Dans les pas de deux députées En marche, novices parmi d’autres à l’Assemblée
S’il est un fait indéniable au sujet des élections législatives qui se sont achevées il y a une semaine, c’est qu’elles ont placé à l’Assemblée nombre de débutants de la chose politique. Curieux de savoir ce que signifie "devenir député", Marsactu s’est glissé dans les valises de deux nouvelles députées marseillaises pour leur premier jour au palais Bourbon. Claire Pitollat et Cathy Racon-Bouzon font partie de la République en marche, dont la vague d'élus a pris d’assaut l’assemblée, dans la foulée de l'élection d'Emmanuel Macron.
Arrivée des deux députés au Palais Bourbon. (LC)
9h00 Gare Saint-Charles
La première voiture du TGV pour Paris est tout au bout du quai. Cathy Racon-Bouzon et Claire Pitollat, toutes deux députées depuis quelques jours, respectivement des 5e et 2e circonscription des Bouches-du-Rhône sont installées côte-à-côte dans un wagon de première classe, vide pour le moment, en ce vendredi. L’une et l’autre ont l’air enjoué. “Aujourd’hui, c’est facile”, sourit Claire Pitollat. “S’il y a bien une journée sans trac, c’est aujourd’hui”, confirme sa voisine, soulagée comme elle d’être venue à bout d’une campagne “pas facile”. Au programme de la journée : l’inscription à l’Assemblée. Pure formalité mais moment obligé, et symbolique, avant de pouvoir siéger.
“François-Michel Lambert [député sortant de la 10e circonscription, réélu sous l’étiquette En marche, ndlr] m’a dit qu’il fallait prendre le temps de s’imprégner, même quand les huissiers te pressent pour aller plus vite, c’est vraiment un moment dont il faut profiter”, estime Claire Pitollat, qui s’interroge sur la qualité de l’appareil photo de son téléphone – permettra-t-il de faire des selfies à poster sur les réseaux sociaux ? Première petite déception à venir en tout cas : “Je crois que nos sièges ont déjà été attribués”, regrette Claire Pitollat. En montant à la capitale pour la dernière des trois journées prévues à cet effet, les deux députées devront probablement prendre les places qu’il reste dans l’hémicycle.
Toutes deux ignorent le programme exact de la journée qui s’annonce. “Une fois arrivées, on doit appeler notre contact à En marche, et ensuite, on ne sait pas”, avoue Cathy Racon-Bouzon, heureuse d’être ainsi encadrée. “Il paraît que la buvette c’est le must !”, plaisante-t-elle, bien consciente de son statut de novice dont elle rit volontiers.
9h40 wagon-bar du TGV
Tandis que le train est bloqué quelques minutes en gare d’Aix, les deux élues tentent de mettre quelques mots sur la campagne qui s’achève mais aussi sur le mandat qui débute, autour d’un café. “On avait toutes les deux des circonscriptions pas gagnées d’avance, pointe Claire Pitollat, tombeuse du premier adjoint Dominique Tian. Forcément on est soulagées d’être arrivées à bout. Sept semaines pour se faire connaître, c’était intense.” Chacune évoque beaucoup “d’apprentissage”, mais aussi la découverte d’enjeux politiques et politiciens, parfois désagréables. “Mais le fait que ça ait été court dans le temps nous a rendues beaucoup plus authentiques, vu ce que ça demande en énergie. Je ne sais pas comment Moraine a fait pour tenir 18 mois en restant sincère. Nous on a été fraîches, parfois un peu trop fraîches, mais ça a marché. C’est pour ça que la politique ne doit pas devenir un métier”, analyse Cathy Racon-Bouzon, arrivée devant un candidat France insoumise après avoir éliminé un successeur potentiel de Jean-Claude Gaudin au premier tour.
