Les clubs nautiques sommés de renoncer au business juteux des places aux ports

Enquête
le 29 Août 2018
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Gestionnaires de plans d'eau publics depuis des décennies, les sociétés nautiques encaissent des milliers d'euros lors de l'arrivée de chaque nouveau plaisancier, ces derniers s'acquittant au passage d'un droit d'entrée. Une pratique à laquelle la métropole tente discrètement de mettre fin à l'occasion du renouvellement des contrats.

En arrière plan, le pavillon flottant de la SNM. Photo : J.V.
En arrière plan, le pavillon flottant de la SNM. Photo : J.V.

En arrière plan, le pavillon flottant de la SNM. Photo : J.V.

Bienvenue au club. Pour un plaisancier ou un régatier qui amarre pour la première fois son bateau au Vieux-Port ou à la Pointe-Rouge, l’entrée dans une société nautique est un passage obligé, codifié. On y est parrainé, coopté, admis, selon les statuts des clubs, remontant tous à plusieurs décennies. Dans la grande majorité des cas, on remplace en tant que sociétaire le membre qui vous a vendu son bateau. Et la place avec, ce qui renchérit souvent l’opération (lire notre article) mais évite les listes d’attente.

Dans le budget de cette passion décidément coûteuse, l’impétrant ne devra pas oublier de compter les droits d’entrée. Car pour arborer le fanion de l’UNM, du CNTL, de la SNM ou de l’YCPR, il faut débourser plusieurs milliers d’euros de droits d’entrée, puis une cotisation annuelle plus modique. Au Yacht club de la Pointe-Rouge (YPCR), la seule association pour laquelle nous disposons de comptes récents, les cotisations représentaient 275 000 euros en 2016 et les droits d’entrée 220 000 ! À la Société nautique de Marseille (SNM), installée quai de Rive-Neuve, les nouveaux membres ont apporté 42 000 euros, en 2010, à raison de 3588 euros par tête.

“Cela permettait d’asseoir sa place au port”

“On m’a expliqué que cela faisait partie des pratiques. Même si ce n’est pas exprimé clairement, cela permettait d’asseoir la place au port”, témoigne un sociétaire fraîchement débarqué. Être membre fidèle du club, c’est être certain que celui-ci ne se rappellera pas que les contrats d’occupation de postes à flots sont révocables annuellement et non garantis à vie…

Depuis 2015, le statut transitoire de “passager de longue durée” repoussait de deux ans cette adhésion, mais la procédure type établie par la fédération des sociétés nautiques est claire sur le lien entre attribution définitive du poste et entrée au club :

Extrait de la procédure “Passagers de longue durée” éditée par la fédération des sociétés nautiques, à l’attention de ses membres.

Une forme de commission sur transaction à laquelle la métropole a tenté de mettre fin, à l’occasion du renouvellement des quatre délégations de service public (DSP), qui totalisent 2200 anneaux dans les deux ports (sur 5000) et entrent en vigueur ce samedi. “Le règlement intérieur et les contrats d’occupation proposés ne sont pas recevables : aucune obligation d’adhésion au Club ne doit être imposée aux usagers”, peut-on lire dans le compte-rendu des négociations menées. D’autant plus lorsque les DSP disposent de leur propre compte, dédié au service public, où ces sommes importantes n’atterrissaient pas.

Usager, sociétaire ou les deux ?

“L’ensemble des plaisanciers, occupant de postes à flots ont le statut d’usager du service public”, rappelle la métropole Aix-Marseille Provence, dans une réponse par écrit à nos questions sur le sujet. Or, de la même manière que l’on n’est pas contraint d’adhérer à l’association IFAC pour bénéficier des activités périscolaires, l’accès à un service public ne connaît pas de restriction lié à la non-appartenance à un “club”.

