Condamné mais serein, le bon docteur Padovani, pionnier de la réduction des risques

Portrait
le 10 Fév 2024
16

Ce lundi, l'ancien adjoint à la Santé de Jean-Claude Gaudin, a été condamné pour avoir délivré des médicaments avec une ordonnance non sécurisée. La justice l'a exempté de toute peine au nom du "mobile altruiste" qui l'anime. Un appel vibrant à l'humanisme alors que le projet de halte soins addictions qu'il a porté en son temps essuie un nouvel échec.

Patrick Padovani. Photo : Emilio Guzman.
Patrick Padovani. Photo : Emilio Guzman.

Patrick Padovani. Photo : Emilio Guzman.

Ce lundi, Patrick Padovani n’est pas allé au travail. À 75 ans, il en a bien le droit. Mais le médecin et ancien adjoint de Jean-Claude Gaudin a un rendez-vous plus douloureux ce jour-là. Il doit entendre prononcer le jugement le concernant : coupable de “prescription de médicaments soumis à prescription restreinte par un médecin généraliste“. En 2021, il a signé l’ordonnance d’un de ses patients, polytoxicomane notoire, interpellé quelques heures plus tard à Noailles, en train de revendre deux boîtes de Rivotril, un anti-épileptique, régulièrement détourné pour ses effets anxiolytiques. Raison pour laquelle, leur prescription nécessite une ordonnance sécurisée.

Cette condamnation pourrait être une flétrissure pour l’honneur de cet ancien élu à la santé, de 2008 à 2020. Il risquait jusqu’à six mois de prison avec sursis et 2500 euros d’amende, requis contre lui, par un procureur particulièrement zélé. Il est ressorti du tribunal avec le sourire. La juge n’a pas suivi les réquisitions du parquet, dispensant de toute peine le médecin dont elle souligne “le mobile altruiste tant pour la santé de son patient qu’indirectement au bénéfice de la société“. Plus haut, elle souligne que les “infractions ont été commises dans le cadre d’un engagement professionnel et militant auprès des publics défavorisés“.

“Altruiste et militant”

Dans ses motivations, le tribunal va même jusqu’à souligner le faible nombre de lieux dédiés à l’accueil des publics polyaddicts, alors que “la protection de la société (…) passe pourtant par l’existence de tel lieu, de sorte que les personnes qui acceptent de s’y engager ne doivent pas en être dissuadées“. “Altruiste et militant“, les deux termes définissent pleinement Patrick Padovani. Ce jugement résonne comme une médaille d’honneur.

Vous savez, c’est vieux comme Antigone, sourit son avocat Michel Pezet. Parfois la justice va au-delà de la loi. La juge ne pouvait pas ne pas le condamner, mais, en le dispensant de peine, elle dit ce qui est juste pour lui et la société. C’est admirable“. Les deux hommes se sont connus en adversaires, “lors d’élections départementales”. “Je l’ai battu de quelques voix et une amitié est née“, reprend l’ancien ténor du PS local qui qualifie de “beau monsieur”, son ancien adversaire.

Celui que tout le monde appelle “Pado” a donc repris très tranquillement le chemin du travail. À 75 ans, il n’a toujours pas cessé d’exercer. Même si, en théorie, il a pris sa retraite de médecin généraliste en même temps qu’il rendait son tablier d’élu en 2020. Cela n’a pas duré plus que quelques jours avant qu’il ne reprenne sa sacoche de médecin. Et même quand une sale maladie dont il ne veut pas parler le met par terre, il trouve la force de se lever pour aller au boulot. “Mais qu’est-ce que je ferais sinon ?“, rigole-t-il, depuis une salle du foyer Jane-Pannier où il a repris du service. Il en est le médecin coordinateur tout comme il travaille pour le centre de soin et de prévention et d’accompagnement de l’addictologie (Csapa) du boulevard National. Et puis encore pour Habitat alternatif social (HAS), appelé à la rescousse par le président Éric Kérimel.

