Dans les rues de Marseille, “la jeunesse emmerde toujours le Front national”

Reportage
le 8 Juil 2024
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Sur le Vieux-Port, la manifestation contre l'extrême droite s'est transformée en grande fête populaire, réunissant des jeunes Marseillais de tous les horizons.

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Après l'annonce des résultats nationaux, un rassemblement festif a démarré sur le Vieux-Port. (Photo : Emilio Guzman)

Après l'annonce des résultats nationaux, un rassemblement festif a démarré sur le Vieux-Port. (Photo : Emilio Guzman)

“Je vais avoir le Smic à 1600 euros !” Il est 20h30 sur le Vieux-Port et la victoire nationale du Nouveau front populaire s’exprime d’abord par les sourires, comme celui de ce jeune homme au téléphone, surexcité. Puis rapidement, la foule s’agglutine. D’abord, une trentaine de militants communistes s’invitent, poings et drapeaux levés. Le match de foot qui s’improvisait sur le Vieux-Port s’arrête net, et les deux petits groupes, joueurs de foot et manifestants, se retrouvent nez-à-nez, avant de s’époumoner ensemble : “La jeunesse emmerde le Front national !” Suivi de : “Et la rue elle est à qui ? Elle est à nous !”

Pendant ce temps, sur le cours Julien, c’est l’explosion de joie mêlée de surprise. Les militants de la réserve citoyenne sont euphoriques. Rassemblés devant un bar sympathisant, certains ont du mal à réaliser le score inattendu des candidats du Nouveau front populaire. Louis, un trentenaire attablé devant une bière, se réjouit “de voir que la France n’a pas pris un virage comme la Hongrie ou l’Italie”, et veut croire que “cette élection aura un retentissement à l’échelle européenne”. Rapidement, les sonos sont sorties et les morceaux Ma France de Diam’s ou Porcherie des Bérurier Noir s’enchaînent dans une joyeuse pagaille. À quelques rues de là, à La Plaine, des platines sont installées. On danse dans tous les sens, et les verres et les canettes se vident et se remplissent au rythme de la musique devant le DJ set.

Passé le temps de la liesse, des grappes de manifestants descendent les rues de Noailles en scandant des slogans antifascistes. Au bas de la Canebière, ils sont accueillis sous une pluie de klaxons. Le rendez-vous était donné à 21h30 pour une manifestation de combat “face à l’extrême droite” à l’appel de nombreuses associations. Surprise : les résultats nationaux ont transformé le rassemblement en fête populaire.

Jul et fumigènes

En moins de dix minutes, le Vieux Port est devenu impraticable. Comme les soirs de grands matchs, les fumigènes éclatent, les automobilistes brandissent des drapeaux, les parents portent leurs enfants sur les épaules et des groupes de touristes filment le tout. “Et Bardella casse-toi ! Et Bardella casse-toi ! Et Marine casse-toi ! Et Marine casse-toi !” Un jeune en direct sur Snapchat chauffe la foule. Il fait partie du collectif Urgence Palestine Marseille, qui fédère une bonne partie des manifestants au début de la soirée. Pour ne pas interrompre sa vidéo, il nous redirige vers l’une de ses collègues, palestinienne et marseillaise. “La victoire de la gauche, ça va être très important pour Marseille. Pour tous les problèmes sociaux, et pour la représentativité du peuple”, déroule-t-elle.

Sur le Vieux-Port, personne ne s’inquiète des hauts scores de l’extrême droite locale, tout le monde se réjouit de constater “qu’il n’y a pas que des racistes en France”, résume Kamila, 21 ans. Cette étudiante est descendue du 15e arrondissement où elle vit pour assister à cette fête historique. Comme ses amies Noémie et Lidia, elle a voté Mélenchon puis Macron en 2022, et Sébastien Delogu le 30 juin dernier. “J’espère que cette élection va finir de discréditer le RN, qui n’a rien à offrir, à part la haine, la haine de l’immigration et l’islamophobie, poursuit Kamila. Bref, la jeunesse emmerde toujours le Front national, et on est trop contents de faire la fête entre immigrés ! Je rigole. On est Français et on est fiers de l’être.”

Un stand de citronnade se met à cracher du Jul. La chanson est de circonstance et des jeunes crient : “Ce soir j’oublie tout !” Sans transition à leurs côtés, les communistes frappent dans leurs mains au rythme du refrain, puis proposent : “Pas de fachos dans nos quartiers, pas de quartiers pour nos fachos !”

Grégoire, la soixantaine se tient un peu à l’écart avec deux de ses collègues marseillais. Casquette à la gavroche vissée sur le crâne, il pose d’emblée : “bon, on est pas super nombreux”, un brin défaitiste (selon la police, le cortège compte tout de même 5000 personnes). Avant de rapidement se reprendre pour saluer l’énergie des jeunes manifestants rassemblés ce soir. “Ça me rappelle les mobilisations pour Adama Traoré. Ça fait plaisir de voir toute cette jeunesse”, et s’excuse presque, en rigolant : “nous, on est des vieux schnoks, des manifs, on en a trop fait !”

Ville d’accueil

Ce dimanche soir, c’est bien la jeunesse, d’où qu’elle vienne, qui mène la fête. “Qui d’autre que la gauche peut réunir tout le monde comme ça dans la rue ? Parfois j’ai l’impression qu’on est tous dans nos bulles, mais pas ce soir”, se réjouit une jeune femme de 26 ans, investie dans un collectif spécialisé dans l’hébergement d’urgence. Pour elle, une extrême droite privée de majorité est “une bonne nouvelle pour la solidarité”.

Fumigènes et klaxons sur le Vieux-Port. Photo : Emilio Guzman

Les organisateurs de la manifestation enjoignent la foule à remonter la Canebière. La célébration s’éternise au croisement de la rue de Rome à la lumière des fumigènes. “Marseille, Marseille, antifa !” chante la foule. Aboubacar, Camara et Alseny, 17 ans tous les trois, restent un peu ébahis. “On pensait que l’élection allait nous poser des problèmes”, explique le premier, arrivé de Côte d’Ivoire, apprenti coiffeur. “On aime trop Marseille, c’est une ville d’accueil”, ajoute Camara, lycéen. “Il y a de la cohésion entre tout le monde ici”, assure le troisième collègue. À l’écart aussi, Saïda, Algérienne en France depuis 20 ans, pousse un soupir de soulagement : “moi, j’ai élevé mes enfants ici, j’ai toujours voulu le vivre ensemble et rien d’autre. La France, elle mérite d’être bien.”

Sur la rue de Rome au niveau de la Préfecture, les forces de l’ordre sont évidemment déployées, une poignée d’adolescents leur font face le visage cagoulé, mais rien ne se passe. Des habitants accueillent le cortège au pied de leurs immeubles. Un jeune homme s’adosse à un mur. Brancardier, il pense lui aussi “au Smic à 1600 euros”. Il est descendu de Saint-Loup (10e) pour vivre ce moment, tout seul. Il suivra la foule qui poursuit désormais vers la Plaine, promise à une célébration grandiose, que rien ne pourra arrêter, pas même les 11 députés RN élus ce soir dans le département. Pas ce soir.

Avec Grégoire Mothe

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