Derrière les résilles du Mucem, des dizaines de précaires

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le 2 Déc 2013
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Derrière les résilles du Mucem, des dizaines de précaires
Derrière les résilles du Mucem, des dizaines de précaires

Derrière les résilles du Mucem, des dizaines de précaires

Le Mucem a beau avoir les pieds dans l'eau, cela ne suffit plus à rafraîchir les esprits échauffés d'une partie des salariés. Ceux de la "cité culturelle", rêvée par le président Bruno Suzzarelli. Car derrière les prodigieuses façades en dentelle de béton armé qui ont accueilli à ce jour 1,6 million de visiteurs, les petites mains oeuvrant pour le fonctionnement de la ruche se plaignent de la précarité de leurs conditions de travail.

En cause, en premier lieu, le recours quasi-systématique à des prestataires de services. Sur les quelques 130 employés du musée, les trois-quarts sont recrutés par ce moyen, contre une quarantaine de fonctionnaires et un seul scientifique permanent, en contrat à durée déterminée post-doctoral. Ainsi, le Mucem fait appel à des entreprises extérieures pour l'accueil et la billetterie (Phone Régie), le ménage et la sécurité (Onet sécurité), ainsi que pour les guides-conférenciers (Pont des arts). À l'occasion, le musée n'hésite pas à solliciter des stagiaires pour 6 mois avec "expérience demandée" mais contre l'indemnité légale de 436 euros par mois.

Laurence*, recrutée dans un groupe de quarante personnes comme agent d'accueil trilingue par Phone Régie – qui coordonne également le personnel d'accueil du Louvre-Lens – possède un CDI et est payée au Smic. "La plupart de mes collègues sont, comme moi, diplômés d'un master." Elle détaille son contrat de travail, régi par les dispositions de la convention collective des espaces de loisirs, d'attraction et culturels. "Nous n'avons pas le droit de nous adresser au client de Phone régie, le Mucem". Sur le contrat de travail que nous nous sommes procuré, il est précisé que le salarié s'engage à n'entreprendre aucune poursuite judiciaire contre les clients de la société en ce qui concerne l'exécution et la rupture du contrat.

Conditions difficiles

Laurence souhaite aujourd'hui démissionner comme d'autres collègues qui ont déjà franchi le cap. Intellectuellement, la jeune femme juge son travail peu intéressant par rapport à ses qualifications et aux attributions détaillées dans son contrat de travail. "A cause de notre uniforme, les gens nous prennent pour des agents de sécurité." Résultat, elle est peu sollicitée sur les expositions elles-mêmes. "On me demande plus souvent où se trouvent les toilettes !", s'exclame-t-elle. Les conditions de travail jugées difficiles s'ajoutent à son désarroi. "Il est très rare que l'on obtienne deux jours de congés de suite et encore plus rarement un week-end. Nous travaillons aussi les jours fériés, pour le même salaire, sauf le 25 décembre et le 1er mai. Le planning est reçu deux voire une semaine à l'avance, il est difficile de s'organiser et les pauses dans la journée arrivent n'importe quand, vers 10 h 45 ou 16 h 30." 

Les conditions de travail des guides-conférenciers paraissent encore plus précaires. Comme pour le Quai Branly, c'est le Pont des Arts qui embauche et gère la vingtaine de guides-conférenciers du Mucem. Contacté quelques mois auparavant, le Pont des arts nous expliquait sélectionner les guides selon leur spécialité, archéologie, ethnologie, formation acquise à Sciences Po… Sur leur présentation en ligne, il est même question d'une "équipe de guides-conférenciers multilingues". Une généralité loin d'être vérifiée. En tous les cas, la plupart des employés justifient de l'acquisition de diplômes en cohérence avec la tâche qui leur est attribuée. Ils possèdent un statut de vacataires et sont rémunérés à la visite, qui sont bien payées : pour une heure, 30 €, pour une heure trente, 40 € et les soirées privées sont rémunérées 70 € pour deux heures de travail.

