes consécutives à la mort de Nahel Merzouk à Nanterre. Otman, frappé au visage, alors qu’il est maintenu à plat ventre et entravé par des menottes, repartira de l’hôpital de la Timone en se voyant prescrire 15 jours d’interruption totale de travail (ITT).

Le parquet, comme l’a révélé Libération, a ouvert l’enquête pour “violences en réunion et avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique”, “abus d’autorité” et “menace en vue de déterminer une victime à ne pas déposer plainte ou à se rétracter”. Ce dernier chef fait notamment référence à un enregistrement téléphonique de 16 minutes versé à l’enquête que Marsactu s’est procuré. On y entend distinctement le fonctionnaire de police placé en garde à vue le 29 août au matin, dissuader la victime de porter plainte. À ce stade, le parquet de Marseille refuse de commenter une pièce “soumise au secret” de l’enquête.

Sur écoute

Selon des sources concordantes, le fonctionnaire mis en examen et placé sous contrôle judiciaire mercredi, comme l’a annoncé La Provence, est âgé d’une cinquantaine d’années et travaille au service interdépartemental de sécurisation des transports en commun (SISTC). Se faisant appeler Pascal, il était présent sur les lieux de l’agression. Le policier et la victime, qui assume dans nos colonnes avoir un passé judiciaire chargé, se connaissaient déjà. Le fait que ces deux hommes se soient retrouvés sur la Plaine le soir des faits apparait comme une pure coïncidence. Mais les appels échangés dans les semaines suivantes n’en sont pas. Dans l’enregistrement de l’un d’eux, on entend distinctement le fonctionnaire de police tenter de dissuader la victime de porter plainte.

Dans cet échange, il est clair que Pascal est présent au moment où Otman se “fait éclater la gueule”, comme dit ce dernier dans l’appel. C’est même ce policier qui remplit la “fiche de mise à disposition” sur les lieux à 22 h 45 qui fait état de l’interpellation du blessé. Sur cette dernière, consultée par Marsactu, Pascal a noté son numéro de portable. Le même que celui composé par Otman le 25 juillet. L’enregistrement audio transmis aux enquêteurs démarre par un appel de 23 secondes, puis un second, plus long, émis par un numéro masqué. La raison ? Pascal croit savoir qu’il est “sur écoute”.

Tu dis à ton collègue : « Moi ça m’intéresse pas, ils vont se faire enculer, moi je suis pour la police… »Tu dis juste ça.

Dans un premier temps, Otman explique à Pascal qu’un collectif qui lutte contre les violences policières, la Legal team, le cherche par l’intermédiaire d’un ami. Le policier l’enjoint de ne pas déposer plainte : “Je te le dis Otman, ils vont t’apporter que des soucis. Ils vont te forcer à faire des choses que tu veux pas. Et tu vas le regretter. Et surtout, tu vas passer dans les journaux. On va voir ta tête. Comme quoi t’es un cambrioleur, comme quoi t’es un émeutier. Je te le dis !” Et plus loin, encore : “Et tu auras surtout ta tête en photo de partout. Fais gaffe hein, fais gaffe !” Et en conclusion : “Tu dis à ton collègue : « Moi ça m’intéresse pas, ils vont se faire enculer, moi je suis pour la police… »Tu dis juste ça.”

Faire le mort

En creux, le fonctionnaire de police se montre carrément hostile. Dans l’entretien téléphonique, ressurgit à plusieurs reprises le fait qu’Otman n’a pas été poursuivi par la justice alors même qu’il a été interpelé à sa sortie du tabac pillé. Deux autres hommes arrêtés au même moment ont été condamnés en comparution immédiate à de la prison ferme pour vol. Mais pas Otman. Sur sa fiche de mise à disposition, aucun délit n’est coché, et deux mentions ont été ajoutées en marge : “non interpelé” et “hosto CHU Timone”.

