Contre l’avis de l’inspection du travail, ArcelorMittal pourra garder ouverte son aciérie
Le tribunal administratif de Marseille examinait mardi un recours déposé par ArcelorMittal, après la décision de l’inspection du travail de fermer son aciérie de Fos-sur-Mer pour protéger des salariés anormalement exposés à des produits cancérogènes. Invoquant la "liberté du commerce et de l’industrie", la justice a donné raison à l’industriel.
L'usine ArcelorMittal à Fos-sur-Mer (Photo : Clémentine Vaysse)
La multinationale de l’acier vient de remporter le bras de fer qui l’oppose depuis deux mois à l’inspection du travail. Le tribunal administratif de Marseille a annulé jeudi 6 juillet la demande de suspension de l’activité de l’aciérie, partie centrale de l’usine de Fos-sur-Mer d’ArcelorMittal, décidée le 19 juin par l’inspection du travail. Une décision que l’industriel jugeait “disproportionnée”, et contre laquelle il avait déposé un référé “liberté”, une procédure d’urgence, vendredi dernier.
Sur le fond, la justice administrative donne en partie raison à ArcelorMittal. Elle se base pour cela sur les engagements listés dans la dernière version du plan d’action présenté par l’industriel pour protéger ses employés des poussières et gaz cancérogènes. Dès lors, la décision de fermeture de l’aciérie ne semble plus “ni adaptée, ni proportionnée”, établit le jugement. Celui-ci considère que “les mesures demandées par l’inspectrice du travail ont été prises en compte et que l’arrêt immédiat de l’aciérie porte une atteinte grave à la liberté du commerce et de l’industrie” fait ainsi savoir le tribunal dans un communiqué de presse publié jeudi. Le jugement “ordonne la suspension de la décision de fermeture immédiate prise par l’inspectrice du travail”.
Lors d’une visite de contrôle sur le site le 25 avril, les services de l’inspection du travail avaient constaté l’exposition excessive des salariés à divers agents cancérogènes et mutagènes, notamment la silice cristalline, aux effets proches de l’amiante, et le benzo(a)pyrène. Après trois semaines d’échanges avec la direction de l’usine sur les mesures à mettre en œuvre pour protéger les employés, elle avait estimé que les plans d’action successifs restaient insuffisants. Le 19 juin, elle demandait donc la fermeture temporaire de l’aciérie, afin que l’ensemble de ces demandes concernant la protection des 460 salariés et ouvriers d’entreprises sous-traitantes travaillant au sein de l’installation soient satisfaites.
S’il désavoue l’inspectrice en suspendant sa décision, le juge du tribunal administratif souligne aussi dans ses conclusions qu’un accord entre les deux parties semblait proche d’être trouvé. “Il ressort des explications données à la barre par les parties (…) que le troisième plan d’action, en date du 29 juin 2023, a été adressé à l’inspectrice du travail accompagné d’une demande de suspension de la mesure de fermeture et que cette demande est en cours d’instruction par l’inspectrice qui, selon ses déclarations « a encore deux points à vérifier et souhaite rencontrer de nouveau la direction de l’entreprise ».”
Coups de pression pour éviter la fermeture
“Nous poursuivons le dialogue avec l’inspection du travail”, fait savoir ArcelorMittal dans un communiqué paru jeudi. Au cours des deux mois précédents, la multinationale de l’acier semble avoir envisagé tous les moyens possibles pour résister aux demandes des services de l’État. Dans un communiqué en date du 27 juin, ArcelorMittal affirmait notamment qu’il fallait 6 à 8 semaines minimum pour arrêter les installations sans risquer des dommages environnementaux, de mettre en danger les salariés ou d’endommager l’outil industriel. “C’est de la communication, rétorque Jean-Luc Ruffin, délégué syndical CGT de l’usine. Quand ils décident d’arrêter un haut-fourneau pour des raisons économiques, comme l’hiver dernier, ça ne prend pas plus de 2 à 4 semaines”.
L’entreprise a par ailleurs agité la menace du chômage technique avec des baisses de salaires. “Mais si l’aciérie avait fermé, les 460 employés devaient légalement percevoir l’intégralité de leur rémunération”, rappelle Jean-Luc Ruffin. Malgré la décision de l’inspectrice du travail, les procédures nécessaires à l’arrêt de l’usine n’ont jamais été engagées, d’après plusieurs représentants syndicaux. “Ces derniers jours, on produisait au maximum, pour honorer les commandes en cours et ne pas risquer de perdre des clients”, témoigne le représentant CGT.
L’inspection du travail maintenant sa décision malgré tout, la multinationale a fini par recourir à la voie judiciaire. Au-delà de l’entrave à la liberté du commerce, ses avocats ont aussi plaidé un vice de forme dans la procédure : l’absence d’une mise en demeure en bonne et due forme, qui aurait dû suivre les échanges sur le plan d’action et précéder la décision de cessation d’activité. Le tribunal administratif a d’ailleurs reconnu cette erreur, tout en n’en faisant pas le motif principal de sa décision.
Depuis 2013, une dizaine de rappels à l’ordre
La décision de la justice administrative sonne comme une semi-défaite pour les syndicats qui défendent la santé des salariés de l’entreprise. Mais la passe d’armes entre leur entreprise et l’inspection du travail a quand même permis des avancées pour la protection des employés d’ArcelorMittal. “Cela fait deux ans qu’on sait que la silice cristalline est du même genre que l’amiante… Sans l’intervention de l’inspection du travail, ils n’auraient jamais mis les moyens qu’ils mettent actuellement pour protéger les salariés”, assure Nordine Laimeche, délégué syndical CFDT.
Le jugement du tribunal administratif liste ainsi les différentes mesures auxquelles l’industriel s’est engagé dans son dernier plan d’action : achat de plus de 600 masques ventilés livrés d’ici fin juillet, nettoyage des poussières régulier par une société spécialisée, mise en place de brumisateurs dans l’aciérie – où la chaleur peut monter jusqu’à 50 voire 60 degrés en été, vérifications de l’étanchéité de certaines installations, travaux pour aménager des sas…
Dans son argumentaire face au juge mardi, l’inspection du travail rappelait de son côté avoir adressé à l’usine de Fos, depuis 2013, “plus d’une vingtaine de courriers portant sur la prévention du risque chimique et la nécessité de mettre en place les protections collectives et individuelles adaptés au regard des dépassements de valeurs limites d’exposition professionnelle”. Ses services feront certainement preuve d’une vigilance accrue, dans les mois qui viennent, pour surveiller la mise en application réelle des nombreuses mesures annoncées par ArcelorMittal. Et pourra, si elle le juge nécessaire, relancer une procédure d’arrêt de l’aciérie. Au prix d’une nouvelle passe d’armes.
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Evoquer la liberté du commerce et de l’industrie pour la placer au dessus de la santé (et de la vie) des salariés, de la part d’un industriel, d’une multinationale, pas étonnant, mais que le tribunal administratif en fasse de même, c’est juste écœurant !
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