La fraude aux billets de l’UEFA provoque la chute du PDG de La Provence
Après les révélations de Marsactu et du Canard Enchaîné sur le "business" de La Provence consistant à vendre des packs VIP avec des places pour la finale de la Coupe d'Europe interdits par l'UEFA, à partir de billets non-règlementaires le PDG du journal a décidé de présenter sa démission, dans un climat électrique.
Le siège de La Provence, dans le 15e arrondissement.
24 heures après les révélations de Marsactu et du Canard Enchaîné sur les packs VIP frauduleux proposés par La Provence à ses annonceurs et quelques VIP pour assister à la finale de la Coupe d’Europe, le PDG du journal, Jean-Christophe Serfati, a présenté sa lettre de démission. “Je reconnais mon erreur. Je propose donc, ce jour, ma démission au conseil d’administration du groupe La Provence“, a fait savoir ce dernier par un mail envoyé aux salariés du journal. Jean-Christophe Serfati y ajoute avoir “été victime d’une escroquerie” alors qu’il voulait organiser “une belle opération de relation publique”.
Une version soutenue par Bernard Tapie, propriétaire du journal : “Jean-Christophe Serfati a eu l’imprudence de se lancer dans une opération sans se préoccuper des règles. Ce n’est pas un drame mais c’est dommage”, a-t-il déclaré dans Le Figaro qui révèle cette démission. Le journal relate également qu’une plainte aurait été déposée par l’UEFA et La Provence contre “l’agence qui a vendu les billets” frauduleux au média. Un point que l’UEFA, contactée par Marsactu, n’a pas souhaité confirmer. Quant au nom de l’agence en question, personne ne l’a dévoilé pour le moment.
Pack VIP à plusieurs milliers d’euros
Au-delà de la position adoptée par La Provence, qui a tendance à placer sa direction en “victime”, un autre aspect ne peut pas être occulté : le journal local a fait du commerce, confectionné des packages commerciaux, organisé un tirage au sort avec des billets de la finale de la Coupe d’Europe. Ce qui est, au delà de l’origine des places qui reste à ce jour encore obscur, interdit par le règlement de l’UEFA.
Comme le détaillait Marsactu ce mercredi, La Provence disposait de 140 billets pour assister à la finale au stade des lumières et a voulu en revendre une partie à ses annonceurs par le biais de packs comprenant encarts publicitaires diffusés dans les pages du journal le jour de la finale ou le lendemain, et “offre expérience”. Le prix de ces packs s’étalait de 6000 à 30 000 euros et pouvait contenir jusqu’à six places. “En fait, il y avait trois possibilités. Le pack avec de l’espace publicitaire et des places. Le pack avec juste l’espace publicitaire. Et le pack VIP seul, qui devait coûter environ 2000 euros si mes souvenirs sont bons”, explique un annonceur joint par Marsactu qui a choisi la deuxième solution et souhaite rester anonyme.
La mise au jour de ce petit commerce dans la presse le jour de la finale a bien eu une conséquence : seule une cinquantaine de personnes s’est rendue avec les organisateurs de La Provence au “cœur de l’événement”. “Dès lors nous nous sommes rapprochés de l’UEFA afin de restituer l’intégralité des billets”, écrit encore Jean-Christophe Serfati dans un mail au personnel envoyé ce jeudi matin que Marsactu a pu consulter. Il y ajoute avoir ainsi prouvé “sa bonne foi” auprès de l’UEFA qui a finalement attribué 50 places pour que “les VIP puissent quand même assister au match”.