La retraite ? “Une réduction du temps de travail”

Je suis à 90% d’un temps plein. Je travaille quatre jours par semaine. Pour moi, la retraite, c’est la réduction du temps de travail“, formule-t-il. De fait, il n’abat plus 14 heures par jour comme quand il cumulait la charge de médecin et d’élu. Mais il est là, au front, au côté des délaissés, des abandonnés du bas-côté, comme à ses débuts comme médecin de l’unité d’hébergement d’urgence qui accueille les sans-logis. “Parmi les rencontres qui ont changé ma vie, il y a Jacques Chirac, bien sûr, l’homme de la fracture sociale. Et l’abbé Pierre que j’ai rencontré avec mon regretté ami Didier Garnier“. Il retient de cette figure de la lutte contre le mal-logement, une phrase qui fait écho avec sa situation actuelle : “Il m’a dit qu’il fallait toujours être dans l’illégalité créatrice. Cela continue de me guider“.

Patrick Padovani porte à chaque poignet de nombreux bracelets, dont un qui témoigne de son engagement contre le Sida. Photo : Emilio Guzmán

Cette phrase n’est pas censée justifier la prescription de médicaments en dehors de la réglementation. Mais elle vient souligner de quelle façon le travail social est sans cesse confronté aux limites de la loi. En retravaillant pour HAS, Patrick Padovani s’est retrouvé médecin référent du Marabout, un lieu d’hébergement dédié aux personnes issues de la rue, usagers de la psychiatrie. “Il y a quelques années, je me retrouvais à soutenir les équipes qui avaient ouvert ce squat alors que mes collègues du conseil municipal lançaient les procédures d’expulsion, se remémore-t-il. On a tout fait ensuite pour leur offrir un cadre légal“.

Le père du projet de Halte soins addictions

Cette volonté d’agir à contre-courant affronte une vague plus forte qu’avant. “Surtout depuis que les gens ont l’impression que l’épidémie de Sida est finie, analyse-t-il. Ils ne savent pas ce qu’est l’hépatite C et la gravité de cette épidémie. Alors les toxicomanes redeviennent indésirables“. Il garde un souvenir cuisant de l’échec du projet de première Halte soins addictions, le nom officiel de la salle de shoot qu’il portait avec Béatrice Stambul, aujourd’hui décédée. “Jean-Claude Gaudin était pour mais dès que l’information sur sa localisation est sortie, je me suis pris une vague de refus“. Ironie du sort, le voisin le plus proche de ce local de l’AP-HM, rue Saint-Pierre est un bar tabac, tenu par un soutien de Bruno Gilles, dont Pado était l’indéfectible compagnon de route.

Nous sommes en 2019, les élections approchent à grand pas et les amis politiques de Patrick Padovani se retournent contre lui. Le sénateur Bruno Gilles et Marine Pustorino, tête de liste dans les 4/5 et maire de secteur font du sujet un thème porteur. “Je n’ai toujours pas digéré le tract qu’elle a fait contre le projet alors que j’étais sur la liste et que j’avais porté ce projet à bout de bras. C’était un coup de couteau dans le dos“.

Famille politique à couteaux tirés

En politique, c’est comme dans une famille, rétorque Marine Pustorino, toujours élue au département comme à la Ville. On n’est pas d’accord sur tout mais on est ensemble“. Cinq ans plus tard, elle fait encore la liste des défauts de l’implantation d’une salle à cet endroit, “tout comme au boulevard de la Libération“. “C’est le principe même de l’installation d’une salle de ce type en ville que je conteste“, reprend l’ancienne maire de secteur du 4/5. Une salle comme ça doit être à l’intérieur de l’hôpital“. Et tant pis si le directeur des Hopitaux de Marseille, François Crémieux, dit le contraire.

La droite locale a fait du retrait du projet soutenu par la municipalité une victoire politique. “Pourtant le bâtiment offrait de nombreux avantages, notamment une large cour intérieure, se désole Patrick Padovani qui était au côté de Michèle Rubirola dans ce combat. Et puis il faut arrêter de croire que les 4/5 sont des arrondissements protégés. Mon cabinet était à côté de Longchamp et j’avais des toxicos dans ma patientèle“.

Cette nouvelle levée de boucliers est pour lui symptomatique de la fin d’une certaine forme de conscience politique. “La génération d’aujourd’hui n’est obsédée que par sa propre réélection, estime-t-il. Il n’y a plus de conscience sociale en général. Moi, j’ai fait de la politique et de la médecine pour la même raison : m’occuper du peuple“.

