[Des îles et des hommes] Cap sur Planier, îlot désert où le temps s’est arrêté
Cet été, Marsactu met les voiles et part à la découverte de ceux qui vivent et travaillent sur les îles. À chaque épisode, c'est un monde à part qui se dévoile, insulaire et donc un peu extraordinaire. Pour clore cette série et avant de plonger dans le tourbillon de la rentrée, difficile de résister à l'appel de Planier, l'île où il ne se passe rien.
Il faut parcourir une quinzaine de kilomètres en mer pour atteindre Planier depuis le Vieux-Port. Photo : VA
Il est à peine visible depuis la terre, du moins par temps clair et en plein jour. La nuit, sa lumière qui tranche les ténèbres vient rappeler sa présence. Le phare de Planier, érigé sur la plus éloignée de toutes les îles marseillaises, est une sorte de mirage. Y accéder, un privilège. Aucune navette ne mène à cet édifice situé à quinze kilomètres au large du Vieux-Port. Pour y parvenir, pas d’autre moyen que d’être l’heureux propriétaire d’un bateau, ou de connaître quelqu’un qui a ce luxe. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi guetter la météo, et se rendre disponible quand les conditions sont réunies. Il est très tôt en ce week-end de veille de rentrée, quand Marsactu met le cap sur Planier.
Si le mercure commence déjà à monter sur terre, sur l’eau, la température est parfaite. Le phare, lui, parait minuscule. Il est pourtant le plus haut de la Méditerranée. Le temps de traversée laisse libre cours à la divagation. Que trouve-t-on sur Planier ? Des fantômes peut-être, des plongeurs à coup sûr, des bâtiments à l’architecture remarquable, paraît-il. Et ce phare, haut de plus de 60 mètres, classé monument historique en 2002 et construit à partir de 1947. À l’époque, il vient remplacer l’ancien phare détruit par les Allemands. Le tout premier était une tour à feu bâtie en 1320.
sorti d’un rêve
En ce samedi matin, les plongeurs sont effectivement au rendez-vous. Il faut slalomer entre leurs bulles afin d’atteindre le seul quai de l’île à peu près utilisable. Pour accoster, mieux vaut être vacciné contre le tétanos. Les bittes d’amarrage sont entièrement recouvertes de rouille. Tout aussi accueillant, un panneau indique que l’accès à l’îlot est interdit. Il peut entrainer des poursuites administratives et judiciaires. “Au vu des risques liés aux chutes de bloc maçonnés et d’effondrement de galeries enterrées, pouvant compromettre gravement la sécurité des personnes”, y lit-on. Mais difficile de se résoudre à faire demi-tour tant arriver ici est une petite aventure. Devant nous, Planier se dresse au milieu des flots, comme sorti d’un rêve.
Une fois sur le quai, un seul chemin possible. Il passe par des escaliers aux marches joueuses. Le palier du dessus remplit les promesses de grandeur. Au pied du phare construit en pierre de Cassis, c’est tout un complexe à l’architecture monumentale qui se dessine. De larges escaliers donnent sur d’imposants bâtiments aux faux airs de palais antiques, dont toutes les entrées sont obstruées par d’épaisses grilles. Au centre, ce qui fût jadis un square, sorte de place centrale, n’est désormais plus qu’un mélange de gros cailloux, morceaux de briques et objets rouillés. Des bouts de façade ont été, çà et là, arrachés à leur sort. Depuis la fin des années 1990, l’île est désertée de toutes activités humaines, si ce n’est l’entretien du phare par les services de l’État. Un déclin annoncé en 1986, avec l’arrivée de l’automatisation. Quelques années plus tard, les gardiens jusqu’alors missionnés pour faire fonctionner cette lumière dans la nuit des marins quittaient les lieux.
L’ombre de lui-même
Mais ce n’est pas à ce moment que la vie sur Planier s’est éteinte. Nous sommes en 1992 et deux hommes, passionnés de plongée sous-marine, lui redonnent vie. Éric Savarino — dont nous n’avons pas réussi à retrouver la trace — et Aimé Bergero, décédé depuis, obtiennent des Phares et Balises, service de l’État gestionnaire des lieux, une autorisation temporaire d’occupation. Ils s’installeront sur l’îlot et y resteront pendant douze ans pour transformer Planier en centre de plongée. Dans un article paru en 2015, Éric Savarino décrivait à Marsactu l’île, qu’il voit à cette époque comme “une sorte de Mecque, un endroit magique avec une âme”. L’homme y racontait les événements, les mariages, les séminaires, mais également ces deux mois d’hiver passés sans aucun visiteur.