“On s’est pliés strictement au cahier des charges de la métropole. On ne parle pas de sociétaires mais d’usagers”, assure François Jalinot, vice-président chargé des affaires juridiques à la SNM, qui gère 544 anneaux. En théorie, on peut donc en toute liberté entrer au port sans entrer au club. “Cela peut exister”, formule-t-il. Mais en pratique, jusqu’à présent, “ça allait de soi” que l’un n’allait pas sans l’autre :

Sur le périmètre de la DSP 2, on a près de 70 % de gens qui ont des voiliers, l’enjeu pour eux c’est de participer aux différentes régates. On n’est pas un garage à bateaux…

À l’UNM, où les pannes témoignent d’un public moins centré sur la voile, le vice-président Michel Lamberti revendique de même que son club fédère “100 % des gens sur le plan d’eau”.

À l’UNM, satisfait ou remboursé

Association plus que centenaire, l’UNM est aujourd’hui en première ligne de la remise à plat tentée par la métropole, car c’est la chambre de commerce et d’industrie Marseille Provence (CCIMP) qui a raflé la gestion du plan d’eau sur ce périmètre (Lire notre article). Pour les nouveaux usagers, l’UNM risque donc de n’être qu’un acteur secondaire. Après quelques hésitations, notre néo-sociétaire cité plus haut a tout de même fini par se décider à verser ses 5000 euros de droits d’entrée :

Je connaissais les règles du jeu. Le seul doute que j’avais, c’était que je ne voulais pas me retrouver à payer des droits d’entrée pour au final ne pas pouvoir conserver mon bateau. On m’a dit qu’on me les rembourserait s’il y avait un problème avec la CCIMP.

Combien feront le même effort ? Et parmi les membres déjà inscrits, combien arrêteront d’honorer leurs cotisations ? “Cela fait partie des grosses interrogations et des sujets abordés avec la CCIMP, note Michel Lamberti. Si demain l’UNM n’a plus aucune ressource, elle n’existe plus. Et ce ne serait pas une victoire pour la CCIMP.” Le nouveau gestionnaire n’est, en effet, pas spécialisé dans les régates, encore moins dans les sardinades. Il compte sur les associations pour animer son espace.

Mais la question se pose également pour les autres clubs. “C’est un enjeu, reconnaît François Jalinot. L’important, pour le club, c’est d’être bons, de proposer des animations, des activités associatives qui soient motivantes, notamment pour les jeunes et donc d’avoir des bénévoles.” Au-delà de cette sympathique vie associative, l’impact financier est aussi important. Des montants d’une ampleur suffisante pour faire vaciller ces structures bien assises.

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Commentaires

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  1. CAN. CAN.

    Avec tout le respect que je porte à Marsactu, cet article relève d’une certaine méconnaissance, voire de la désinformation.
    “business juteux” et associations
    Par construction, une association ne fait pas de business.
    De par leur objet les associations œuvrent certes dans l’intérêt particulier de leurs adhérents mais aussi et c’est le cas des grandes associations nautiques, dans l’intérêt général.
    Et c’est précisément leurs actions dans l’intérêt général qui incomplètement couvertes par les subventions perçues à cet effet qui nécessitent des recherches de financement complémentaires.
    A noter que l’article est éclairant en indiquant un point connu, c’est qu’il n’est pas dans les intentions des gestionnaires autres qu’associatifs de faire preuve d’actions dans l’intérêt général mais de seulement oeuvrer en tant que gestionnaire de parking à bateau en dégageant un maximum de marge.

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    • petitvelo petitvelo

      Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt non plus.
      Une association ne doit pas déclarer de bénéfice, soit. Mais l’AFER par exemple est bien là pour faire gagner de l’argent à ses membres.
      Et dans la plupart des associations, la démocratie est très royale, et les “bénéfices” convertis en “avantage en nature” pour le bureau : mise à disposition de matériel, fournitures, repas, voyages, entretien … offerts. Il me semble surtout peu évident que toutes les sociétés nautiques, avec le droit d’entrée élevé puis annuel faible, favorisent les sorties mieux qu’un tarif élevé annuel de type “garage à bateau”: il y a sur le vieux port un bon nombre d’embarcations qui semblent très peu utilisées.

