Conseil municipal sur l’emploi : cinquante auditions au scanner
Pour préparer le conseil municipal special emploi de ce lundi, les élus ont reçu en entretien des acteurs de l'emploi local. Faute de pouvoir y assister, Marsactu a épluché les retranscriptions des auditions, pour y trouver des doléances précises mais aussi un point noir : le manque de transports.
Conseil municipal sur l’emploi : cinquante auditions au scanner
Écouter, questionner. Une fois n’est pas coutume, les élus municipaux ont, pendant huit séances, entendu ce que les acteurs publics et privés avaient à dire sur l’emploi à Marseille, sur ses freins. En préparation du conseil municipal dédié à l’emploi qui se tient ce lundi, un panel d’une cinquantaine d’interlocuteurs ont été auditionnés. Pendant 15 minutes et à tour de rôles, ils ont expliqué quelles étaient leurs problématiques quotidiennes. En face, des membres du conseil municipal, de la majorité et de l’opposition, ont pu poser des questions et découvrir, pour la plupart, ces acteurs et leurs réalités. Une manière de prendre la température, pour une compétence qui ne relève pas directement de la Ville – l’économie étant du domaine de la Région et de la métropole, l’insertion de celui du conseil départemental. Ces auditions ont été compilées dans une retranscription de plus de 320 pages, enrichie de contributions écrites, à partir de laquelle le conseil municipal va débattre, à huis clos, de l’emploi.
Marsactu n’a pas résisté à la tentation d’éplucher ces comptes-rendus d’audition, matière inédite pour savoir ce qu’un responsable de la CMA-CGM, de Pôle Emploi, d’Onet ou d’un restaurant aux Terrasses du Port dit aux élus quand l’occasion lui est offerte de donner son avis. Certains, comme l’entreprise de Jacques Saadé, étaient venus avec un véritable cahier de doléances. L’image de la ville, principal frein au recrutement ? Le sentiment d’insécurité ? On aurait pu penser que ce serait un constat partagé, ce ne le fut pas. Tous les acteurs interrogés, à l’exception d’un seul, considèrent que le principal frein concerne les transports. Pour le reste, ils ont pour la plupart des idées bien précises et illustrées de ce qui ne va pas.
Transport / mobilité
“Je considérerais, à l’inverse de beaucoup de monde, que le système de transports à bout de souffle est une excellente chose parce qu’il va nous forcer à repenser de manière accélérée notre relation au travail”, explique, Kevin Polizzi, patron de Jaguar Network. L’entreprise d‘hébergement informatique a “proposé à chaque salarié qui habite à plus de 45 minutes de l’entreprise de travailler deux jours par semaines en télétravail”. Pour tous les autres interlocuteurs, les problèmes de transports représentent le principal handicap dès que l’on parle d’emploi. Certains, comme l’association Cap au nord entreprendre ou les entreprises de la Valentine Vallée Verte, ne manquent pas de rappeler aux élus qu’ils ont mis en place une navette privée pour leurs salariés.
La difficulté à se rendre sur son lieu de travail touche tous les secteurs. Ainsi, Olivier Carle, de l’association Terre de commerces, explique : “On ne va pas embaucher quelqu’un qui va venir d’Aix-en-Provence, de Salon, d’Istres ou d’Aubagne parce qu’il ne va pas pouvoir se garer, donc cela va lui coûter très cher.” Dans la restauration, les professionnels mettent en avant l’impossibilité pour les salariés, compte-tenu des horaires tardifs, de prendre les transports en commun.
À leurs yeux, les problèmes des transports handicapent non seulement les salariés mais aussi les personnes en recherche. “Un certain nombre de demandeurs d’emploi trouvent le job, mais n’ont pas la capacité parce que c’est à 2 heures de chez eux“, étaye Jocelyn Meire qui porte la double casquette de Cité des Métiers et de Maison de l’emploi. “Les faiblesses de cette ville, en termes de population à la recherche d’un emploi, viennent du fait que c’est une population peu mobile”, diagnostique Thierry Lemerle, directeur régional de Pôle Emploi.
Adéquation formation / emploi
“Aujourd’hui, nous constatons un paradoxe : un taux de chômage élevé et un nombre d’emplois non pourvus important sur ce territoire (environ 15 000), souligne de son côté André Bendano, président de la chambre des métiers. Bien des interlocuteurs évoquent leurs difficultés à recruter. “Nous n’arrivons pas à remplir la moitié des postes en cuisine, et un tiers des postes en salle”, illustre Madelijn Vervood de l’Intercontinental. Chacun a sa petite idée sur les causes de cette difficulté : pour sa part, l’absence de tradition d’hôtellerie haut de gamme à Marseille qui fait que le personnel à la sortie d’école et expérimenté choisit d’autres destinations comme Paris ou la Côte d’Azur.