Aujourd’hui, les vestiges de ce temps dépérissent, attaqués par les embruns. Et la mémoire des plongeurs sur place n’arrive plus à faire remonter à la surface les souvenirs de ce paradis perdus. “Ouf, c’était il y a très longtemps, ça !”, nous glisse l’un d’eux, encore groggy par les longues minutes passées à inspecter les fonds marins de Planier. Ceux-ci recèlent toujours des trésors : un avion allemand de la Seconde Guerre mondiale et deux épaves dont le Chaouen, cargo marocain qui s’échoua sur les hauts-fonds et déversa sa cargaison d’agrumes sur Marseille en 1970. Le centre de plongée, lui, n’a pas résisté à notre siècle, la faute à un “imbroglio juridico-administratif”, résument nos confrères du Monde dans un article paru en 2001. Voilà plus de vingt ans que Planier n’est plus que l’ombre de lui-même.
Du centre océanologique de Marseille à la CMA-CGM
Pourtant, quelques plans de reconversion pour cet îlot historique ont fait parler d’eux. Après l’abandon de l’idée de pérenniser le centre de plongée sur l’île — dont l’activité commerciale n’était pas compatible avec la charte du parc des Calanques —, d’autres options ont fleuri comme l’implantation du centre océanologique de Marseille. En 2003, l’écrivain Jean Kehayan lance même une pétition qui rassemble des milliers de signatures pour faire du phare un mémorial pour les migrants. “Marseille appartient à ceux qui viennent du large, dit Blaise Cendrars. C’est une phrase vraie, défend alors l’écrivain. Ces femmes et ces hommes ont en commun d’avoir aperçu leur nouvelle et belle terre promise depuis le phare du Planier.” Des projets qui tombent successivement à l’eau. Trop loin, trop compliqué, argumente à l’époque la mairie.
Quelques événements ont tout de même eu lieu sur Planier depuis. Certains, peu médiatisés. “Je me souviens m’y être rendue dans le cadre d’un projet de recherche avec des enfants de parents séropositifs qui ont jeté une bouteille à la mer en demandant de trouver un traitement contre le sida”, nous raconte la capitaine du jour, qui travaille par ailleurs dans le médical. D’autres, au contraire, ont mis les organisateurs sous les projecteurs du phare. Comme cette journée de nettoyage de l’île organisée par le parc des Calanques et la CMA-CGM en 2019 et censée être la première pierre d’un partenariat pour penser l’avenir de Planier.
Tags et caméras de vidéosurveillance
“Il y a eu des discussions avec la CMA-CGM pour réfléchir à comment réhabiliter le tout, mais cela nécessiterait des travaux conséquents. Et si on réhabilite, c’est pour y faire quoi ? Le site présente des difficultés qui font qu’on ne peut pas en faire un site touristique. On peut à la limite y accueillir du public de temps en temps”, nous répond le parc. Par d’autres canaux, une rumeur est parvenue jusqu’aux oreilles du gabian : l’île pourrait devenir un refuge temporaire offert aux salariés désabusés de l’armateur afin de rallumer la flamme. “Des fantasmes”, nous rétorque-t-on au sein des services du parc des Calanques. Même si un projet avec la CMA-CGM a bien été sur les rails, à un moment, ajoute-t-on, sans pouvoir en dire plus. Aujourd’hui, les discussions seraient en tout cas au point mort et seul le phare est maintenu en état par le service des Phares et Balises.
La dernière intervention sur les bâtiments date probablement de 2017 avec une opération de dépollution des cuves présentes sur l’île et contenant encore des hydrocarbures. Sans compter bien sûr les quelques tags qui ont depuis glissé un peu de vie dans ce morne décor. Dans plusieurs recoins de ces bâtiments insulaires, des caméras de vidéosurveillance ont également été installées. Loin des regards, Planier pourrait facilement être squatté, pillé ou devenir un lieu privilégié pour le trafic de drogue, craignent les autorités. Pour l’heure, l’ombre de Planier disparaît. Il est bientôt midi et outre les plongeurs, une poignée de plaisanciers a réussi à atteindre les hauts-fonds que signale ce phare pour y jeter l’ancre. À côté d’une embarcation si petite que l’on se demande comment elle est arrivée jusqu’ici trône un voilier qui y a sûrement passé la nuit. D’un côté comme de l’autre, on sent sur les ponts une certaine fierté. Pendant que tous préparent la rentrée, d’autres ont atteint Planier. “Quelle que soit l’heure où vous le regardiez, dites-vous qu’à cet instant, on parle de lui sur toutes les mers et sous toutes les constellations. Quand on n’en parle pas, on y pense”, écrivait Albert Londres, il y a bien longtemps, à propos de ce phare désormais oublié.
