Deuxième non lieu dans l’affaire Maria, rouée de coups par des policiers

Info Marsactu
le 9 Mar 2022
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L’agression de Maria par des policiers, en marge d’une manifestation des "gilets jaunes" en 2018 à Marseille, avait choqué par sa gratuité et sa violence. Trois ans plus tard, la justice n’est pas parvenue à identifier les auteurs.

Des policiers à proximité de la rue de la Glace, le 8 décembre 2018. (Photo DR)
Des policiers à proximité de la rue de la Glace, le 8 décembre 2018. (Photo DR)

Des policiers à proximité de la rue de la Glace, le 8 décembre 2018. (Photo DR)

C’est un témoignage qui avait suscité beaucoup d’espoir. Finalement, il n’aura pas permis de retrouver les fonctionnaires de police qui ont ouvert le crâne de Maria*. Le 8 décembre 2018, la jeune femme avait été rouée de coups jusqu’à perdre connaissance par un groupe de policiers déployés sur une manifestation de “gilets jaunes”. Presque deux ans jour pour jour après le drame dont Maria garde encore de graves séquelles, l’enquête de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) s’était soldée par un non-lieu, le 18 décembre 2020 (lire l’article de notre partenaire Mediapart). Mais la découverte d’un nouveau témoin direct de la scène avait permis de rouvrir le dossier. Sans succès.

Le 25 janvier 2022, le juge d’instruction a été contraint d’ordonner un deuxième non-lieu. Symbole des violences policières, la jeune Maria devient aussi malgré elle le symbole d’une certaine impunité. À ce jour, les fonctionnaires impliqués dans son agression n’ont pas été retrouvés.

Force est de constater qu’il n’a malheureusement pas été possible d’identifier les auteurs des violences dont a été victime Maria.

Extrait de l’ordonnance

Voilà donc la limite qui a conduit Karim Badene, juge d’instruction, à conclure l’ordonnance sur ces mots : “Au terme des investigations et malgré les moyens déployés au cours de l’information judiciaire, force est de constater qu’il n’a malheureusement pas été possible d’identifier les auteurs des violences dont a été victime Maria.” “C’est l’une des agressions policières les plus violentes de toutes les manifestations”, se désole pour sa part Brice Grazzini, l’avocat de la victime.

Policiers en civil et casques Décathlon

Consultée par Marsactu, cette deuxième ordonnance de non-lieu n’a pas ébranlé la certitude déjà exposée par Karim Badene lors de la première enquête : même si plusieurs individus étaient en civil, il s’agit bien de policiers. “L’enquête a permis d’établir sans l’ombre d’un doute que les individus qui ont violenté la partie civile avaient tous la qualité de fonctionnaires de police”, affirme le magistrat. Avant d’ajouter : “ces violences sont d’autant plus inacceptables qu’elles ont été commises de façon purement gratuite.”

Le 8 décembre 2018, Maria ne participait pas à l’Acte IV des “gilets jaunes” puisqu’elle n’a “jamais manifesté”, comme elle le confiera dans l’enquête. Elle rentrait du travail, accompagnée de son petit ami. Le couple marche rue Saint-Ferréol, loin des agitations des fins de cortège. Mais lorsqu’ils atteignent l’angle de la rue de la Glace peu après 18 h 30, ils sont surpris par une charge de police. Maria est alors projetée au sol par un tir de LBD dans la cuisse. Une dizaine de fonctionnaires l’encerclent, plusieurs usant de leurs matraques télescopiques pour lui donner des coups, y compris sur le crâne.

La violence de la scène est attestée par une vidéo amateur, versée à la procédure et publiée dans Mediapart. Une femme, témoin de la scène, explique que les policiers ont quitté rapidement les lieux, laissant Maria “le crâne enfoncé et ensanglanté. Il y avait des traces de sang au sol, jusque sur les murs.” Sur cette vidéo, on peut apercevoir des fonctionnaires en jean. Certains portent des brassards, d’autres arborent sur la tête des casques non réglementaires, que l’enquête identifie comme un modèle Décathlon de “casques sportifs”.

Loin d’être un détail, cet élément est repris par la majorité des commissaires et capitaines de police entendus lors de la première information judiciaire. Ces casques n’étant rattachés à aucune brigade, les fonctionnaires en charge du maintien de l’ordre se disent tous incapables d’identifier si les policiers faisaient partie de leur effectif ou non.