Le territoire de Marseille a la particularité, comme le rappellent la direction régionale de l’emploi (Direccte) et Pôle Emploi, d’avoir à la fois beaucoup de diplômés et “plus de 20% de la population sans diplôme. Soit 10 points de plus qu’une grande métropole comme Lyon”, détaille Michel Bentounsi, responsable de la Direccte. Ce chantier de la formation professionnelle est l’une des attributions phares de la région. “Nous avons vraiment besoin de recréer de l’embauche, du travail, d’être capables de créer des petits métiers pour que chacun puisse travailler”, estime Philippe Deveau président de la fédération BTP 13. La question est également celle de l’utilisation de la clause d’insertion, considérée “comme une ressource importante dans notre département et dans notre ville. Faisons-la appliquer, restons corrects par rapport à cela, il ne faut pas dépasser 5 %, soit un homme sur vingt sur un chantier, pour que cela fonctionne correctement. Ce n’est pas beaucoup, mais si on le fait régulièrement sur tous les chantiers, il peut y avoir environ 500 postes à trouver sur la ville de Marseille, par an” défend Jean-Christophe Galeazzi, lui aussi de la fédération du bâtiment.
Guichet unique
Promesse électorale récurrente, la mise en place d’un guichet unique, pour remédier à la multitude d’acteurs publics liés à l’emploi, ressort bien entendu dans les auditions. “On ne va pas créer une énième structure”, s’indigne François Ranise de l’association Cap au Nord entreprendre. Même discours d’illisibilité de la part de l’UPE13, ex-union patronale dont le président, Johan Bencivenga, a profité de ce rendez-vous pour pousser un coup de gueule : “Comment voulez-vous que les entreprises, les salariés ou les chercheurs d’emplois s’y retrouvent dans cette nébuleuse d’institutions, d’outils ou d’associations ? C’est impensable. Chaque collectivité… tout le monde a son outil d’insertion d’emploi. Ce n’est pas possible, c’est trop compliqué”. Ce constat d’un millefeuille inefficace touche aussi la promotion du territoire. Madelijn Vervood de l’Intercontinental, ne manque pas pour sa part de souligner le fait que “si l’on mutualise en termes de marketing territorial tous les fonds et qu’on les met en commun, on a autant de budget qu’une ville comme Amsterdam qui fait un travail remarquable à l’international sur tous les salons. Ils sont tous ensemble pour vendre la ville d’Amsterdam”.
Attractivité pour les cadres
Au fil des entretiens remontent aussi des demandes très concrètes concernant les cadres. “Les obstacles à la venue de cadres ? Ils sont : le logement, l’accompagnement du conjoint qui est peut-être un enjeu aussi important que celui du logement. Nous avons différents niveaux de cadres et différents niveaux de salaires, mais l’enjeu du conjoint est important”, synthétise Bruno Jonchier, représentant local de l’APEC, l’association pour l’emploi des cadres. La CMA-CGM, mais elle n’est pas la seule, ajoute deux prérequis : la création d’un lycée international à Marseille, alors que le seul du département est à Luynes, et l’ouverture de plus de lignes directes à l’aéroport.
Dix propositions devraient être présentées à l’issue du conseil municipal exceptionnel, fruit de ces entretiens. Beaucoup des requêtes formulées ne relèvent pas de la compétence municipale. Au delà des éléments tirés de cette cinquantaine d’auditions, qui avaient vocation à prendre la température, les échanges sont restés sur une notion très quantitative : le nombre de salariés et non leurs types de contrats. Les ratios d’emplois précaires, pourtant centraux – contrats de courte durée, temps partiels – n’ont jamais été interrogés. Pas plus que la question des niveaux de rémunération. Si le domaine peut sembler du ressort des entreprises elles-mêmes, les politiques publiques ne sont sans influence sur ces points.
Le panel, composé des acteurs traditionnels de l’emploi, dont les idées sont souvent entendues lors des campagnes électorales, ne permet pas non plus de faire remonter une partie de la réalité non pas des salariés, mais des travailleurs, comme les intérimaires ou les auto-entrepreneurs. Comme souvent, les responsables politiques interrogent l’emploi et non le travail, plus facile à chiffrer et donc à brandir.
(Avec Camille Rivieccio)
Commentaires
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Des élus qui qui étouffent la ville au profit des Eiffage et Prado Carénage, font sciemment traîner la réalisation de la L2 pendant plus de 30 ans, prennent des positions de non-sens économique et anti marseillaises sur la Métropole, et ensuite ont le culot de demander aux victimes “mais qu’est-ce qui ne va pas mes chéris ?” il y a de quoi s’en étrangler de rage !
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Une solution “rapide” pour les transports https://lagachon.wordpress.com/2014/02/24/et-les-bus-bordel/ #autopromo
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Scoop : il y a un “manque de transports” à Marseille. Il fallait bien huit auditions pour parvenir à enfoncer cette porte ouverte.
Au fait, qui gère Marseille depuis vingt ans, et ne s’en est pas rendu compte – à la différence de n’importe quelle autre équipe municipale en France ? Il suffit de comparer les réseaux de transport urbain de, au hasard, Lille, Montpellier, Toulouse ou Bordeaux il y a vingt et ceux d’aujourd’hui pour voir qu’il y a un problème.