Elle ne se voit pas députée ad vitam. “À chaud, comme ça, je ne me vois pas me représenter. J’ai l’envie de m’impliquer à fond pendant 5 ans, mais après je ne sais pas. Par principe, je me dis que ce serait bien que ce soit une expérience d’une fois. Dans le privé, on ne prend pas une fonction pour 10 ans !”, s’interroge celle qui était jusqu’ici directrice du marketing d’une marque vestimentaire marseillaise. Très concrètement, l’urgence est aujourd’hui pour elles de constituer leur équipe, la TPE avec un budget de 9 618 euros mensuels, propre à chaque député. Cathy Racon-Bouzon souhaiterait un assistant parlementaire à Paris et un autre à Marseille, la formule classique. “Ce sont des embauches, il faut prendre le temps, s’inquiète Claire Pitollat. J’aimerais quelqu’un avec de l’expérience”.
“De l’expérience, bien sûr, on ne peut pas tous être nouveaux. Mais aussi quelqu’un à qui on peut faire une confiance totale”, ajoute sa camarade, inquiète de tactiques politiciennes dont elle doit apprendre à se méfier. “En tout cas, la boîte mail est pleine de CV”, souffle Claire Pitollat. Le choix d’une permanence locale viendra après, probablement à la rentrée de septembre.
Dans les jours qui viennent, il va aussi s’agir de prendre ses marques dans l’hémicycle, avant une première session parlementaire qui s’annonce remplie : loi de moralisation de la vie publique, transposition dans le droit commun de l’état d’urgence, habilitation du gouvernement à modifier le code du Travail par ordonnance… Claire Pitollat se sent prête à “travailler sur les dossiers”, tandis que Cathy Racon-Bouzon assure qu’elle n’aura pas peur de faire entendre sa voix, même si “on va peut-être pas l’ouvrir tout de suite”. “Il y aura des personnes plus aguerries, mais aussi beaucoup de nouveaux, et beaucoup de femmes, avec une manière de faire différente, et ça, ça va être bien.” “Ce sont des situations qu’on vit aussi au travail finalement”, relativise Claire Pitollat cadre chez EDF, qui, comme sa consœur, regarde souvent les charges qui l’attendent à travers le prisme de son expérience dans le privé.
Quand on évoque le nom d’Emmanuel Macron, les yeux brillent, “mais on n’est pas des groupies”, préviennent-elles. “Ce dont je suis fière, c’est de participer à un moment de l’histoire française comme celui-là, à ce renouvellement. Mais nous avons surtout un projet à défendre”, pose la députée de la 5e circonscription. “Et puis, on verra plutôt les ministres, lui, on ne va pas tellement le voir, non ?“, s’interroge Claire Pitollat. De retour à leurs places, elles évoquent à voix basse des questions propres au parti, et, au passage, se font une retouche maquillage.
13h Le taxi
“Vous conduisez deux nouvelles députées !”, lance guillerette Cathy Racon-Bouzon à la conductrice de taxi, qui répond par un “ah” peu impressionné. La discussion s’enclenche néanmoins sur la place des femmes en politique, dans ce taxi 100 % féminin. Une amie de Claire Pitollat, qui l’a épaulée pendant sa campagne, mais préfère ne pas être citée pour des raisons professionnelles, a rejoint les deux députés.
“On a failli avoir l’assemblée la plus féminine d’Europe, mais finalement non”, regrette l’élue des 4e, 5e et 6e arrondissements. Claire Pitollat s’active quant à elle à contacter le restaurant de l’Assemblée où elle a réservé, sur les conseils de son amie qui a une petite connaissance du monde politique : “La buvette de l’Assemblée c’est convivial, mais le restaurant du 8e étage, ça fera une vraie pause.” La députée ne dit pas le contraire, elle qui a perdu deux kilos dans la campagne et compte bien se rattraper. Cathy Racon-Bouzon tente de son côté de contacter leur chaperon d’En marche, qu’elles doivent rencontrer en vrai pour la première fois, après des mois de coaching à distance. En avançant rue de l’Université, la voiture passe devant la rue Solférino, et le siège du parti socialiste. Les grilles en sont fermées.
