Des formations pour enseignants victimes collatérales du dédoublement des classes de CP
Pour mettre en place la réforme du dédoublement des classes de CP en réseau d'éducation prioritaire, l'Éducation nationale va devoir réduire l'accès à une formation du Planning familial pour les enseignants, destinée à faciliter l'expression des élèves. D'autres formations devraient rencontrer les mêmes difficultés.
(Image L.Castelly)
Dédoubler des classes dans les réseaux d’éducation prioritaire, a priori, l’idée n’a pas de quoi fâcher. Mais à quel prix ? Dans les Bouches-du-Rhône, le dédoublement des classes de CP en réseau d’éducation prioritaire renforcé, qui sera mis en place au moins partiellement dès la rentrée prochaine, risque fort d’avoir des conséquences sur les formations des enseignants de ce même réseau d’éducation prioritaire. En faisant appel aux enseignants actuellement en poste comme remplaçants, le temps dédié à la formation va mécaniquement en pâtir.
La première formation touchée s’appelle le Prodas ou programme de développement affectif et social. Il s’agit d’une méthodologie dispensée depuis 2005 à certains enseignants qui font face à des classes difficiles. Tout droit venu du Québec, le Prodas vise à donner à l’enfant des clefs pour exprimer ses émotions et écouter ses camarades exprimer les leurs. Depuis 2005, 250 enseignants on été formés à ce programme dans le département. Jusqu’alors, le Prodas était une formation “bonus“, dispensée par un intervenant externe à l’Éducation nationale, le Planning familial. Les enseignants qui le souhaitaient pouvaient être remplacés, durant leur temps de travail, pour recevoir la formation. Ce ne sera plus aussi simple désormais.
En effet, la réforme du dédoublement des classes de CP va mobiliser une centaine de postes issus la brigade de remplacement des Bouches-du-Rhône. Les enseignants ne pourront donc plus faire appel à ces remplaçants le temps de la formation. Un réel désagrément à en croire ceux que nous avons pu interroger, pour qui cette méthode a un effet positif sur la régulation des conflits une fois appliquée en classe. “Dans les quartiers difficiles où nous enseignons, c’est un outil formidable. Certains enfants n’ont pas l’habitude de dire ce qu’ils ressentent, ils n’ont pas les mots qui correspondent à des sentiments“, analyse Carole Allione, directrice de l’école Canet Ambrosini, dans le 14e arrondissement de Marseille.
Une formation reconnue dans le corps enseignant
“On fait un cercle en petit groupe avec les enfants. On leur raconte une histoire puis on leur donne un objet, un chapeau par exemple, qu’ils doivent se faire passer. Quand l’enfant a le chapeau entre les mains, il doit dire ce qu’il a ressenti pendant qu’on lui racontait l’histoire.” Magali, enseignante à l’école primaire de la Cabucelle, dans le 15e arrondissement de Marseille, explique ainsi le principe du “cercle magique“, l’outil central du Prodas qui a pour but de développer chez l’enfant la conscience de lui-même. L’objectif étant ensuite de lui apprendre à exprimer ce qu’il ressent pour l’aider dans ses interactions sociales.
“Un jour à la récré, un petit très violent est venu me voir et il m’a dit “maîtresse, je voulais le taper mais je sais que je suis en colère, alors je vais me calmer et j’irai lui parler après”. Je n’en revenais pas ! Je me suis dit : Bingo ! ça marche !”, se rappelle Magali, qui n’est pas la seule parmi les enseignants du réseau d’éducation prioritaire à vanter les mérites du Prodas.
“L’éducation nationale nous lâche”
Quand la formation est arrivée en France, c’est à Marseille qu’elle a été dispensée pour la première fois. Aujourd’hui, d’autres villes comme Montpellier, Avignon ou encore Grenoble testent le programme. Le Prodas, jusqu’alors enseigné ici au niveau départemental, tendait même à s’étendre. “Nous étions en cours de régionalisation“, regrette Aurélie Tardy, coordinatrice du programme Prodas au Planning familial 13.