Ton doodle tu rempliras

Pourtant le fonctionnement suscite des mécontents. Nola*, guide-conférencière, témoigne de son ras-le-bol et de celui d'un certain nombre de ses collègues. "Chaque mois, on doit remplir un doodle [planning en ligne – ndlr] avec nos disponibilités sur le mois. Il est bouclé deux semaines à l'avance. Les CDD sont renouvelés chaque semaine et les contrats sont préparés également deux semaines à l'avance. Chaque semaine, nous envoyons un mail pour dire « bon pour accord », ce qui fait office de signature. Cela a un côté très précaire, où l'on peut être renvoyé d'une semaine à l'autre, même si une charte stipule que la vacation reste un engagement tacite et moral et qu'il n'y a aucune raison que l'on ne soit pas reconduits". D'ailleurs le Pont des arts précisait sa philosophie quelques mois plus tôt, "essayer d'avoir une équipe soudée".

Malgré des niveaux d'études élevés, les salaires des guides-conférenciers varient chaque mois, tributaires de la fréquentation et du nombre de guides disponibles. Ainsi, sur les quatre premiers mois, et pour une personne disponible en permanence, les salaires varient entre 400 ou 800 € et, de manière exceptionnelle, atteignent 2000 € lors de vacances scolaires ou à la suite d'un mois particulièrement riche en réservations de groupes. "Évidemment, cela peut présenter un avantage. On peut gagner 2000 euros par mois pour seulement 20 h de travail hebdomadaire – sans compter le travail de documentation à domicile. Mais les salaires restent très irréguliers. Les heures de visite ne sont jamais collées et les nombreux creux dans la journée ne sont pas payés. Lorsque l'on est malade, c'est à nous de trouver un remplaçant. Et ceux qui sont multilingues et qui traduisent leurs visites en différentes langues ne sont pas payés en plus pour ce travail supplémentaire."

De la même manière que pour Phone Régie, les échanges avec le Mucem sont inexistants. Pire, ils sont interdits sans autorisation. Y compris avec les commissaires d'exposition, avec lesquels des contacts réguliers sembleraient pourtant logiques, étant donné le travail des guides. Nola se désole : "J'ai commencé le travail en ayant bénéficié d'une seule journée de formation au cours de laquelle les commissaires d'exposition parlaient durant 1 h 30 de leur travail. Un jour, une visite était organisée avec les commissaires et les gens du musée. Certains guides-conférenciers y sont allés, en dépit de la politique du Pont des arts, qui stipule qu'il faille toujours passer par eux… [La direction] a convoqué les guides et il a fallu lui expliquer que nous souhaitions rencontrer les commissaires d'exposition et qu'il ne s'agissait pas d'une faute professionnelle !".

Arguments "idéologiques"

Dans une lettre adressée au président de la République lors de l'inauguration du Mucem, le syndicat national des affaires culturelles (Snac-Fsu) en a dénoncé le fonctionnement et en particulier ce recours généralisé à la sous-traitance dans le domaine de la surveillance et de l'accueil. "Les fonctions de l'accueil et de la surveillance dans les musées sont des fonctions spécifiques. Une connaissance approfondie de l'institution et de ses collections est une nécessité absolue pour bien informer, renseigner et guider les visiteurs, et cette connaissance n'est pas compatible avec un statut de sous-traitant", avance le courrier. Selon une employée syndiquée du musée, "le Mucem reste un des rares musées à avoir externalisé ces fonctions". Une logique commerciale animerait ainsi le musée, alors que la qualité du service public culturel en pâtirait. "Comme pour d'autres musées nationaux, on compte sur le nombre de visiteurs et sur le mécenat".

Face à ces arguments qu'il qualifie d'"idéologiques", le président du Mucem Bruno Suzzarelli s'insurge : "Même si nous avions plus de fonctionnaires, ils ne viendraient pas plus du monde de l'art. Les guides conférenciers par exemple, recrutés par Pont des arts, sont choisis en fonction de leurs compétences et de leurs qualifications. Et les commissaires d'exposition les forment, tout comme le personnel interne." Le président justifie cette externalisation des services par du pragmatisme. "La qualité des services rendus aux visiteurs suppose de la souplesse, notamment en volume d'emploi. Ce système permet une adaptation à la variabilité des besoins qu'on ne peut prévoir à l'avance, que nous n'aurions pas autrement. Par ailleurs, pour la conservation des oeuvres, domaine pour lequel nous ne sommes pas confrontés à cette variabilité, le travail est réservé aux fonctionnaires." Le reste de ces postes de fonction publique est pour une bonne part occupé par l'encadrement.

Sur les conditions de travail, Bruno Suzzarelli poursuit son plaidoyer : "Le code du travail est respecté et nous n'avons pas eu d'écho d'une insatisfaction particulière. Mais bien sûr, avec l'affluence énorme de visiteurs depuis l'ouverture, les conditions peuvent être un peu difficiles et il est inévitable que le personnel soit surpris par ces difficultés. Le Mucem est soumis à la tutelle administrative de l'Etat, qui a accès à toutes nos données. Moi-même je suis nommé par décret du président de la République qui a le pouvoir de me remplacer s'il le souhaite". Au Mucem, il n'y a pas que les expositions qui sont temporaires.

* Tous les prénoms ont été changés

[ACTUALISATION le 16 décembre ] : Nous publions le droit de réponse de Bruno Suzzarelli, président du Mucem

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Commentaires

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  1. Anonyme Anonyme

    Le jour où les pseudos “managers” auront compris que des gens qui bossent sereinement sont des employés efficaces, beaucoup d’entreprises verront leur rentabilité grimper en flèche.
    En attendant qu’ils daignent se remettre en question, on continuera à sous-payer les gens et à les empêcher d’organiser leur vie personnelle.

    C’est encore plus vrai dans le monde de la culture où beaucoup se plaisent à jouer les grands humanistes en public mais se comportent de manière indigne avec leurs propres salariés.

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  2. athe athe

    Il faudrait peut-être faire un peu la part des choses:
    je pense que ce travail mérite plus de reconnaissance; et chaque salarié devrait avoir droit à un minimum de visibilité – au moins sur une année.
    Mais il me semble complètement irréaliste de vouloir travailler dans le domaine des loisirs culturels et vouloir avoir “son weekend”; ou revendiquer le statut de fonctionnaire, qui ne se justifie absolument pas et qui implique pas mal de contraintes aussi sans que ça se traduit forcément dans la rémunération.

    Et ensuite, on retrouve les mêmes problèmes que partout:
    Que le niveau du diplôme (et notamment dans les sciences humaines) ne se traduit plus en une meilleurs rémunération (et surtout dans le secteur des services).
    Que la maîtrise d’une langue étrangère est au mieux un critère de sélection, mais qu’elle n’est pratiquement jamais pris en compte comme compétence – et donc jamais rémunéré.
    Que la sous-traitance sert systématiquement à contourner le droit de travail – d’une façon ou d’une autre.

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  3. zaqsa zaqsa

    Incontestable succès commercial…..mais précarité sociale !!!! Comment concilier l’inconciliable ?

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  4. andre1383 andre1383

    De nos jour, et dans toutes les administrations nous avons à faire à des elus qui sont des escrocs, favorisant les plus gros trusts à s’emparer du marché du travail ,(travail précaire) bien sur;

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  5. Anonyme Anonyme

    Et “… ue quarantaine de fonctionnaires” … ça n’est pas suffisant ?
    Par contre on aurait mieux fait de recourir à des prestataires qui ont envie de travailler et non pas à des gens qui veulent se montrer : l’accueil pour boire et manger et déplorable … et trés cher ! ….

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  6. THIERRY BESSON THIERRY BESSON

    il y a sans doute un juste équilibre entre ces conditions de travail qui semblent indignes et le j’m’en foutisme du personnel des musées parisiens dont nombre d’entre eux ne respectent pas le visiteur notamment en parlant, jouant dans les salles d’exposition. Comme toujours et partout : une france qui souffre pour celle qui n’a aucune exigence d’elle-même puisqu’elle n’a pas de compte à rendre.

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  7. castadiva castadiva

    Accueil tiède et en plus c’est cher !

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  8. castadiva castadiva

    Accueil tiède et en plus c’est cher !

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  9. Mistral Boy Mistral Boy

    J’aimerais bien que vous abordiez la gestion des restaurants du MUCEM, je suis allé deux fois à la Brasserie Passédat du Fort St Jean, l’accueil et l’organisation sont déplorables, à 12h40 pendant les vacances de la toussaint 10 tables libres, 20 personnes qui attendent et le personnel qui passe sans se soucier des clients qui attendent jusqu’à ce qu’un client s’énerve après 30 mn d’attente et là ils commencent à installer les clients, mais à 13h30 ils annoncent que c’est fini qu’ils ne prendront plus de clients, alors que des personnes attendaient dans la file depuis 45mn… (le service est annoncé jusqu’à 17h30) les touristes sont repartis furieux… et ne sont surement pas prêts de revenir à Marseille.
    Je vous conseille d’y aller juste pour lire les commentaires incendiaires laissés par les clients sur les cartes du restaurant.

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  10. Anonyme Anonyme

    En somme ces jeunes veulent l’emploi, la sécurité de l’emploi, leurs week-ends, les congés maladies, une paye correcte et la retraite à 60 ans? En ce cas ils ont bien raison de vouloir devenir fonctionnaires.Je ne peut que leur conseiller de passer les concours de la fonction publique (avec un bac + 3 ou 4 ils sont nombreux)car ce n’est pas dans le domaine des arts et de la culture qu’ils trouveront leur bonheur.

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  11. lucide lucide

    Je crois que l’on met le doigt sur une énorme faille de l’après 2013 : le budget de fonctionnement de ces nouveaux lieux, nationaux, régionaux , départementaux et municipaux qui s’il n’est pas accru ne leur permettra pas d’assurer leurs missions pour l’attractivité de Marseille

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  12. Electeur du 8e Electeur du 8e

    Et devant le MUCEM, un casino ?

    Le conseil municipal de Marseille va lancer le 9 décembre prochain le processus de réalisation d’un casino sur le J4, à côté du MUCEM. Sans doute la qualité urbanistique et culturelle de ce lieu gêne-t-elle la municipalité…

    Une pétition à signer (avant lundi 9 décembre) pour dénoncer ce projet : http://chn.ge/18xDMND

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  13. Gaelle Gaelle

    Le Mucem: quelques chargés de mission très bien payés et des dizaines de collaborateurs, programmateurs indépendants plus une armée de jeunes en contrat aidé… Et aussi des nombreux fournisseurs payés en retard : une administration très “efficace” dans notre musée marseillais!

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  14. savon de Marseille savon de Marseille

    Il suffirait juste à Marsactu de diffuser l’organigramme pour mettre en perspective un côté FEODAL dans l’Industrie Culturelle. Je ne sais pas si l’offre d’emploi qu’à vu NADIA dans son post.. du 3 décembre a trouvé preneur.

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  15. zinaïda zinaïda

    N’a rien à voir avec le MUCEM, mais j’arrive du Vieux-Port et je suis scandalisée par la grande roue, c’est la foire du trône ou quoi???

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  16. NENESSE NENESSE

    La France est un pays ruiné pour des générations et ceci en est une autre preuve ! Profiter des gens comme ça Quelle honte !!!
    Et tout ça, avec l’approbation des gouvernants !
    Nénesse

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  17. Anonyme Anonyme

    Pourquoi le mucem n’ouvre-il qu’ à 11h, alors que les visiteurs sont beaucoup plus matinaux ?

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  18. Christine Christine

    Pour avoir travailler pour mp13, rien à voir: le MuCEM dépend de la région. Il vaut mieux savoir de quoi l’on parle avant d’écrire.
    Sinon, par rapport au sujet de l’article, j’ai refusé ce genre de poste pour ce musée où vous êtes agent d’accueil/guide/billettiste/un peu de tout. Cette sous-traitance est une forme d’exploitation des jeunes diplômés qui faute de travail sont OBLIGES de dire oui à ce genre d’offre. Je blâme aussi largement les institutions qui valident ce genre de pratiques! Encore heureux que j’ai un minimum d’estime pour mon travail et les études que j’ai faîtes. Je suis choquée de la plupart des propos tenus dans les commentaires qui semblent émaner de personnes n’appartenant pas au monde de la culture: bien sûr que ces pratiques doivent cesser. Les prestataires comme PR ou PDA ne sont là que pour contrebalancer le manque de rentabilité immédiate de la culture qui est soumise comme tout le reste à la loi de l’économie en flux tendus. Money rules the world dommage…

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