Patrick Padovani dans les locaux du foyer pour femmes Jane-Pannier, à Marseille. Photo : Emilio Guzmán

C’est pour cette raison qu’il ne s’est pas posé de question quand il a fallu soutenir le projet porté par Michèle Rubirola. “On se voit régulièrement, ces derniers temps, sourit la première adjointe qui a repris son portefeuille de la santé. Patrick est un pionnier de la réduction des risques. Après Jean-François Mattéi, il a été de ceux qui ont fait avancer la prise en charge des toxicomanies et permis de réduire le nombre de morts“. Elle-même espère encore voir aboutir le projet de halte soins addictions qu’elle soutient, d’ici la fin de l’année, date butoir des candidatures à l’expérimentation.

Lui pense plutôt qu’il faut en finir avec le lieu unique, “déjà obsolète” qui déchaîne à chaque fois les passions  “de Marine Pustorino hier à Sophie Camard aujourd’hui“. “Il faut transformer les lieux d’accueil actuels, Csapa et Caarud en halte soins addictions si les locaux sont adaptés, détaille-t-il. Dans la réalité, les toxicomanes y consomment déjà et tout le monde ferme les yeux“.  Un petit peu de “l’illégalité créatrice” chère à l’abbé Pierre, un peu de cet humanisme militant qui fait tenir les gens debout et donc il est un bel exemple.

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Alceste. Alceste.

    Bruno Gilles,merci pour cet article concernant un homme qui est un Médecin avant tout , doublé d’un humaniste sincère,authentique et profond.
    Investi dans la politique locale,il a été lâché lamentablement dans son projet de salle de soins par ses “amis” et plus particulièrement par le visiteur médical Gilles accompagné par les biistroquets du coin.
    Je me demande encore aujourd’hui comment cet homme a pu se mêler aux médiocres marseillais.
    Son humanité pour les plus fragiles sans aucun doute ,mais on ne refait pas Pado.

    Signaler
    • alaingilles alaingilles

      alain gilles
      alceste, faut pas confondre: bruno gilles n’écrit pas dans Marsactu

      Signaler
    • RML RML

      Lapsus d’atrabilaire…:)
      Mais pour cette fois vous avez raison sauf sur votre interrogation à propos de sa fusion avec les médiocres. Ce qui plaide en faveur de votre avatar…
      Beaucoup de vos points de vue pourront se lire à la lueur de ce qui vous plait chez Pado, comme vous l’appelez. ( une familiarité qui sent l’intimité). L’humanité de l’homme excellent et en gros, la merde autour. C’est effectivement tres Alcestien.
      Malheureusement nous sommes tous médiocres, au moins à un endroit, ce qui nous permet de fraterniser entre médiocres. Pado, n’y échappé sans doute pas…

      Signaler
  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Un beau Monsieur, dont l’humanité et la hauteur de vue sont mis en valeur par les propos au ras du bitume de Marine Pustorino, l’ancienne adjointe aux lumières qui n’en a pas à tous les étages.

    Je ne suis pas sûr cependant que le Dr Padovani soit dans le vrai quand il estime que “la génération d’aujourd’hui n’est obsédée que par sa propre réélection” : il me semble qu’à Marseille, ne gérer que le court terme est une spécialité depuis déjà quelques décennies. Sinon, la ville ne serait pas autant en retard sur tant de sujets.

    Signaler
    • julijo julijo

      tout à fait, probablement depuis defferre, le court terme, les passe-droits et les copains…on oublie aussi parfois les querelles internes au sein de la majorité gaudin.
      ca n’aide pas à avoir une vision et des projets pour la ville.

      chapeau à ce monsieur, qui apparait un peu comme le dernier des mohicans.

      Signaler
  3. Jeanne 13 Jeanne 13

    Même si on est pas du même bord politique Pado est un humaniste et ça ne m étonne pas ce rapprochement avec michéle rubirola ce sont deux médecins qui ont une fibre sociale qui les honorent
    La vision de transformer les lieux existants caarud et csappa d investir pour les rénover est pour moi aussi la meilleure solution
    Parce cette histoire de salle de consommation à moindre risque est nécessaire mais quelque soit le lieu il y aura toujours une levée de boucliers….et on ne fera que reculer ….

    Signaler
    • marseillais marseillais

      Tout à fait d’accord, un peu d’humanité ne nuit pas !

      Signaler
  4. Alceste. Alceste.