      Si les sociétés nautiques souhaitent vraiment oeuvrer à l’intérêt général, elles pourraient réserver 50% de leur parc à des utilisations mutualisées: école de voile, location de bateau à la journée, accueil visiteur, … pour qu’un maximum de gens en profite et non une “élite” capable d’aligner les gros billets sur des bases juridiques floues ( j’ai ouï dire qu’une société attache aux membres du bureau un droit de place, et que donc on pouvait s’arranger pour devenir membre du bureau dès son entrée dans l’asso).

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    • Julien Vinzent Julien Vinzent

      Bonjour,
      j’entends votre remarque concernant le titre.
      Notez toutefois que les DSP gérées par les clubs sont des marchés publics soumis à concurrence (la preuve avec l’arrivée de la CCIMP ou à Cassis l’épisode Trapani/Carrasco). Or, on pourrait considérer que l’argent encaissé via les droits d’entrée leur permet de se positionner de manière plus concurrentielle. De même ils n’entrent pas dans le calcul des redevances versées à la collectivité, qui sont proportionnelles au chiffre d’affaires mais seulement de la DSP.

      Surtout, et pour contredire libegafra, les associations peuvent déclarer des bénéfices, en particulier lorsqu’elles interviennent dans le champ concurrentiel (la seule différence est qu’elles ne peuvent distribuer des dividendes et doivent réaffecter le résultat à leurs réserves).

      À titre d’exemple, l’YCPR a réalisé en 2016 un bénéfice de 120 000 euros, qui sont venus grossir les 850 000 euros placés sur un compte épargne.

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    • Piou Piou

      Il faut s’ôter de la tête que non lucratif = non concurrentiel : ce n’est pas incompatible!
      Pour compléter, sur le plan juridique, ce qui a déjà été expliqué par Julien Vinzent en commentaire, les associations ne vivent pas que des cotisations et des subventions : elles peuvent également intervenir sur un marché concurrentiel, en étant notamment titulaires de marchés publics ou de délégations de service public ; la principale différence entre ces deux derniers étant que la DSP implique un risque financier pour le titulaire, ce qui conforte bien l’idée que l’association agit comme une entreprise, subissant les mêmes aléas. Et dans ce cas, elles font du business !!!
      Ce qui est aberrant ici, et comme l’explique bien l’article, c’est que ce que vous distinguez comme étant d’un côté, l’intérêt particulier, et de l’autre, l’intérêt général, sont justement non dissociées par les sociétés nautiques : comment peut-on parler de service public, lorsque en pratique l’accès au service
      (public) est conditionné à l’adhésion à l’association (privé) !? Sans parler du montant : un filtre à pauvre !

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    • pascal pascal

      Pour compléter les propos de libegafra, les associations si elles ne permettent pas de verser de bénéfices peuvent salarier qui elle veulent. Voilà un bon moyen d’utiliser les droits d’entrée pour les membres de l’association le tout est de n’être pas au conseil d’administration. C’est un moyen parmi d’autre d’utiliser les bénéficies d’une association. Cela n’a rien de choquant quand cela correspond à une vrai activité au prix du marché…

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  2. Richard Mouren Richard Mouren

    Je suis curieux de connaître la méthode de calcul utilisée par Mr Lamberti, président de l’UNM, qui lui a donné le chiffre de “100% des gens (de l’association) sur le plan d’eau”. Si c’est une sortie par an, je suis d’accord. Si le plan d’eau est celui du Vieux Port, je suis d’accord. Si le plan d’eau est celui de la rade, je suis vraiment dubitatif. En 2008, l’ODIT France ( http://www.adt-herault.fr/docs/578-1-atout-france-le-marche-de-la-plaisance-en-france-pdf.pdf ) que la moyenne de sortie était de 20 jours, tous ports français confondus, sachant que la moyenne de sorties des ports bretons et vendéens est certainement plus haute. 10 ans plus tard, je pense que le nombre des bateaux-arapède n’a fait qu’augmenter surtout en Méditerranée où le bateau est devenu une résidence secondaire (quelquefois bis) pour une tranche aisée de la population.

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