Une enquête démarrée trop tard

Surtout, le dispositif de maintien de l’ordre déployé à Marseille ce jour-là brouille encore plus les pistes. Comme expliqué dans une enquête de Mediapart, neuf brigades hybrides spéciales étaient mobilisées dans le centre-ville. Surnommées “compagnies de marche”, elles rassemblent des fonctionnaires normalement affectés aux transports (SISTC), des agents de la BAC ou même de la police judiciaire. La moitié de ces effectifs était en civil.

L’enquête a été ouverte trop tardivement, ce qui a empêché la collecte d’informations essentielles comme la vidéosurveillance de la ville.

Brice Grazzini, avocat de Maria

Enfin, Pégase, le logiciel qui recense les interventions des patrouilles, a connu une panne historique durant toute l’après-midi. De là à rendre impossible la localisation des policiers rue de la Glace ? “L’enquête a été ouverte trop tardivement, ce qui a empêché la collecte d’informations essentielles comme la vidéosurveillance de la Ville. Depuis, c’est l’omerta, personne ne veut livrer de nom”, regrette Brice Grazzini. La première information judiciaire confiée à l’IGPN pour “violences aggravées” et “non assistance à personne en danger” a été ouverte le 25 juillet 2019, soit sept mois après les faits.

Pourtant, Maria avait déposé un signalement sur la plateforme le l’IGPN le 19 décembre 2018, onze jours après son agression. Elle était encore hospitalisée. Mais lorsque la première information judiciaire est ouverte, les archives de la vidéosurveillance de la Ville sont déjà écrasées. Fin 2020, le procureur de Marseille rend ses réquisitions et demande un non-lieu. “Les investigations très poussées réalisées par le juge d’instruction n’ont pas permis d’identifier les auteurs, qui demeurent inconnus”, écrit-il.

Au cours de l’enquête, plusieurs détails ont resserré l’étau sur une poignée de fonctionnaires, l’un deux ayant par exemple une blessure à la main gauche visible sur une vidéo. Mais ni les perquisitions, ni les auditions n’ont permis aux magistrats de constituer un faisceau de preuves suffisant. Le 18 décembre 2020, un premier non-lieu est rendu.

Un dernier témoin “trop loin de la scène”

C’est à ce moment que Maria croise la route de Sébastien*, littéralement. Tandis qu’elle se trouve rue de la Glace avec une équipe de journalistes travaillant à un numéro d’Envoyé Spécial, un homme s’approche et se présente comme témoin oculaire de l’agression. Il habite le secteur et se dit prêt à témoigner. Il fournit deux attestations écrites, dans lesquelles il avance que les auteurs des violences seraient des “CRS et des policiers en civil”. Au printemps 2021, l’enquête est rouverte.

Mais l’audition de Sébastien s’avère finalement peu utile. “Il ne reconnaissait personne sur les plages photographiques qui lui étaient présentées, expliquant s’être trouvé trop loin de la scène pour pouvoir réaliser des reconnaissances”, peut-on lire dans l’ordonnance de non-lieu rendue fin janvier 2022. Après ce deuxième échec, Brice Grazzini annonce avoir fait appel de l’ordonnance “sur l’ensemble de l’information judiciaire”, sans avoir de retour pour l’heure. L’objectif de cet appel est simple : obtenir de nouveau la réouverture du dossier “pour que les nombreuses zones d’ombres soient éclaircies”.

Cet après-midi là, le logiciel Pégase, qui recense les opérations policières, a connu une panne exceptionnelle.

Pourquoi les témoins ont-ils dû tenter d’identifier les policiers avec des photographies parfois vielles de plusieurs années, et non pas en réel, derrière des vitres teintées ? Pourquoi le logiciel Pégase, qui recense les interventions policières, a-t-il subi une panne rarissime spécifiquement ce jour-là ? Comment expliquer qu’aucun commandant de brigade ne soit en mesure d’identifier l’un de ses hommes sur les images ? Les zones d’ombres recensées par l’avocat sont multiples. “Plus on avance dans ce dossier, plus il apparaît glaçant”, lâche-t-il.

Maria : “J’ai dégringolé. Je ne sors plus de chez moi.”

Plus de trois ans après les faits, l’état de santé de Maria est très loin d’être stabilisé. Contactée par téléphone, la jeune femme explique toujours souffrir de migraines. Mais pas que. “Je ne peux plus écouter de musique au casque, je boite comme une vieille… Franchement, je dépéris”, lâche-t-elle, la voix serrée. Elle ajoute : “avec le temps, je me rends compte que oui, l’agression m’a fait souffrir. Mais le pire, c’est d’attendre le jugement. Je ne peux pas me soigner sans jugement.”

Depuis que les policiers lui ont ouvert le crâne un soir de décembre 2018, Maria, d’ordinaire si résiliente, explique être dans une impasse. “Je travaille depuis que j’ai 15 ans. Au début, j’ai encaissé. Puis je commençais à être de plus en plus tendue. J’avais jamais été bizarre comme ça. J’ai commencé à faire des crises d’angoisses. Je ne pouvais plus sortir dans la rue. Aujourd’hui, je suis au chômage. J’ai dégringolé. Je ne sors plus de chez moi, je fais des cauchemars tout le temps.”

Ce qu’elle pense de l’enquête ? “Je ne comprends pas. Tout est accablant, mais c’est comme si retrouver les coupables n’était pas vraiment une priorité”. Bien qu’elle se dise “énervée” par ce second non-lieu, la jeune femme veut rester philosophe pour la suite : “tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir”.

*Les prénoms ont été modifiés

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Commentaires

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  1. Assedix Assedix

    Vraiment terrible…
    C’est probablement naïf de ma part, mais je me dis que si seulement l’administration avait des comptes à rendre, les coupables seraient déjà identifiés, jugés et condamnés

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  2. Dark Vador Dark Vador

    Tant que l’IGPN ne sera pas un organe indépendant, comme dans certains pays européens, rien ne changera hélas…

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  3. BLeD BLeD

    Une semaine avant, dans ce même quartier endeuillé de Noailles, madame Zineb Redouane mourait des suites d’un tir tendu de grenade lacrymogène. Ça se passait rue des Feuillants, à quelques mètres de la rue de la Glace, là où Maria a été lynchée. Affaire également classée sans suite. L’impunité policière devient systématique, avec un IGPN juge et partie et des juges qui se couchent. Quand Macron a froidement déclaré en mars 2020 “Nous sommes en guerre”, il ne parlait pas que de coronavirus…

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  4. RML RML

    Il y a qu a relever tous les policiers des neufs brigades ! Et tous les gradés ! Et mettre tout ce beau monde au chômage !
    Je suis pas du tout anti flic mais la quand même!

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  5. Louise LM Louise LM

    laisser passer du temps pour que les preuves disparaissent …
    quelqu’un croit que les caméras piétons vont servir à identifier les responsables des violences policières ?
    ne soyons pas naïfs
    cette histoire démontre qu’en cas de problème, les caméras seront déclarées en panne, les données écrasées
    démocratie ?

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  6. Zumbi Zumbi

    Merci pour cet article.
    Pouvez-vous demander à l’avocat et à Maria s’il y a moyen de l’aider, par exemple à retrouver un emploi, une formation, ou même à payer son loyer ?

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  7. vékiya vékiya

    il n’existe pas de violence policière, Maria est tombée du balcon car poussée par Zineb, c’est pourtant simple.

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  8. gastor13 gastor13

    La loi est quand même bien faite et appliquée pour absoudre tous ces policiers.
    Quand un véhicule de société se fait choper si on n’identifie pas le conducteur c’est le patron de la boîte qui trinque.
    En appliquant la même chose, ici cela devrait être le patron des policiers de Marseille qui réponde de ce crime. Je pense que d’un coup ils arriveraient à trouver les vrais responsables.

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  9. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Le dispositif policier a été mis en place par le préfet agissant sous les ordres du Ministre de l’Intérieur Castaner. Si les exécutants ne sont pas identifiés, car couverts par leurs supérieur, c’est toute la chaine de commandement jusqu’au ministre qui doit en répondre devant la justice.

    Par ailleurs l’Etat se doit d’indemniser correctement Maria pour toutes les séquelles physiques et psychologiques ainsi que pour toutes ses pertes financières dues à ses divers handicaps.

    ” neuf brigades hybrides spéciales étaient mobilisées dans le centre-ville… La moitié de ces effectifs était en civil. “

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  10. Patafanari Patafanari

    Avec ce genre de jugement inique, quelques décérébrés vont se croire légitimes à casser du flic, n’importe quel flic, par esprit de vengeance . La paix civile en est fragilisée.

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  11. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Couvrir ses subordonnés, quand on ne risque pas d’être sanctionné, c’est de la lâcheté ! Les cadres , qui ont couvert les responsables de cette agression , auraient dû être lourdement punis.

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  12. Louise LM Louise LM

    Il faudrait déposer une plainte, non pas seulement pour retrouver les auteurs de l’agression, mais contre tous ceux qui ont participé à l’enterrement du dossier.
    Lenteur à agir qui a permis la disparition des preuves, écrasement des vidéos de surveillance, refus de communiquer les informations sur le déploiement des forces de l’ordre ce jour là
    Les sanctions contre les responsables des détachements de policiers qui refusent de collaborer pour retrouver les auteurs serait un minimum

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