“Dans les services de réanimation, l’intensité de la vie est paradoxalement extraordinaire”

Interview
le 20 Sep 2021
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Ce lundi soir sera diffusé sur France 3 Provence-Alpes le documentaire Soigner, et après ? réalisé par Pauline Lefrançois. Journaliste télé installée à Marseille, elle est allée à la rencontre des soignants, dans les services de réanimation de la Timone mais aussi en dehors de l'hôpital.

La réalisatrice a suivi des soignants pendant une dizaine de jours au printemps 2021. (Capture extraite du film Soigner, et après ? par Pauline Lefrançois)
La réalisatrice a suivi des soignants pendant une dizaine de jours au printemps 2021. (Capture extraite du film Soigner, et après ? par Pauline Lefrançois)

La réalisatrice a suivi des soignants pendant une dizaine de jours au printemps 2021. (Capture extraite du film Soigner, et après ? par Pauline Lefrançois)

Correspondante locale pour des chaînes de télévision, Pauline Lefrançois choisit cette fois-ci le temps long pour se pencher sur un sujet qui lui tient à cœur et que la crise épidémique a révélé. “Qui sont ces gens qui nous soignent et comment vivent-ils ce rôle ?”, s’interroge-t-elle. La jeune femme s’est rendue dans des services de réanimation de la Timone alors que la troisième vague de la pandémie s’annonçait, au printemps 2021. Au cœur de la ville, au cœur de la crise, là où précisément, le cœur peut s’arrêter.

Pauline Lefrançois (Photo : Philippe Fontalba)

Durant une dizaine de jours, elle a suivi quatre soignants aux parcours et personnalités bien différentes, mais dont le métier est une passion. De l’hôpital jusqu’à chez eux, elle capte émotions surgissantes et valeurs profondes, celles qui guident une vie professionnelle souvent débordante. En découle un film à la fois cru et touchant. L’occasion de se plonger dans un monde qui ouvre rarement ses portes, mais autour duquel tout se joue depuis un an et demi.

Quel est l’élément déclencheur de la réalisation de ce documentaire ?

J’ai toujours travaillé sur les questions de santé, sur l’hôpital public que j’ai beaucoup fréquenté quand j’étais plus jeune. J’étais de l’autre côté de la barrière, et j’ai vu la cadence effrénée dans laquelle travaillent les soignants, les conditions de prises en charge compliquées… Ma maladie a duré plus de dix ans, j’ai eu le temps d’observer tout cela. Et puis j’y ai fait des reportages, et je me suis rendu compte que ça ne changeait pas, que c’était de pire en pire.

Quand il y a eu le Covid, je me suis dit : “mais comment l’hôpital va tenir ?”. En réalisant des reportages dans les réanimations durant la deuxième vague, je me suis aperçue que les soignants avaient un énorme besoin de témoigner de ce qu’ils vivaient. Ils nous disaient qu’ils ne pouvaient pas laisser tomber les gens, mais que c’était très compliqué pour eux. C’est cela que je suis allée chercher.

Et puis au mois de janvier, j’ai rencontré Julien Carvelli lors d’un reportage. Ce médecin m’a beaucoup inspirée, nous avons le même âge, il a de l’humanité et un rapport aux patients qui m’ont touchée. Je me suis demandée qui il était, si pendant la crise, on était juste un médecin, si on ne faisait que soigner ou si on avait d’autres préoccupations. Il a été le point de départ de ce projet.

On suit tout au long du film ce médecin, mais aussi une interne, une infirmière de jour et un infirmier de nuit. Comment avez-vous choisi ces personnages ?

C’est justement Julien, un élément central dans ce projet, qui m’a présenté des soignants qui m’ont permis de faire ce film. Je cherchais des gens qui avaient une capacité à parler de leur dévouement, de leur ressenti par rapport à cette crise. À l’hôpital, souvent, les gens ont peur de dire ce qu’ils ressentent.

C’est la rencontre avec Julien Carvelli, médecin, qui a initié le documentaire. (Capture extraite du film Soigner, et après ? / Antipode)

Ces personnages ne présentent-ils pas aussi, chacun à leur manière, une forme d’engagement ?

Oui. Martin, l’infirmier de nuit filme dans son service sur son temps libre, c’est symptomatique de ce besoin de témoignage, de reconnaissance et de rétablir la vérité. Julien, lui, participe à un essai clinique, il cherche ce que l’on peut faire pour que les patients aillent mieux. Marie-Laure, l’infirmière de jour porte, elle, un combat politique sur les conditions de travail. Enfin, Ondine, l’interne, représente ceux qui démarrent dans un tremblement de terre, ils arrivent dans un service avec un virus qui bouleverse tout.

Quelle ambiance avez-vous découvert dans les services ? Avez-vous pu voir une évolution ?

J’ai filmé entre mai et juin 2021, nous n’étions pas encore dans la troisième vague. Les soignants étaient épuisés, physiquement et mentalement. Il y avait une forme de lassitude à ne soigner que le Covid. Le 11 mai, il y a eu des grèves. Les soignants étaient en colère et inquiets de voir des collègues partir des services. Ils se demandaient comment ils allaient faire pour soigner les patients si leur service n’était pas attractif, s’ils n’étaient pas reconnus, s’il n’y avait pas de revalorisation.