“Le lien Doit être renouvelé avec les Marseillais”
L’îlot Planier appartient à l’État, et plus précisément à la Direction interrégionale de la mer Méditerranée. Son service Phares et Balises est en charge de son entretien. Maxime Suroy coordonne ces travaux. Son but : que jamais Planier ne s’éteigne, mais pas que.
Quelles sont vos missions sur l’îlot de Planier ?
La gestion de ce site a une vocation technique, nous entretenons le phare. Mais nous effectuons aussi des missions de contrôle et d’inspection, avec le parc des Calanques. L’accès à l’îlot est interdit pour des raisons de sécurité, mais aussi car il est en plein cœur du parc marin. Des espèces protégées résident ici. Notamment, un couple de faucons dans les cornes de brume du phare, qui ne sont plus en fonction. Ils conditionnent aussi nos travaux, que nous essayons de ne jamais effectuer en période de nidification et de reproduction. C’est drôle, cela a changé nos pratiques.
Quelle est la dernière intervention effectuée sur le phare ?
Nous avons remplacé les panneaux solaires qui l’alimentent. Maintenant, nous sommes autonomes avec 100 % d’énergie renouvelable. C’était une grosse intervention. Imaginez qu’il y a 12 batteries de 130 kilos chacune. Nous avons dû utiliser un hélicoptère. Nous avons aussi effectué des travaux sur cordes pour changer les menuiseries du phare. C’était assez technique, du fait du classement monument historique, on ne pouvait pas utiliser du PVC.
Pourquoi, selon vous, Planier ne trouve pas d’autre vocation ?
Quand vous achetez un terrain pour construire une maison, vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez, vous êtes soumis à des règles comme celle du PLU. Ici, c’est pareil. Nous, nous détenons une dérogation pour mission d’intérêt général. Mais pour exploiter les bâtiments, il faudrait faire d’énormes travaux de rénovation. Rien que pour la sécurisation, il faut compter trois millions d’euros. On ne peut pas juste détruire et tout refaire. On est un peu dans le même cas de figure que le châtelain qui ne peut plus entretenir son château. Et puis, même si on avait un porteur de projet avec un gros budget, il devra se soumettre à la spécificité de l’île et notamment au code de l’environnement. Une fois, il y a eu une proposition de festival. Mais mettre à Planier un événement qui fait autant de bruit, amène autant de monde et surtout, fait plus de lumière que le phare, ce n’est pas possible.
Que souhaitez-vous pour l’avenir de Planier ?
Je crois pouvoir dire que j’ai la fibre de l’environnement. Je souhaite donc que le futur de l’îlot soit respectueux de cela. C’est aussi un site chargé d’histoire. Il y a par exemple sur place une plaque commémorative d’un agent mort ici dans l’exercice de ses fonctions. Nous avons aussi des archives qui recensent les naufrages. Planier a un rôle de secours. S’il s’éteint, il y aura plus de naufrages.
Enfin, je souhaite que son lien soit renouvelé avec les Marseillais, qui n’ont pas tous la chance d’y aller pour faire une plongée. Planier a également une fonction d’atterrissage, c’est le mot. Quand on le voit, on sait qu’on arrive à Marseille. Tout le monde, notamment le petit plaisancier, n’a pas forcément les outils dernier cri pour naviguer. Pour lui, Planier est un amer [un point de repère fixe et identifiable sans ambiguïté, ndlr], un refuge. Et même les grands bateaux parfois tombent en panne. Le phare lui, ne doit jamais tomber en panne, il doit fonctionner 24/24h et 365 jours par an, c’est notre vocation.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Magnifique reportage, merci beaucoup pour tout ceux qui ne peuvent s’y rendre et pour qui cela reste un lieu mythique.