Les policiers ont “fait une fleur” à Otman, soutient Pascal. Mais l’épée de Damoclès est là et le policier sait l’agiter : c’est la méthode forte. Si c’est un peu trop médiatisé […], les collègues, ils vont dire : « Ah mais lui, il nous chie dans les bottes, on va reprendre son dossier. Il était là, on s’est pas occupé de lui. » Hop ! ils risquent de te refaire une procédure dans le cul. Tu vois ce que je veux dire ?”, insiste Pascal. Le message est limpide : “Tu fais le mort et surtout, tu dis à ton collègue : « Je m’en bats les couilles. Jamais je déposerai plainte contre la police. »”

Surtout, le policier demande sans détours à Otman de mentir. Les multiples fractures sur son visage ? “Tu dis : « j’ai fait un petit malaise. Les policiers, ils ont appelé les pompiers, c’est tout. » Tu parles pas de ce que tu as eu, que tu as passé la nuit à l’hôpital. Tu dis : « j’ai fait un petit malaise parce qu’il faisait chaud et j’ai pris un coup sur la tête. Mais rien de grave. Et je veux surtout pas déposer plainte contre la police, jamais de la vie », intime l’agent. Devant ce mensonge bien peu vraisemblable, Otman joue le jeu de son interlocuteur et propose une version un rien plus crédible : “Je me suis embrouillé avec un mec dans la rue, on s’est foutu dans la gueule et point.” Pascal se montre satisfait : “Voilà, c’est encore mieux ça.”

Sur le brancard

Selon Otman, ce coup de fil du 25 juillet conclut un long travail de dissuasion entrepris par le policier. La victime soutient en effet que Pascal serait monté dans le camion des marins-pompiers avec lui. Juste avant son transfert à l’hôpital, durant quelques secondes. Le temps, assure Otman, de demander au blessé sur le brancard s’il comptait porter plainte. Devant sa réponse négative, le policier aurait conclu : “C’est bien. Alors tu vas pas en garde à vue, tu vas à l’hôpital.”

L’échange dans le camion des marins-pompiers narré par Otman se déroule sans témoins et n’est pas vérifiable. Mais la pression monte d’un cran quelques jours après l’agression, lorsque Pascal décide de faire à Otman un étrange cadeau. Le blessé a quitté l’hôpital de la Timone sans ses effets personnels. Sa sacoche lui aurait été volée pendant le transfert. Sur un procès-verbal rédigé à 5 h du matin le dimanche 2 juillet, consulté par Marsactu, un officier de police judiciaire qui contacte l’hôpital précise que le blessé est ressorti en communiquant son adresse postale, mais pas son numéro de téléphone. Logique, pour Otman, qui affirme que son portable lui a été dérobé. Une plainte a été déposée pour “vol”.

Pascal est-il responsable de cette disparition ? Quoiqu’il en soit, le policier décide d’offrir à la victime un portable tout neuf. Dans la conversation enregistrée, le policier confirme cet achat. De même que les démarches qu’il a entreprises pour trouver du travail à Otman dans les jours qui suivent le 1er juillet. Il lui assure qu’un de ses amis va l’embaucher, qu’il aura un salaire correct, mais aussi une mutuelle. “Tu referas tes dents”, dit-il, lorsque Otman précise qu’elles ont été “éclatées” le soir où il a été molesté.

s’ils te retrouvent, ne dis jamais que je t’ai aidé pour avoir un boulot ou que je t’ai eu un téléphone parce qu’ils vont penser…

Néanmoins, Pascal précise bien à Otman que ce lien entre eux doit rester secret. “Si jamais d’aventure – normalement ils peuvent pas te retrouver – mais s’ils te retrouvent, ne dis jamais que je t’ai aidé pour avoir un boulot ou que je t’ai eu un téléphone parce qu’ils vont penser… Tu vois ce que je veux dire ?”, glisse Pascal sans aller au bout de sa phrase. Le “ils” fait référence à l’IGPN, la police des polices, que Pascal veut éviter à tout prix. “Les mecs de l’IGPN, ils vont te poser 50 000 questions. Et la moindre petite faille dans la réponse, ils vont s’engouffrer dedans pour mieux nous niquer ! Enfin pas que moi, mais tous les collègues. Tu vois ce que je veux dire ?”