    Julijo,cette génération et la suivante sont les dernières de médecins humains ,proches des patients, à l’écoute et capables d’ausculter.
    Les suivants sont d’excellents techniciens de la médecine, compétant, efficaces ,mais il manque généralement cette relation si particulière entre le patient et son médecin.
    Le monde évolue évolue,la médecine aussi,mais……

    Signaler
    • Pascal L Pascal L

      “Cette génération et la suivante sont les dernières de médecins humains”
      Et pourtant je me souviens comment cette génération (qui a fait mai 68) et la suivante était traitée de “Jean-Foutre” par les 3 précédentes au prétexte “qu’ils n’avaient pas connu la guerre” …

      Le niveau baisse,… y’a plus de morale … etc … On les a tous eu, les poncifs.

      Je me souviens qu’on répondait alors : “ça fait depuis 1800 avant notre ère que des inscriptions (du temps d’Hammourabi) ou des textes (en grec, en latin, dans toutes les langues…) se plaignent que le niveau baisse, alors, quand on vous voit, on se dit pourvu que ça dure !”

      Mais je pense qu’on peut se mettre d’accord sur un point : le monde change et les vieux ne sont pas toujours les plus aptes à voir si c’est dans le bon ou le mauvais sens.

      Signaler
    • liovelut liovelut

      Oula. On ne voit pas les mêmes médecins… combien de grand mandarin absolument odieux (en plus d’être scientifiquement et cliniquement périmés) j’ai pu voir dans mon hélas large expérience des hôpitaux et cabinets ? Combien au contraire d’internes et de jeunes médecins d’une humanité folle, malgré un quotidien à voir de la souffrance ? Et je ne parle même pas des paramédicaux, infirmiers et infirmières, AS et consorts, où les vieux cons et les vieux adorables côtoient les jeunes coqs et les jeunes profondément humains. (Si vous n’avez jamais lu ou écouté baptiste beaulieu vous manquez un exemple assez formidable)

      Bref, le temps ne fait rien à l’affaire, comme chantait un moustachu

      Signaler
  5. Alceste. Alceste.

    Pascal L, l’appréhension de la médecine change et le rapport des patients à cette dernière aussi.De même celui des médecins vis à vis des patuens aussi
    C’était simplement l’objet de cette réflexion.Donc pas la peine d’en faire des tonnes sur un supposé c’etait mieux avant.
    Et puis traiter les gens plus âgés de vieux cons est un peu pénible. Si cela est une conviction chez vous,rassurez-vous le temps va faire son œuvre et vous serez inévitablement aussi un vieux con.
    Mais visiblement certains sont plus précoces en la matière.

    Signaler
  6. Alceste. Alceste.

    RML , vous êtes au moins conscient de l’environnement dans lequel vous évoluez, vous êtes lucide.Heuresement votre généralisation est fausse, erronée et abusive. Il y a des gens bien, mais peu malheureusement dans le marigot politique marseillais où il était à l’époque une rare exception.

    Signaler
  7. Regard Neutre Regard Neutre

    Ah, Alceste, vous prévoyez déjà, à beaucoup, une transformation en vieux con atrabilaire ? C’est rassurant de savoir que j’ai encore quelque chose à attendre avec impatience dans ce monde en constante évolution.
    J’adore votre persévérance épistolaire.

    Signaler
    • Alceste. Alceste.

      “Epistolons” donc cher Regard Neutre. La connerie n’a pas un coefficient de corrélation avec l’âge avancé proche de 1, et heureusement. Elle touche malheureusement les futurs vieux, les réseaux sociaux y sont pour beaucoup et là, en revanche, le coeff de corrélation est quasiment à 1. Alors , imaginez ce que cela va donner après une vie de futur vieux accompanée de TIK-TOK ou autres, au moment de la vieillesse ?. Un “naufrage” comme disait le Général ( clin d’oeil).
      Si vous n’êtes pas un adepte de ces fameux réseaux, si vous avez un sens critique aigue, si vous n’êtes pas habité par une idéologie, alors là vous aurez la chance d’être aussi serein que Pado.

      Signaler
  8. Regard Neutre Regard Neutre

    Cher Alceste, je perçois la profondeur de vos convictions et votre sensibilité à l’hypocrisie qui peut parfois entourer nos interactions sociales. Bien que vos perspectives puissent sembler teintées d’un voile de misanthropie, je crois fermement en la capacité des gens à s’améliorer en vieillissant.

    Signaler
    • Alceste. Alceste.

      Oui à 200 %

      Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire