Conflit d’intérêts à la tête de l’institut de recherche pour le développement
Selon nos informations, l'agence française anti-corruption, dirigée par le juge Charles Duchaine, effectue le contrôle de l'institut de recherche pour le développement (IRD). Ils s'intéressent notamment à un conflit d'intérêts manifeste qui touche le PDG et son épouse, présidente de l'Institut hospitalo-universitaire d'infectiologie.
L'immeuble Sextant, boulevard de Dunkerque, où est installé le siège de l'IRD.
Charles Duchaine est de retour à Marseille. Pas le premier juge de l’affaire Guérini en personne, mais les contrôleurs de l’agence française anti-corruption (AFA) qu’il dirige. Cet organisme français qui dépend du ministère de l’économie est chargé de la prévention des atteintes à la probité dans les entreprises, les établissements publics et institutions publiques françaises. Dans la plus grande discrétion, ils sont venus à Marseille, fin mai, contrôler un des fleurons de la recherche française, l’Institut de recherche pour le développement (IRD), installé à Marseille depuis 2008 et dont le travail consiste à développer la recherche avec les pays du Sud.
L’ancien service central de prévention de la corruption agit avant tout en amont des atteintes à la probité dans le but d’éviter leur survenance. Mais il a aussi pour mission de contrôler les entreprises et établissements publics. L’agence peut le cas échéant saisir une commission de sanctions, voire transmettre au parquet les éléments relevant d’infractions pénales.
300 000 euros en jeu
Or, selon nos informations, les contrôleurs de l’AFA se sont particulièrement intéressés à une convention de quelques pages signée entre le PDG de l’IRD, Jean-Paul Moatti et sa femme, Yolande Obadia. À la clef, un chèque de 300 000 euros pour la fondation Méditerranée infection qu’elle préside. Si les contrôleurs de l’AFA s’intéressent à ces quelques pages signées par les deux présidents, c’est que cette convention a toute l’apparence d’un conflit d’intérêts, tel que l’agence le définit sur son site Internet.
“Ce dernier constitue la remise en cause potentielle de la neutralité et de l’impartialité avec lesquelles l’agent public doit accomplir sa mission du fait de ses intérêts personnels. Le conflit entre ces intérêts contradictoires est simplement une situation d’exposition au risque qui peut, si les intérêts sont confondus, devenir une prise illégale d’intérêt…”
Le simple conflit d’intérêts n’entre pas directement dans le champ de l’AFA car il ne constitue pas un délit au sens du droit français. En revanche, il présente un risque qui peut déboucher sur une véritable infraction. Selon nos informations, les contrôleurs de l’AFA ont multiplié les questions sur ce document.
Signée fin 2017, la convention encadre la mise à disposition de 6452 m² de locaux. Les chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement louent des paillasses, des bureaux et du matériel auprès d’un autre organisme de recherche, l’institut hospitalo-universitaire d’infectiologie, géré par la fondation Méditerranée infection. Au sein de l’IRD, aucun mécanisme de contrôle ne s’est activé : le montant de 300 000 euros est jugé trop peu élevé pour que son conseil d’administration en soit informé.
Une manne financière opportune
Pourtant, plusieurs éléments étonnent. Le loyer, tout d’abord, semble cousu main, pour déboucher sur un chiffre miraculeusement rond de 250 000 euros. Or, le détail, étage par étage et laboratoire par laboratoire, laisse pourtant apparaître des montants bien plus précis. Ainsi, l’IRD entend verser 213 261 euros au principal laboratoire de l’IHU, l’Urmite, jusqu’ici piloté par son directeur Didier Raoult.
Surtout, selon Pascal Grébaut, secrétaire de la section SNTRS-CGT à l’IRD, les agents de l’institut ne sont que cinq à travailler au sein de l’IHU. “Cela prend en compte les techniciens et chercheurs, détaille le syndicaliste. Ce sont les chiffres mis à jour puisque nous les avons reçus dans le cadre des élections professionnelles”. Bien entendu, cela ne prend pas en compte les étudiants et doctorants.