Avion, cocktail privé et… accès au stade sans difficultés
Pour Le Figaro, la centaine de personnes restées sur le carreau ce mercredi a donc vu le match depuis un restaurant lyonnais. Quant aux autres, ils étaient bien au stade, et ont joui d’une formule tout compris. “Avion privé, restaurant, déplacement au stade, cocktail”, confirme une personne qui a fait partie du voyage. Ce qui constitue une nouvelle infraction au conditions générales de vente de l’UEFA selon lesquelles les billets ne peuvent être “combinés et vendus dans le cadre d’un package de voyage ou d’hospitalité (par exemple une formule combinée vol-hôtel-billet[s])”. Si une partie des personnes ont été invitées, comme c’est probablement le cas pour les anciens joueurs de l’OM Mamadou Niang et Toifilou Maoulida, d’autres ont sans doute payé leur place. “Je connais une personne de chez nous qui était au stade oui”, glisse-t-on au secrétariat d’un annonceur qui a bénéficié de l’offre publicitaire spécial finale et donc visiblement, du pack complet.
Quatre autres personnes ont eu accès à cette prestation par le biais d’une tombola organisée par le journal. Ce qui là encore, constitue une infraction au règlement de l’UEFA. “Nous y sommes allés et tout s’est bien passé”, raconte l’une d’entre elles. Après avoir clairement laissé envisager des poursuites à l’encontre des fraudeurs, l’UEFA a donc décidé de laisser entrer des personnes qui avaient bénéficié de packs a priori frauduleux.
Pour le syndicat de journalistes SNJ, La Provence ressort de cette affaire “ridiculisée”.
“Certains ont entraîné notre entreprise dans une opération de revente déguisée de billets, contrevenant aux règlements (pourtant publics) de l’UEFA. Hier [mercredi], nous n’avons pas voulu réagir à chaud alors que des équipes se dépensaient sans compter auprès de clients dépités afin d’éviter le naufrage alors que La Provence devait remplir ses missions premières, le compte-rendu d’un match de football, l’impression d’un journal et sa diffusion.” (extrait d’un communiqué du SNJ)
Ce vendredi, un comité d’entreprise doit se tenir au sein de La Provence. “On espère que ça ne va pas en rester là, que cela va aussi remettre en question cette logique événementielle de marchand de tapis”, veut croire un membre de la rédaction. Plusieurs salariés utilisent le terme d’“apocalypse” pour qualifier le climat actuel. Les représentants du personnel, eux, comptent bien poser les questions délicates. Qui a véritablement initié et dirigé ce projet ? Quel est le bilan financier de tout cela ? Qui a encouragé cette diversification à tout prix ?
Des questions auxquelles les dirigeants devront répondre avant d’apporter des précisions sur l’identité du remplaçant de Jean-Christophe Serfati. Selon Le Figaro, Franz-Olivier Giesbert, l’actuel directeur éditorial, devrait assurer l’intérim. Et il semblerait que l’actuel numéro deux de La Provence, Fabian Frydman, soit favori pour prendre la suite. Mais quel que soit le nom du successeur, sa mission sera complexe alors que Bernard Tapie attend pour juillet prochain la décision du tribunal de commerce de Paris qui doit statuer sur la liquidation de son groupe.
Commentaires
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Qu’en pense René (Malleville) ? 😋
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Plus aucun spécialiste en investigation pour éclaircir ce mystère à la Provence, et depuis des années, donc on peut les aider: Qui protège donc le “fusible” démissionnaire ? Allez on rigole !
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Belle opération de relation publique en vendant des pakcs à 5 000 €? On croit rêver, c’est au contraire une idée qui pue le fric et l’arnaque. Le fait qu’il n’ai même pas penser à vérifier la possibilité juridique de le faire, ou plutôt qu’il accepte de fermer les yeux là dessus, justifie bien sa démission. ça ne m’étonnerait pas que Tapie soit partie prenante là dedans mais il s’est sans doute défaussé tôt en discréditant son directeur afin de se mettre à l’abri.
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Marsactu qui fait “tomber” le directeur de la Provence !
“L’affaire” des billets en elle-même m’intéresse peu (par manque d’intérêt par le football et encore plus par manque d’empathie avec l’UEFA dont les “règles” ont été violées). En revanche, je serais très intéressé pour avoir un éclairage de la rédaction de Marsactu sur vos discussions internes, d’ordre éditorial, avant le déclenchement de “l’apocalypse” à la direction de La Provence. Un petit média local qui attaque frontalement le “gros”, ce n’est pas anodin dans le monde des médias. Avez-vous à un moment donné redouté des mesures représailles, de toute nature ? (Y compris individuellement : j’imagine que le milieu journalistique marseillais est assez petit et qu’il y a forcément entre médias des questions de parcours professionnel, d’amitiés et d’inimitiés professionnelles, d’intérêts communs ou opposés, etc.). Je trouve que ce serait très intéressant à développer dans votre rubrique hebdomadaire, comme un exercice de sociologie des médias : qu’est-ce qu’on s’autorise à faire ou non, comment on se décide à le faire malgré les bonnes ou mauvaises raisons de ne pas faire, qu’est-ce qu’on en attend en retour, qu’est-ce qu’on en reçoit effectivement et de la part de qui (félicitations, menaces, ostracisation ?), etc. A bon entendeur… Et dans tous les cas, merci et continuez !
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“Petit”…. C’est un peu fort non ? 😉
Moi, mon sang n’a fait qu’un tour quand j’ai vu qu’on en parlait au national (je ne sais plus quelle chaîne…) où le Gabian a montré le bout de son bec.
Marsactu, Le Canard, Mediapart : belle convergence ! Beau travail
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Bonjour, la question est très pertinente. C’est l’objet de notre billet dans notre newsletter hebdomadaire. Je le duplique ici, il est signé de notre rédacteur en chef, Benoît Gilles :
La question est simple : pourquoi un journaliste choisit comme sujet le journal d’à côté, fut-il gros et grand, pour tout dire dominant ? N’y a-t-il pas une règle déontologique qui empêche d’étendre le champ de ses investigations jusqu’au journal voisin ? Une neutralité bienveillante et pour le reste de la saine émulation. Cette règle n’existe pas. Le champ d’investigation d’un journaliste est limité par ce que lui impose le code pénal et le respect de la vie privée. Pas par la confraternité. D’autant plus, quand il est question d’un acteur éditorial comme La Provence dont les ancêtres, Le Provençal et Le Méridional étaient propriétés de Gaston Defferre. La presse est parfois un pouvoir avant d’être un contre-pouvoir.
Les journaux de la presse locale sont donc un sujet parmi d’autres pour Marsactu. Que cela soit dans la chronique précise des difficultés économiques de La Marseillaise ou une enquête sur les dérives d’un marketing VIP un soir de finale de la coupe d’Europe. Que l’on perd, en plus.
Benoît Gilles
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Le marigot marseillais… “ben quoi, où est le problème ?”… “on a toujours fait ça”…”tout le monde le fait”…”c’est pas un drame”…”y en a qui cherche des poux”…”y a plus grave”…”pfff on peut même plus travailler/commercer/discuter”…”y a pas mort d’homme, ça vaa!!”….. “c’est les affaires, c’est normal”…
un fusible saute, on en parle deux jours, on joue les victimes et…hop ! on oublie..
Heureusement qu’il y a des médias indépendants…et des journalistes qui osent mettre les pieds dans le plat (et refusent d’y bouffer, de s’y goinfrer comme certains sans scrupules).
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Donc une cinquantaine d’entrepreneurs ont pratiqué l’abus de bien social en achetant quasi au black des places de foot pour leur plaisir personnel, et en les faisant payer par leur entreprise, et La Provence a pratiqué l’incitation à l’abus de bien social.
Outre le ridicule de s’être fait entubés par La Provence, ces entrepreneurs risquent de devoir rendre des comptes à leurs salariés, à leurs actionnaires et à la justice.
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Dans cette affaire, Marsactu démontre une chose, forte et positive : il a fait le job! Tout ce pourquoi je me suis abonné à ce canard est là. Encore bravo.
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