13h20 Le déjeuner avec vue sur Paris
C’est la première fois qu’elles entrent dans des locaux de l’assemblée. Pour accéder au restaurant, qui se trouve au 8e étage du 101 rue de l’Université, il faut présenter patte blanche. La petite équipe reste interdite plusieurs secondes : faut-il emprunter la porte des visiteurs ou celle des parlementaires et personnels titulaires d’un badge ? “Vous êtes des nouvelles, c’est ça ?” Les huissiers les encouragent à passer par la seconde, et les députées peuvent annoncer leurs invités à l’accueil, un peu décontenancées de ce statut privilégié tout neuf.
Au 8e étage, le restaurant est élégant, “mais on y mange pour 20 euros”, a précisé l’amie de Claire Pitollat. De chaque côté de la pièce, une baie vitrée laisse voir les toits de Paris. A la table voisine, le député et président réélu du groupe communiste André Chassaigne déjeune, sans que les jeunes députées n’y prêtent attention. Derrière lui, la tour Eiffel dévore le paysage.
Le déjeuner sera néanmoins très politique. Fabrice Mucci, grand trentenaire, quadragénaire peut-être, en costume-cravate, leur relais dans le mouvement En Marche rejoint la tablée. En même temps qu’une autre amie de Claire Pitollat, elle aussi connaisseuse des affaires politiques, et qui souhaite garder également l’anonymat pour des raisons personnelles.
Originaire de Martigues, Fabrice Mucci se félicite des bons scores du mouvement dans les Bouches-du-Rhône, dont il a supervisé les investitures. “Quand on les verra dans l’hémicycle ce sera une autre image de Marseille !”. Le nom de Marie-Arlette Carlotti est évoqué. L’ex députée et ministre socialiste, à qui Cathy Racon-Bouzon succède, aurait bien voulu de l’investiture En marche, sans succès. “C’était impossible qu’elle l’ait, elle était trop associée à l’ancienne période”, balaye le Martégal, juriste de formation et aujourd’hui chargé de mission au sien du mouvement. Autour de la table, en mangeant un poisson en sauce arrosé à l’eau pétillante, chacun s’accorde à qualifier le moment d’“historique”.
La fin du repas est consacrée à des considérations plus tactiques. Les trois “amis” conseillent les deux députées : comment obtenir la bonne place, dans la bonne commission ? Comment peser ? A qui s’allier, et comment savoir qui attendra quelque chose d’elles en retour ? Claire Pitollat et Cathy Racon-Bouzon écoutent avec attention. “On n’a pas de réseau, on n’est pas introduites, rien !”, lâche la première, sur un ton un peu paniqué. Elle a demandé à participer à la commission des affaires économiques, où sont abordées les questions d’énergie, son secteur. En deuxième choix, elle a demandé celle du développement durable. Elle a aussi des visées sur le groupe d’amitié avec la Norvège, où elle a vécu par le passé. Sa consœur a quant à elle mis en premier vœu les affaires culturelles et l’éducation. “On n’a jamais son premier choix !, prévient l’une des amies de Claire Pitollat. C’est le président du groupe qui décide.”
16h30 L’entrée dans l’hémicycle
Dès leur arrivée au palais Bourbon, situé au 128 de la rue de l’Université, une huissier a pris en charge le duo, dont chacune traîne derrière elle une petite valise – elles passeront à Paris le week-end pour le séminaire de préparation organisé par la République en marche. Marsactu est cantonné à la fameuse salle des quatre colonnes, repaire des journalistes à l’Assemblée, tandis que les deux nouvelles députées suivent un parcours administratif fléché : remplir une fiche de renseignements, poser pour la photo officielle après une nouvelle retouche maquillage, se voir remettre les cartes donnant droit aux transports illimités ainsi qu’une mallette parlementaire. Celle-ci, en réalité un élégant attaché-case en cuir, contient le règlement de l’Assemblée, l’écharpe tricolore à glands dorés, un insigne à porter à son col en certaines occasions surnommé le “baromètre” en raison de sa forme, ainsi que la cocarde à disposer sur le tableau de bord du véhicule des députés. “Mais il faut l’enlever si c’est ton mari qui a pris la voiture !”, prévient Cathy Racon-Bouzon. “Mais ce n’est pas seulement pour Paris ?”, lui répond Claire Pitollat, ingénue. Quelques points sont encore à préciser.