Mais l’expérience est aujourd’hui compromise. ” Les services départementaux de l’éducation nationale nous lâchent. C’était eux qui géraient les remplaçants qui palliaient l’absence des enseignants qui venaient se former avec nous. Si nous voulons poursuivre l’aventure, nous allons devoir nous dépatouiller circonscription par circonscription, négocier avec chaque inspecteur académique un temps pour la formation. Cela va être compliqué mais nous, nous ne lâcherons pas !“, fulmine Aurélie Tardy.
Du côté de l’Éducation nationale, on confirme cette mauvaise posture du Prodas. “Nous sommes effectivement en train de réfléchir pour réduire ce programme“, admet Dominique Beck, le directeur académique des services de l’Éducation nationale des Bouches-du-Rhône. Pour lui, le Prodas n’a pas prouvé ses vertus. “Notre médecin technique l’a évalué et a émis des réserves sur ce programme“, argumente-il.
En 2013, une étude de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille a pourtant loué ce dispositif du Planning familial que délaisse aujourd’hui l’Éducation nationale. Selon cette étude, le Prodas a une influence positive concrète sur les enfants, au niveau de “l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes, leur capacité à prendre la parole, leur vocabulaire des ressentis, leur écoute et leur empathie.” Une étude “datée et peu significative” selon Dominique Beck.
Fini la formation bonus
Si le Planning familial des Bouches-du-Rhône veut continuer à former les enseignants au Prodas, il va devoir se plier à certaines conditions, explique Aurélie Tardy, membre du mouvement qui assure cette formation : “L’inspection académique nous a proposé de former les enseignants qui le souhaitent pendant un temps de formation obligatoire du REP+, qui se déroule quand les enfants ne sont pas en classe, les mercredis après-midi par exemple. Le souci, c’est que si les enseignants choisissent de se former au Prodas, ils perdent d’autres formations de l’Éducation nationale. Et on nous a bien fait comprendre que nous n’allions pas être présentés comme une formation importante. “
La coordinatrice du programme entend également préserver des conditions convenables à la formation. “Il faut que nous puissions avoir quatre jours continus, ou à la limite deux fois deux jours.” Mais tous les inspecteurs académiques ne sont pas forcément enclins à accepter cela. Ils peuvent également refuser que la formation au Prodas soit proposée dans leur secteur.
“Dans l’application d’une nouvelle réforme, il y a toujours des arbitrage à rendre, c’est mon rôle de le faire. Alors oui, certaines formations vont devoir être réduites. Pour le Prodas, nous savions avant la réforme du dédoublement des classes que ce n’était pas efficace, tranche Dominique Beck. Mais développer le dialogue reste l’un de nos objectifs, simplement, nous allons le faire nous-mêmes.” Quitte à laisser tomber des dispositifs appréciés par ceux qui sont sur le terrain. Et le grand ménage ne devrait pas s’arrêter là, annonce Dominique Beck sur le ton de l’évidence : “D’autres formations vont être réduites, nous allons devoir définir cela dans les jours à venir “.
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Le syndicat Sud Éducation a écrit une lettre ouverte au directeur académique des Bouches-du-Rhône demandant notamment la réintégration du programme Prodas :
«Ce programme qui a été mis en place en 2005, d’abord de façon expérimentale, puis qui s’est développé dans plusieurs écoles marseillaises, vise à faire acquérir aux élèves une plus grande autonomie affective, émotionnelle et mentale. Il favorise également un climat scolaire apaisé.
Pour SUD éducation 13, on ne peut prôner une école bienveillante et dans le même temps supprimer les projets qui y contribuent.
Pour justifier le retrait du PAF [plan académique de formation], du Prodas, les services de l’Éducation Nationale ont invoqué des questions organisationnelles, mobilisation des brigades pour la mise en œuvre des CP à 12 en REP+.
Son utilité pour les enseignantEs et les élèves a également été remise en cause. Pourtant ce n’est pas le sentiment des enseignantEs qui pratiquent le Prodas et qui nous ont alerté de son retrait du PAF.
Pour SUD éducation 13, la mise en place du dispositif « CP à 12 » ne peut se faire au détriment de projets qui fonctionnent et qui ont l’adhésion des enseignantEs. Plus généralement, nous ne pouvons accepter un redéploiement des brigades au détriment du remplacement dans les écoles, ce qui remet en cause les départs en formation et les remplacements pour congé maladie […] »
Le courrier est ici : http://www.sudeduc13.ouvaton.org/spip.php?article1373
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