Ensuite, cet accord vient poursuivre un long compagnonnage économique et scientifique entre les deux entités. En effet, de 2007 à 2010 et sous l’impulsion de Jean-François Girard alors président de l’IRD, l’institut s’était déjà engagé à verser 250 000 euros au projet d’infectiopôle déjà porté par Didier Raoult. Ensuite, son successeur, Michel Laurent a poursuivi son effort en faveur de l’IHU en versant cette fois-ci 1 million d’euros sur cinq ans auxquels s’ajoutent 50 000 euros par an pendant six ans, à partir de 2013. En 2017, l’IHU ne touche donc plus que 50 000 euros par an. La convention et les loyers afférents semblent donc opportunément combler le trou par rapport aux années précédentes.
L’année 2017 a été compliquée pour son institut avec une visite conjointe des comités hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT) en juin pour y vérifier les conditions de travail des agents. Dans ce cadre, plusieurs faits de harcèlement présumé, y compris sexuel, ont été mis au jour et un des chercheurs de l’IHU révoqué de la fonction publique. Dans le même temps, l’Inserm et le CNRS, les deux principales tutelles de son ancienne unité de recherche n’ont pas souhaité continuer de labelliser les unités qui lui ont succédé et arrêté leur financement pour celles-ci. Le soutien de l’IRD devenait donc indispensable, d’un point de vue scientifique mais aussi financier.
Parcours croisés
Jean-Paul Moatti, le PDG de l’IRD, connaît bien l’IHU. Il en a longtemps été un de ses directeurs de laboratoire. Quant à sa femme Yolande Obadia, elle en est partie prenante depuis le début. Jusqu’en 2011, Yolande Obadia était directrice de la fondation et Didier Raoult, président. Des rôles qui se sont ensuite inversés cette année-là, pour faire face à la montée en charge du projet. En 2015, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de son corollaire pour la recherche (IGAENR) pointait ce jeu de rôles entre les intéressés :
On peut s’interroger sur l’autorité et l’indépendance de la présidente du conseil d’administration vis-à-vis du directeur, le professeur Didier Raoult, alors que celle-ci était auparavant la directrice de la fondation Infectiopôle Sud [créée en 2007] dont le professeur Didier Raoult était le président. Le cumul entre les fonctions de présidente de conseil d’administration et de responsable d’une unité de recherche qui est partie intégrante de l’IHU, est également discutable.
Deux ans plus tard, pour prévenir un conflit d’intérêts manifeste compte tenu de la position de sa femme, à notre connaissance, le PDG de l’IRD, Jean-Paul Moatti, n’a pas mis en place de mécanisme de déport, concernant les actes pris au nom de l’établissement public et concernant la fondation Méditerranée infection qui gère l’IHU.
L’IRD tout comme l’IHU ont refusé de répondre à Marsactu sur ce sujet, et décliné nos demandes d’entretien. Mais les membres du conseil d’administration de l’IRD que nous avons contactés nous ont confirmé que ce sujet d’un déport possible sur l’IHU n’avait jamais été abordé en conseil d’administration depuis l’arrivée de Jean-Paul Moatti, à la tête de l’IRD. Et pour cause, le financement des organismes extérieurs à l’IRD n’y est que très peu un sujet de débat.
Le précédent de la ministre de la Santé et de son mari PDG de l’Inserm
En 2017, ce type de mécanisme avait été mis en place à la tête du gouvernement lorsque Agnès Buzyn, l’actuelle ministre de la santé, avait été nommée à ce poste. Toute décision concernant l’Inserm dont le PDG était alors son mari, Yves Lévy, relevait de sa tutelle. En mai 2017, un décret avait déporté cette tutelle vers le premier ministre. La polémique sur un éventuel conflit d’intérêts a ressurgi durant l’été après un éditorial au vitriol de la revue scientifique britannique The Lancet, obligeant le PDG de l’Inserm à retirer sa candidature à sa propre succession quelques mois plus tard.
Concernant le contrôle de l’AFA, il doit faire l’objet d’un échange contradictoire avec la gouvernance de l’IRD puis rédiger sous la forme d’un rapport qui sera remis au PDG de l’IRD. Des extraits de ce dernier seront remis au ministère de la recherche qui a en charge le suivi de l’institut et la nomination de son successeur dans quelques mois. Jean-Paul Moatti, est en effet empêché par la limite d’âge.
Commentaires
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le juge Duchaine aurait dit a propos de Marseille qu il n y a qu’ une seule affaire…. en voici une des multiples tentacules…Ou comment inspirer du bento pour gérer les fonds publics…
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