Vient enfin le moment “récompense” : la visite de l’hémicycle. Dès leurs premiers pas dans le demi-cercle aux gradins de velours rouge, les huissiers s’enquièrent de leurs noms : il s’agit de ne pas faire d’erreur de prononciation lorsqu’elles prendront le micro. “Racon-Bouzon, tout simplement”, c’est enregistré. Claire Pitollat a repéré sur le site de l’Assemblée que son siège serait, du moins provisoirement, le 494, deux rangs au-dessus des ministres. Elle s’y assied tandis qu’un huissier en queue-de-pie et grand collier argenté lui explique toutes les subtilités de la place : la petite case contenant le papier et les enveloppes pour échanger pendant les séances, les boutons pour voter, quand ce n’est pas le vote à main levée qui est choisi, ou encore le vote “assis-debout”, qu’il s’efforce de mimer.
Il y a aussi “les fois où tous les parlementaires courent parce qu’il faut vite venir voter un texte”, raconte l’huissier, pas avare en détails sur les us et coutumes du lieu, “mais ça se passera peut-être différemment maintenant ?”. Pendant ce temps, plusieurs députées, toutes des femmes, font aussi leurs premiers pas. Les huissiers les invitent à monter à la place de l’orateur, juste en dessous de celle du président, et les prennent en photo avec leurs téléphones portables, d’un œil bienveillant. Ils semblent curieux et amusés de ces nouvelles résidentes du Palais Bourbon. Jamais sous la 5e République une législature n’a été aussi renouvelée et féminine. Cathy Racon-Bouzon se prend à jouer les invectives en lançant en direction de la gauche des gradins un “Voyons, M.Mélenchon !”, avant de rire d’elle-même. Claire Pitollat remarque de son côté la tapisserie représentant “l’Ecole d’Athènes” au dessus du perchoir. “C’est saisissant”, souffle-t-elle. “Tous ces grands hommes qui sont passés par là”, poursuit sa collègue. “Et maintenant, toutes ces grandes femmes !”
17 h 30 Fin de parcours à la buvette
Il était impensable de ne pas y aller : la visite se finit à la buvette de l’Assemblée, qui ressemble plus à un grand café parisien à la décoration fin du XVIIIe qu’à un comptoir quelconque. Le lieu dispose aussi d’un joli jardin. Derrière le comptoir, le serveur s’enquiert des circonscriptions d’origine des députées. “Mais, vous remplacez qui alors ?”. Il répète les noms de Dominique Tian et de Marie-Arlette Carlotti avec un ton grave. “Mais ce qui se passe à la buvette doit rester à la buvette”, prévient-il. Dont acte. Ici aussi, les visages des personnes attablées semblent pour la plupart nouveaux et les mines encore peu assurées.
Les deux députées marseillaises discutent un temps avec un député de Paris et un autre de la Haute-Vienne tous deux En Marche. Le premier raconte avec fierté comment son engagement de la première heure lui a permis de gravir les échelons du mouvement. On échange des souvenirs de campagnes dans une atmosphère de rentrée des classes euphorique. “Le cercle d’œnologie, il faut absolument y aller !”, dit l’un. “Tu devrais faire partie du cercle aéronautique !”, conseille un autre à Claire Pitollat qui a son brevet de pilote. “Je suis agréablement surprise, je me demandais à quel degré de protocole on serait confrontés, et finalement, je vois surtout de la convivialité”, se réjouit Cathy Racon-Bouzon. Mardi après-midi, le réel travail parlementaire commencera, avec l’élection du président de l’Assemblée nationale, puis la nomination des vice-présidents. Et probablement les premiers échanges tendus, les premières incompréhensions et dilemmes dans la foulée. Mais la pré-rentrée a bien commencé pour cette nouvelle génération dont le chemin semble, à cette heure, encore pavé de velours.
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