BFM, Macron et l’IGPN

Il faut dire que le policier ne semble pas beaucoup apprécier le fonctionnement – voire l’existence même – de l’IGPN. À ses yeux, en France, “on marche sur la tête.” Il s’en ouvre d’ailleurs à Otman : “Normalement quand tu t’es fait frapper par la police, c’est toi qui va déposer plainte au commissariat, d’accord ?” “D’accord”, approuve Otman. Pascal embraye : “La plainte, elle part à l’IGPN. Et l’IGPN après, ils regardent s’ils suivent la plainte, s’ils peuvent mettre des flics en prison. Mais là, c’est le contraire ! C’est la police des polices, l’IGPN, qui cherche des victimes ! C’est un truc de fou !”

Dans le raisonnement de Pascal, l’IGPN est le dernier maillon d’une chaîne politico-médiatique qui cherche à “niquer” les policiers, comme il l’explique longuement à son interlocuteur. Côté politique : “les mecs de LFI, de Mélenchon, les mélenchonistes, c’est des mecs d’ultra-gauche, des enculés, qui détestent l’État et qui détestent la police”. Côté médiatique : “les chaînes, TF1, M6, France 2, BFMTV, sont aux ordres de Macron, […] y a que CNews qui sort du lot”. En résumé, des “nuisibles”, des “ordures” qui nourrissent l’objectif de “mettre les policiers en prison”.

Comment Pascal le policier justifiera-t-il les manœuvres révélées par cet enregistrement ? À l’heure où nous publiions cet article, le fonctionnaire est toujours entendu par les enquêteurs de l’IGPN, et n’a donc pas pu être contacté par notre rédaction.  Son implication précise dans les coups donnés à Otman fait partie des éléments qui restent à déterminer.

Actualisation à minuit : ajout de la mise en examen du policier à l’issue de sa garde à vue

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Les coulisses de Marsactu
La photo d'Otman est publiée avec l'accord de l'intéressé, que Marsactu a pu rencontrer. L'extrait sonore diffusé a été monté par nos soins pour sa meilleure compréhension, après avoir pu être écouté dans son intégralité.
Clara Martot Bacry
Coralie Bonnefoy

Commentaires

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  1. vékiya vékiya

    bravo aux journalistes de marsactu, toujours rien sur cnews mais il est vrai qu’il n’y a pas de violences policières en f-rance

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  2. Louise LM Louise LM

    Merci marsactu

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  3. Tarama Tarama

    Enquête édifiante.

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  4. Patafanari Patafanari

    Comme la mode fait l’agrément aussi fait‑elle la justice. (Pensées de Pascal)

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  5. Alceste. Alceste.

    Électeur du 8eme, modèle déposé.
    Comme vous le savez ,je lis chaque jour Marsactu y compris à l’étranger.L’article auquel vous faites référence date du mois de mai dernier qui affichait au compteur 16 meurtres, nous en sommes à quasiment 40.Rien d’anormal ou de choquant aux yeux de nos chers journalistes visiblement, mais quand même.
    Les mois de juillet et août ( quasiment 1 meutre par jour durant une semaine d’août) ont été particulièrement meurtriers.Pas un mot.
    Mais notre cher Gabian n’a pas été le seul, le maire n’a pas lui non plus relevé quoi que ce soit de particulier. Visiblement la routine ou alors s’en fouti,comme l’autre.
    Mais il est vrai que Payan a été perturbé, le couscous géant annulé et le baleti de la Plaine aussi. Y a de quoi vous casser l’ambiance, c’est sur des événements essentiels qui tombent sous l’eau ,cela gâche son plaisir pour le couscous et les jeux.
    Mais nous avons eu droit quand même à Enrico,cela compense un peu.

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    • RML RML

      Enrico vs Sardou? Lol
      On s en fout complètement de votre état d ame surle couscous…c’est quoi le rapport. Il faudrait ne parler que des morts en continue et jamais du reste?

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  6. Alceste. Alceste.

    Madame Castelly, merci de votre réactivité et de votre réaction. Un point à été fait en Mai au nombre de 16 par votre rédaction. C’est bien un décompte.Bref . Mais cela n’est pas le fond du sujet.
    Le présent été a été d’une violence impressionnante, pas de une de votre part sur un sujet qui a pris sur les deux derniers mois des proportions affolantes.. Cela est votre choix éditorial, je le respecte mais laissez moi le droit de m’en étonner, comme celle de la non réaction de la mairie,mais vous n’y êtes pour rien.
    La vie au quotidien à Marseille est compliquée, elle mérite de l’attention, mais 40 meutres c’est autre chose. Je lis au fil de l’eau le dossier emprise,intéressant, pas de soucis, mais 40 meutres .Même si vous ne faites pas de decompte, ce qui serait étonnant,ils auraient mérités un traitement autre,et nous ne sommes qu’en août.Le pire est peut être à venir.Personne ne le souhaite.
    En tous cas, même si certains, comme moi dans le cas présent, de temps en temps rouspetent,râlent ou ne sont pas d’accord avec certains de vos points de vue,ils ont la possibilité de le faire.
    Cela est rare.Merci.

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  7. BALLERINE BALLERINE

    Merci MARSACTU pour cet article très instructif et fruit d’un beau travail d’investigation. Et si, comme pour les meurtres liés au trafic de drogue, on jette un oeil au décompte des violences policières lors des émeutes de début juillet, Marseille est une fois encore, hélas, en tête du peloton.

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  8. Félix WEYGAND Félix WEYGAND

    @Alceste (et Lisa Castelly), les commentaires à cet article ne sont sans doute pas le bon endroit pour avoir cette discussion et ce serait peut-être bien que Marsactu l’organise en propre.
    Marsactu est un quotidien, donc nous nous attendons à avoir des “nouvelles” au fil des évènements. En face de cette attente, le positionnement de ses journalistes, c’est de traiter les “nouvelles” dans des dossiers argumentés avec de la profondeur dans l’histoire et le contexte de leurs apparitions et une investigation des enjeux, des intérêts des acteurs et de la chaîne des causes et des conséquences.
    Forcément le temps de l’investigation et du dossier en profondeur n’est pas rythmé comme le quotidien.
    Peut-être qu’un jour Marsactu sera assez prospère et assez staffé pour avoir un fil d’info en continu, une édition quotidienne et un supplément mensuel, alors tout le monde sera content ;-D

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    • Alceste. Alceste.

      Amen !, Merci mon Père 😉

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    • Tarama Tarama

      Marsactu est un journal de fond.
      Pas une rubrique fait divers.

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  9. julijo julijo

    puis je m’étonner, en ce qui concerne l’article – en principe on commente un article- que personne ne soit choqué que le désormais célèbre mis en examen “pascal, bénéficie de la présomption d’innocence et il profite aussi d’une certaine mansuétude : il continue son boulot !
    est ce vraiment le cas de tous les mes mis en examen ?
    est ce un exemple de la “police exemplaire” dont nous bassine darmanin ?
    est ce un policier que tous les français aiment et en qui ils ont confiance ?

    je comprends mieux le détournement du sujet !

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  10. Massilia fai avans Massilia fai avans

    J’ai un peu de mal à comprendre certains commentaires et par conséquent certains abonnés.
    Notre gabian fait de l’investigation et il n’est disponible que sur abonnement. Si vous n’êtes pas d’accord avec les investigations qui y sont menées parce qu’elles dévoilent le comportement des policiers début juillet pourquoi lui donner votre argent pour qu’il puisse continuer ces enquêtes?
    Personnellement, j’essaie d’éviter de donner de l’argent (via abonnent ou audience) aux médias de Bolloré, ça ne fera certainement pas changer une des premières fortunes françaises mais au moins je m’évite de me donner mal à la tête.

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    • Jeanne 13 Jeanne 13

      Merci marsactu pour ce qui me concerne le format me convient très bien
      De l actu locale des dossiers plus approfondis et étayés comme l emprise
      La possibilité d expression des lecteurs par des commentaires libres
      Que demander de plus à un quotidien ?
      Pour le reste les faits divers orientés et répétés à longueur de temps comme outils de propagande il y a un vaste pannel sur les chaînes de Bolloré.
      Quand au maire de Marseille il ne peut que renforcer la prévention le reste est du domaine de l état et de la préfecture de police

      Il y

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