Se connecter pour écrire un commentaire.
reportage très nostalgique, mais situation sans issue a priori.
j’ai eu l’occasion il y a quelques années de m’en approcher, en mer, et sans aucun arrêt, en dehors de la colonne imposante du phare, l’île offre surtout une impression de désolation. alors des fantômes, sûrement oui !
c’est dommage qu’un centre de plongée n’y soit pas installé, pour des raisons juridico- administratives probablement trop rigides. de l’avis de certains plongeurs, ce serait un spot intéressant.
Se connecter pour écrire un commentaire.
A mon avis, les problèmes étaient surtout techniques puisqu’une autorisation d’occupation a été octroyée pour un temps long. Dès que le vent se lève, l’ile n’a aucun accostage sécure et des clients peuvent ainsi s’y retrouver bloqués. En cas de mer formée, il semble très difficile de garder un bateau sur place. Le ravitaillement en eau doit y être assez compliqué. Ceci dit, je n’ai pas pu retrouver les tenants et aboutissants de “l’imbroglio juridico-administratif” ayant entraîné la fermeture du centre de plongée.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Madame Artaud , vous pouviez citer ceci aussi:
“Il est un phare à deux milles de la côte. Tous les soirs, on le voit qui balaye de sa lumière et le large et la rive. Ce phare est illustre dans le monde ; il s’appelle le Planier. Quelle que soit l’heure où vous le regardiez, dîtes-vous qu’à cet instant on parle de lui sur toutes les mers et sous toutes les constellations. Quand on n’en parle pas, on y pense. Mais si le Planier ramène au pays, il préside aussi au départ. Faites le voyage de Marseille, jeunes gens de France ; vous irez voir le phare. Il vous montrera un grand chemin que sans doute, vous ne soupçonnez pas, et peut-être alors comprendrez-vous. »
Albert Londres “Marseille Porte du Sud”.
Désolé pour les mauvais coucheurs habituels concernant la littérature , mais ce texte est magnifique.
Se connecter pour écrire un commentaire.
a l’heure ou le mot “immigration” devient un repoussoir, un argument de division ou de repli sur un nationalisme perverti, il est bon de se rappeler aussi blaise cendrars : “Marseille appartient à ceux qui viennent du large” que vous citez dans l’article.
“Arméniens, Algériens ou encore Vietnamiens, habitants des anciennes colonies françaises, réfugiés politiques ou économiques ont vu cet immense édifice, situé à une dizaine de kilomètres du port, avant de mettre un pied à terre. ” le projet utopique de kehayan était interessant.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Aimé et Eric se sont bien battus pour Planier, souvenirs, souvenirs
Se connecter pour écrire un commentaire.
Renouvelé un seul L svp
Se connecter pour écrire un commentaire.
Ou encore :
“Prodigieuse lampe-tempête ! Mon père la sortit un soir d’une grande boite en carton, la garnit de pétrole et alluma la mèche ; il en jaillit une flamme plate en forme d’amande qu’il coiffa d’un « verre de lampe » ordinaire. Puis, il enferma le tout dans un globe ovoïde, que protégeait un grillage nickelé surmonté d’un couvercle de métal : ce couvercle était un piège à vent. Il était percé de trous qui accueillaient la brise nocturne, l’enroulaient sur elle-même et la poussait inerte, vers la flamme impassible qui la dévorait. Lorsque je la vis suspendue à une branche de figuier, brûler, brillante, avec la sérénité d’une lampe d’autel, j’en oubliai ma soupe au fromage et je décidai de consacrer ma vie à la science… Cette amande scintillante éclaire encore mon enfance, et j’ai été moins étonné dix ans plus tard, lorsque je visitai le phare de Planier.
D’ailleurs tout comme Planier, séducteur de cailles et de vanneaux, elle attirait tous les insectes de la nuit. Dès qu’ont la suspendait à sa branche, elle était entourée d’un vol de papillons charnus, dont les ombres dansaient sur la nappe ; brûlés d’un impossible amour, ils tombaient tout cuits dans nos assiettes.
Il y avait aussi d’énormes guêpes, dites « cabridans », que nous assommions à coups de serviette, en renversant quelquefois la carafe, toujours les verres; des capricornes et les lucanes qui arrivaient de la nuit comme lancés par une fronde et qui faisaient tinter la lampe avant de plonger dans la soupière.”
La gloire de mon père, Marcel Pagnol
Se connecter pour écrire un commentaire.
Merci pour cet article. Planier fait partie de Marseille mais est pratiquement inaccessible. On l’a néanmoins toujours sous les yeux et il fait rêver. C’est un phare au sens propre comme au figuré.
Se connecter pour écrire un commentaire.