Des étudiants bloquent la fac de lettres d’Aix et lancent un ultimatum à la direction

Les étudiants ont bloqué l'accès à certains bâtiments avec des chaises. (Photo : ML)

Devant la faculté des arts, lettres, langues et sciences humaines (ALLSH) d’Aix-en-Provence, Roselyne trouve portes closes ce mercredi 12 avril. La retraitée a fait le trajet depuis Salon-de-Provence en ce début d’après-midi pour assister à son cours d’italien dispensé par l’université du temps libre. “On ne m’a pas prévenue que c’était fermé”, déplore Roselyne en fouillant dans son téléphone pour vérifier ses messageries. L’administration a pourtant écrit la veille par mail à ses étudiants pour leur signaler qu’“en concertation avec la présidence et les services centraux la décision a été prise de fermer le campus“.

“Autant hier, je suis venue pour un cours d’anglais et il y avait du monde [pour manifester] donc je comprenais la fermeture, mais là, il n’y a personne. La mobilisation est morte on dirait”, s’agace la retraitée avant de finalement rebrousser chemin. “Les conditions de sécurité n’étaient pas réunies”, justifie néanmoins le doyen Lionel Dany, par courriel. Dans la nuit de lundi à mardi, le comité de lutte des étudiants de la faculté de lettres d’Aix-en-Provence a en effet bloqué une grande partie du campus entrainant le bouclage par l’administration de l’ensemble du site. Cet événement est le dernier épisode d’un bras de fer entre l’université et plusieurs dizaines d’étudiants.

La réforme des retraites comme point de départ

Cette mobilisation est née sur fond de lutte contre la réforme des retraites, mais le comité existe déjà depuis plusieurs années. Sous l’impulsion nationale, mais surtout en raison des mobilisations locales des dernières semaines, notamment le blocage de l’usine de métallurgie d’ArcelorMittal à Fos-sur-Mer, l’organisation étudiante qui compte des Jeunes communistes, des Insoumis et des non encartés, insuffle un vent de contestation au sein de la faculté de lettres d’Aix-en-Provence. Les militants font le tour des salles avec des mégaphones pour rallier le plus de monde à leur cause. Et à partir du 21 mars, ils investissent un amphithéâtre de la faculté. “Cette occupation est devenu un repaire militant”, estime François, membre du comité actif auprès des médias.

Des ateliers sur le thème du communisme en Iran, mais aussi des collages féministes sont organisés. Les bloqueurs se sont également retrouvés pendant des séances de cinéma, avec, par exemple, la diffusion du film Parasite, ou encore lors d’un tutoriel “garde à vue”. Selon le comité, le noyau dur de la mobilisation est alors composé d’environ 80 étudiants et la plus grosse assemblée générale réunit jusqu’à 300 personnes le 29 mars.

En février, le conseil de l’UFR a indiqué dans une motion son soutien à la mobilisation étudiante.

Au début, le mouvement n’est pas vu d’un mauvais œil par l’université. Le conseil de l’UFR ALLSH, présidé par le doyen Lionel Dany, vote d’ailleurs à une large majorité le 16 février une motion où il “tient à affirmer son opposition au projet de réforme des retraites proposé par le gouvernement”. “Enfin, les membres du conseil d’UFR, sensibles à l’expression des oppositions à cette réforme, notamment par les syndicats, comités de mobilisation et collectifs étudiants, invitent à ne pas appliquer les règles d’assiduité lors des journées de mobilisation nationale“, conclut la motion.

Élargissement des revendications

Mais avec le temps, les revendications des jeunes évoluent. Les représentants de l’organisation évoquent maintenant parmi leurs revendications le maintien des licences trilingues, menacées de suppression selon eux par la faculté, dénoncent l’absence de transparence de la part de l’administration de l’université, la banalisation des cours en distanciel, la réglementation sur la liberté d’expression et particulièrement le contrôle du droit de tractage sur le campus. De manière générale, les bloqueurs exigent la mise en place d’une “année blanche”. Ce dispositif consiste à donner au minimum dix de moyenne à tous les étudiants. Cette note peut ensuite être améliorée par ceux qui le désirent en passant leurs examens ou en rendant leurs devoirs.

On ne dérangeait pas vraiment l’administration, il fallait élargir le rapport de force.

François, comité de lutte

Après trois semaines dans leur amphithéâtre, les bloqueurs ont décidé d’étendre leur occupation à l’ensemble de la faculté. “On ne dérangeait pas vraiment l’administration, il fallait élargir le rapport de force, explique François, membre du comité. Mais ils nous ont coupé l’herbe sous le pied.” En effet, les grévistes se retrouvent maintenant enfermés seuls à l’intérieur de la faculté. “L’objectif est de nous isoler du reste des étudiants, analyse le jeune homme. La majorité pense d’ailleurs que c’est nous qui fermons le site.” Ils se disaient prêts en effet à laisser l’accès à deux amphithéâtres pour les examens et à certaines des infrastructures comme le restaurant universitaire ou le site informatique.

Mais au sein de l’administration, on dit s’inquiéter de la présence de personnes au visage masqué, armées de ce qui semble être des bâtons et ayant des comportements jugés parfois agressifs. “Le motif de la sécurité est un prétexte”, balaie François. Le comité se défend en affirmant que les bâtons étaient en réalité des drapeaux enroulés, que le choix de se masquer, minoritaire, était “légitime” face à la “forte pression subie”. “On n’est jamais allés à l’altercation physique, notre stratégie, c’est la défense”, avance Estelle, une autre membre du comité.

Jeu du chat et de la souris

À l’intérieur du bâtiment, l’état d’esprit se veut communautaire, selon les occupants. Marsactu n’ayant pas pu le constater sur place en raison de la fermeture du site. “On s’organise en interne pour créer un lieu de vie avec de l’autogestion”, raconte François. Pour se ravitailler, en denrées alimentaires ou même en vêtements, les bloqueurs jouent au jeu “du chat et de la souris” avec la sécurité. Le comité reste très discret sur son organisation ou encore sur le nombre de personnes réellement présentes, mais documente son quotidien via les réseaux sociaux et notamment Instagram.

Le danger pour les bloqueurs viendrait plutôt de l’extérieur. Ils déclarent subir des intimidations de la part de groupes d’extrême droite. “C’est une pression constante”, partage Estelle. La jeune femme explique avoir remarqué une poignée de personnes autour de la faculté qui resteraient à distance, pour les surveiller. Un soir, il y aurait aussi eu des jets de fumigènes contre les bloqueurs, raconte la jeune femme. De manière générale, la sécurité a été renforcée sur l’ensemble des sites universitaires d’Aix-en-Provence, avec des agents supplémentaires et des panneaux rappelant la présence de caméras de vidéosurveillance.

L’autre crainte du comité est une intervention policière en vue de les déloger. Une action qu’ils jugeraient “démesurée“. En attendant, ils maintiennent le cap. “Maintenant, c’est une bataille idéologique avec l’administration”, expose François. Une nouvelle assemblée générale se tiendra ce vendredi 14 avril, avec d’un côté du portail les bloqueurs enfermés sur le site et de l’autre les étudiants qui n’ont plus le droit d’y accéder. “On verra à la suite de ça”, laisse planer le comité.