Un problème de retard qui, malheureusement, sera très difficile à rattraper, même si @Lagachon a raison de souligner que les solutions les moins chères ne sont pas forcément les moins bonnes. Le réseau de la RTM est grosso modo le même que dans les années 1970 : il n’a subi que des replâtrages successifs. A quand une remise à plat complète qui tienne compte de la façon dont la ville a évolué ?
Sur la “promotion du territoire”, je ne reviens pas sur l’image déplorable que Marseille renvoie, et dont on ne peut pas s’exonérer quand on est aux commandes de la ville depuis vingt ans. Les patrons aussi lisent les journaux, et ils ne vont pas forcément installer leur entreprise dans une ville où les impôts locaux sont les plus élevés de France, ou presque, mais où écoles, piscines, gymnases, bibliothèques et autres services municipaux sont à l’abandon.
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Ca va sûrement aller très vite beaucoup mieux dans les transports à Marseille. Je lis dans La Marseillaise que le nouveau chargé de missions à la RTM, Robert Assante, va prendre le taureau par les cornes et s’occuper notamment du projet… de téléphérique.
C’est en effet une priorité absolue.
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Hé bé voilà !!! Assante a fini pas retrouver du boulot !!!!!
Si ça marche aussi bien qu’à l’époque où il gérait les ordures ménagères…. on va marcher longtemps !
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Vous dites ce panel ne permet pas de faire remonter une partie de la réalité, non pas les salariés mais les travailleurs indépendants : pouvez-vous me dire qui, dans le panel, parlait pour les salariés parce que cela ne ressort pas du tout de l’article…
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Bonjour,
Il y avait la CGT, représentée par Yann Manneval, secrétaire de l’union départementale, Dominique Macary secrétaire générale adjointe CGT métropole et Pascal Galeoté CGT GPMM. Il a plus été question lors de leur audition commune de transition énergétique, du port ou encore de la métropole. Les demandeurs d’emploi étaient représentés par les organismes d’insertion. Pour les cadres, dont les besoins ressortent particulièrement, il y avait l’APEC, l’association pour l’emploi des cadres. Globalement, comme je l’explique en fin d’article, il a été peu question des salariés a proprement parler. La retranscription des auditions est consultable à la fin de l’article
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Félicitations aux journalistes de Marsactu de se donner la peine de lire des compte-rendus de 300 pages, quels autres journalistes en font autant ? Et bien vues aussi les remarques en fin d’article sur le périmètre très fermé et convenu de la réflexion sur l’emploi et sur l’économie, où on entend toujours les mêmes avis autorisés et intéressés, qui promeuvent une certaine vision de l’économie .
Untel parle benoîtement, comme tant d’autres, de “vendre” une ville à l’international : se rend-on assez compte de ce qu’il y a derrière une expression devenue aussi conventionnelle ? Attractivité, marketing territorial, positionnement dans la compétition internationale : une ville ou un territoire sont désormais “à vendre”, à vendre à qui ? Pourquoi ? C’est le résultat d’un modèle économique (mondialisation et libéralisation des flux de capitaux, mais pas des personnes) où la mobilité du capital prime sur tout le reste, si bien que le seul objectif des élites économiques et politiques d’un territoire semble être de le conformer aux critères et aux attentes des détenteurs du capital. Un jeu à somme nulle (je gagne, tu perds) entre des territoires se soumettant volontairement à une compétition dont le capital est l’arbitre.
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L’article est de qualité, les commentaires intéressants.
C’est quand même consternant, je m’interroge : A quoi ça a servi tout ça ??????
Effectivement, une fois qu’on sait qu’il y a un pb de transports, un problème de formation, un manque de mobilité,…etc. Qui fait quoi ???
Enfin, énorme point négatif, “tous” les acteurs n’étaient pas présents…. les salariés, ouvriers, chômeurs, étaient absents. Ça ne les concerne peut être pas !
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Tous ces thèmes sont égrenés depuis longtemps, mais a-t-on entendu un discours qui permettrait de les hiérarchiser et de les mettre en musique dans le cadre d’une politique ?
Pour les transports tout le monde est d’accord, ça permettrait au moins dans Marseille de les utiliser de préférence à la voiture individuelle, comme à Lyon par exemple. Mais de meilleurs transports en commun ne créent pas d’emplois, si ce n’est dans les transports. S’il est illusoire pour un actif de l’Estaque d’aller occuper l’emploi qu’on lui propose à la Valentine, cet emploi profitera à un autre demandeur d’emploi habitant plus près et c’est plutôt mieux.
Quant à l’attractivité de Marseille, les occasions ne manquent pas de la voir en berne, comme à l’occasion de cet Euro et des violences du WE : http://www.liberation.fr/france/2016/06/12/a-marseille-des-supporteurs-hors-de-controle_1458912
Y a-t-il eu un discours expliquant quels emplois et comment ils pouvaient être développés à Marseille ? Le port et la logistique en tout cas peuvent en générer, Mais comment le projet de chantier combiné de Mourepiane a-t-il été compris ? Comme un emmerdement pour le quartier. Et les élus (de gauche) ont jugé qu’ils feraient davantage de voix là-dessus, qu’en expliquant les enjeux à la population et en accompagnant ce projet pour l’adapter.
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