En même temps, les bars et les restaurants ont rouvert. Ça leur a permis de se détendre. Ils sont soignants, mais pas que. Ils me disaient que le fait de boire un verre après le boulot, de retrouver une vie normale, de sortir de cette bulle qu’est l’hôpital change tout. Dans l’hôpital, il n’y a pas de repère de temps, peu de fenêtres, de lumière et les équipes deviennent même une deuxième famille.

Vous avez donc suivi ces soignants durant deux mois, à l’hôpital, mais aussi un peu dans leur vie privée. Comment ont-ils vécu le fait d’être accompagnés d’une caméra dans ces moments ?

On en a beaucoup discuté avec eux, on a pris le temps de se connaître, de créer une relation de confiance. Au départ, par exemple, Marie-Laure, l’infirmière de nuit, était méfiante. Mais elle s’est révélée et a ouvert son cœur pendant le tournage. Je pense que ça lui a fait du bien.

Le documentaire suit les soignants sur leur lieu de travail, mais aussi en dehors. (Photo de tournage : Antipode productions)

Julien lui, à l’inverse, a plus l’habitude des caméras. Mais je crois que cela leur a  permis à tous de s’inscrire dans cette crise unique, de ramener du sens dans leur métier et de le montrer aux autres. Les soignants ont parfois le sentiment que les gens ne savent pas vraiment ce qu’ils font, sauf quand ils se retrouvent hospitalisés.

Qu’est-ce qui a été le plus dur à filmer ?

La séquence avec Théodora. Je savais qu’en réanimation, nous serions confrontés à des scènes compliquées, mais là, c’était le premier jour et nous nous sommes retrouvés face à cette patiente âgée de 78 ans, qui devait se faire intuber. On savait qu’à cet âge-là, avec une intubation, elle pouvait ne pas s’en sortir. L’équipe a fait le choix de l’intuber et nous avons assisté à cette scène. On filmait peut-être les derniers moments de sa vie…

D’un côté, on ne savait pas si on était à notre place, si on ne volait pas l’intimité de cette dame. En même temps, c’est important de montrer cela. C’est la réalité des choses. Heureusement, et un peu par miracle, elle s’en est sortie.

Il y a dans votre film des scènes émotionnellement difficiles. Comme celle dont vous venez de parler. Mais aussi visuellement, avec ces corps nus, entre la vie et la mort. Et en même temps, beaucoup d’espoir et d’entrain émergent au travers des personnages…

Un service de réanimation en temps de Covid, ce sont des gens intubés durant deux ou trois semaines, des patients sédatés qui le restent longtemps avant de s’en sortir. Ou pas. Les soignants s’occupent de corps, il n’y a pas de relation avec le patient. Mais ils ont cette faculté à se dire que ce qu’ils font est important. Laver une personne qui ne peut plus le faire elle-même, c’est ça aussi soigner : “prendre soin de”.

On pense qu’un service de réanimation, c’est la mort tout le temps. Mais en fait, c’est un endroit où l’intensité de la vie est paradoxalement extraordinaire. Il y a un instinct, des sursauts de vie et certains s’en sortent. En réanimation, on se rend encore plus compte de la valeur de la vie.

Vous avez intitulé ce documentaire “Soigner, et après ?”. Pourquoi ?

Il y a plusieurs explications. D’abord parce que j’ai voulu comprendre ce que c’était de soigner pour mes personnages. Mais après, quand ils rentrent, que se passe-t-il ? Dans quel état d’esprit sont-ils ? Est-ce qu’ils ne pensent qu’à leur travail ? Est-ce qu’ils ont des moyens de couper ? Il y a donc cet “et après ?” dans la vie intime, mais aussi un “et après, qu’est-ce qu’on fait ?”. Ces gens ont soigné les malades du Covid, “et après”, quelle place va-t-on leur donner dans la société ?

Quel est le message principal que vous en retirez ?

J’ai avant tout voulu montrer qui sont ces gens qui soignent les malades du Covid, mais aussi susciter une réflexion. L’hôpital public est extrêmement important, on y soigne toutes les maladies et tout le monde. On doit en prendre soin. Cette crise doit être un électrochoc pour que les autorités, mais aussi nous, Français, nous rendions compte que notre comportement a un impact sur toute une chaîne de soin.

Avez-vous repris des nouvelles des services de réanimation de la Timone dans lesquels vous avez tourné ?

Oui. Ils sont toujours fatigués et lassés. Beaucoup de soignants sont partis des services de réanimation. Mais ceux qui restent sont bien là et le resteront.

“Soigner, et après ?” est diffusé ce lundi 20 septembre, à 23 h sur France 3 Provence-Alpes, puis rediffusé le mardi 21 septembre à 9 h 45 et le mercredi 6 octobre à 9 h 45. 

Réalisation : Pauline Lefrançois Images : Philippe Fontalba et Frédéric Miara Montage : Karen Gringet / Co-produit par France Télévisions et Antipode-Fanny Productions.

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Commentaires

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  1. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    L’aspect politico-économique peut-être, est à relever, mais l’aspect ”humain” donc affectif, psychologique ou relationnel me semble important.
    Sauf que nos gouvernants demeurent sur des tableurs Excel, la tarification à l’acte et autre joyeusetés qui font le charme des calculateurs, des gestionnaires qui ont pris en otage notre monde civilisé.
    Je ne sais si je verrais ce documentaire mais une chose est certaine; quand tout sera privé, nous serons privés de tout. Écoles, cliniques, labo, polices, armées privées…et tutti quanti…!

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