“Depuis Noailles”, portrait d’un quartier meurtri en quatre images

Échappée
le 26 Jan 2019
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Trois mois après le drame du 5 novembre, l'exposition "Depuis Noailles" rend hommage au quartier de Noailles. Accueillie par la galerie-librairie Zoème, elle alimente les réflexions autour de l'habitat à travers des photographies de Franck Pourcel, publiées en 2007, et le travail de quatre jeunes artistes.

“Depuis Noailles”, portrait d’un quartier meurtri en quatre images
“Depuis Noailles”, portrait d’un quartier meurtri en quatre images

“Depuis Noailles”, portrait d’un quartier meurtri en quatre images

13 ans après son immersion dans Noailles, le photographe marseillais Franck Pourcel est retourné dans le quartier. Sa torpeur à la suite du drame des effondrements a bien failli le tenir à distance de la rue d’Aubagne, décor de nombreuses photographies qu’il a prises entre 2006 et 2007. “Mais je savais qu’il fallait que j’y aille pour mettre en perspective mon travail”, confie-t-il. C’est ce travail, qu’il a donc entrepris d’il y a plusieurs années, empreinte d’un temps long passé auprès des habitants du quartier, qui est exposé jusqu’au 3 mars au Zoème. Il a été publié en 2007 dans l’ouvrage De Gré ou de force – Noailles à l’heure de la réhabilitation (éd. P’tits papiers). Les photographies sont accompagnées de témoignages retranscrits par la sociologue Marie Sengel. On peut y relire les paroles de Tarek, habitant d’un studio :

“À l’heure actuelle, partir du quartier n’est pas ma priorité, mais quitter mon appartement, oui. Un milieu qui ne plaît pas, on peut toujours l’éviter, en sortir, y aller le moins possible. Un appartement, il faut le quitter. Mon fils, maintenant, il faut qu’il ait son propre espace, parce qu’il n’y a pas d’endroit pour lui dans le quartier mais il n’y en n’a pas non plus dans notre maison. C’est là qu’on se retrouve coincé.”

Découvrir aujourd’hui le travail de Franck Pourcel et Marie Sengel nous révèle la persistance des problématiques liées à l’habitat. “Marie Sengel me dit souvent que le quartier de Noailles est comme un sas où les populations se posent avant de rebondir vers un autre environnement qu’ils espèrent meilleurs”, note Franck Pourcel. Le photographe prend d’ailleurs soin de capturer ce qu’il appelle “les petites histoires, qui prennent forme dans les rues parfois même sans que les gens s’en rendent compte. Être photographe, c’est prendre des points de vue qui offrent de la perspective. Je suis en position de photographier deux personnes qui se croisent dans la même rue sans se remarquer l’un l’autre. Cela donne de la profondeur à l’image et à l’humanité.”

En 2006, le photographe répond favorablement au projet de Marie Sengel de réaliser un livre sur Noailles, marqué par ces scènes de vie, mais aussi par les couleurs qui habillent les rues du quartier. 13 ans plus tard, cette exposition restitue cette atmosphère, et ces réflexions sont enrichies par les peintures et dessins récents de quatre jeunes artistes de l’Atelier 72 sensibles, dont ceux de Giuseppe Gütan, dessinateur italien installé à Marseille. Visite commentée en quatre images.

Rue de l’Académie, 2007

Franck Pourcel :

“Après le drame du 5 novembre, j’ai repensé à cette photo. La série que j’avais réalisée ce jour-là m’est réapparue car elle dégage quelque chose de fort. Elle dégage cette idée terrifiante qu’est l’anonymat dans l’espace public. Les gens qui marchent dans cette rue, comme les gens qui sont morts rue d’Aubagne, peuvent être n’importe qui d’entre nous. En prenant ces personnes de plongée, les ombres sont fugaces, et en même temps plaquées sur le sol. L’ombre précède celui qui marche. C’est l’ombre de la mort.”

Rue d’Aubagne, 2007

Franck Pourcel :

“Les photos que j’ai prises dans l’espace public sont pour la plupart en noir et blanc car chez soi, chacun construit son espace intime, mais la rue, elle, a quelque chose de plus neutre a priori. Et ce qui me marque à Noailles, c’est justement cette appropriation de l’extérieur. Des petites choses de l’intime y réapparaissent : des jeunes garçons qui se partagent une pizza sur le trottoir, des inconnus qui se croisent, des instants de jeu, comme celui-ci. Le noir et blanc permet de capter la couleur de ces détails. Cette photo, c’est ma partie de cartes de Pagnol revisitée au bas de la rue d’Aubagne.”

N°63, 65 et 67 rue d’Aubagne, 2019

Franck Pourcel :

“J’ai eu beaucoup de mal à retourner rue d’Aubagne. Je l’ai même évitée : pendant les marches de soutien, je rejoignais le cortège sur la Canebière. Je n’y arrivais pas. Jusqu’à un soir de janvier où je suis sorti à 4 heure du matin pour faire des photos dans Noailles. Arrivé en face des immeubles effondrés, je n’ai pris que 3 ou 4 clichés avant qu’un gardien me vire d’ici. Je pleurais presque de faire ces photos. Il y a quelque chose de surprenant dans le vide, l’absence, le néant. Ce qui me frappe à ce moment, c’est le blanc. L’impression d’un décor en carton-pâte. Et les immeubles dans la cour qui forment une présence et rappellent que les immeubles effondrés étaient entourés.”

Dessin, 2018

Giuseppe Gütan :

“J’ai fait ce dessin peu avant les effondrements. Il parle de la gentrification, car c’est un phénomène que j’ai connu là où j’ai grandi, dans la banlieue de Naples. On voit une grosse machine au fond qui se construit et qui défriche. Devant au centre, c’est la cabane de l’architecte. Elle symbolise ce petit préfabriqué, ce petit satellite qui est planté sur tous les chantiers et dans lequel on planifie les opérations de gentrification. L’homme à gauche avec son âne rappelle la disparition de certains paysages agricoles vidés de leurs habitants. Le climat de la scène est lourd mais le sens visible n’est que suggéré. C’est un phénomène qui opère à Marseille.”

“Depuis Noailles”. Franck Pourcel, Marie Sengel, Alberto Ruce, Giuseppe Güttan, Mahn Kloix et Sebastián Sarti. Jusqu’au 3 mars au Zoème (8, rue Vian).

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Commentaires

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  1. LN LN

    C’est qui/quoi, ce Masum qui commente et qui n’apparaît nulle part ?

    Signaler

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