[Comment ça va les agences immobilières ?] “On cherche des économies dans tous les sens”
Durant le premier confinement, Marsactu avait suivi les "premiers de corvée" qui continuaient à travailler. Pour cette saison 2, nous nous intéressons chaque jour à celles et ceux que la crise économique frappe avant la crise sanitaire. Aujourd'hui, Philippe Caron, directeur d'une agence immobilière indépendante à Marseille.
L'agence immobilière de Philippe Caron. (DR)
Pour ce deuxième confinement, les agences immobilières sont autorisées à ouvrir, mais les visites de logements sont interdites. Elles ne peuvent se faire que virtuellement, un aménagement qui refroidit les clients autant que les professionnels. Entretien avec Philippe Caron, directeur de La phocéenne de prestations immobilières, une petite agence indépendante dans le 8ème arrondissement de Marseille.
Comment ça va Philippe Caron ?
C’est une période compliquée. Les ventes et achats de biens immobiliers sont à l’arrêt. Avant, on recevait entre 10 et 15 appels de clients par jour. Maintenant, le téléphone ne sonne plus. La solvabilité des acquéreurs est en train de s’émousser, les visites de logements sont interdites, ce qui met fin à toute transaction… On cumule un peu tous les ennuis. Depuis le début de l’année 2020, on est à au moins 30% de recettes de baisse en activité de transaction. En administration de biens, les chiffres sont stables. On n’en perd pas, mais on n’en gagne pas non plus. Moi je gère une petite structure dans laquelle nous sommes trois. Les dégâts sont minimes comparés à d’autres confrères.
Financièrement, comment faites-vous pour maintenir votre activité ?
On a eu recours au chômage partiel en mars, avril et mai derniers. Les mois qui ont suivi, on a connu un véritable rebond. Les ventes sont reparties fortement à la hausse à la sortie du premier confinement. Je pense que c’étaient des achats d’impulsion. On a rattrapé ce qui n’avait pas été fait. Mais ça ne risque pas de se reproduire. En juillet-août ça s’est calmé, puis maintenant, ça s’est complètement éteint. On manque cruellement de produits.
Nous avons donc de nouveau recours au chômage partiel pour décembre et novembre. Puis j’ai réduit au maximum les charges de l’entreprise. On cherche des économies dans tous les sens. Après, dans notre agence, on a la chance de ne pas faire que de de la transaction. La gestion de copropriétés et la location nous permettent de survivre. Pour le moment, on tient le coup, mais psychologiquement c’est assez lourd. Les nuits sont agitées. On n’est pas sereins. J’espère que ça va s’améliorer.
Les visites virtuelles aident-elles à relancer les ventes ?
Les visites virtuelles ne sont pas une solution. Les choix des clients se font à l’affect, à leurs impressions pendant la visite. Une vidéo ne pourra jamais remplacer cela. Au mieux, ça permet de gagner du temps et d’éliminer un certains nombre de cas rédhibitoires que les potentiels acquéreurs peuvent identifier à l’image, mais en aucun cas ça ne déclenche un achat final. En plus, même les clients n’y adhèrent pas. La semaine dernière par exemple, deux personnes ont demandé à visiter des logements. Lorsque je leur ai dit que ce n’était pas possible, elles n’ont pas compris les raisons. Pour elles, il n’est pas envisageable de s’engager sans visiter physiquement. Surtout quand les logements concernés sont inoccupés. Les clients n’identifient pas la nature du risque. J’essaie de les fidéliser en leur disant que je les rappellerai dès que tout rentrera dans l’ordre, mais ça me pénalise. Ils risquent de se tourner vers des confrères qui passent outre l’interdiction.
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C’est vrai que personne n’achètera un logement sans le voir sur place, mais il y a beaucoup de choses qu’on peut faire pour que le client ait la perception la plus juste de la réalité avant de décider.
L’environnement du logement est indispensable à visiter. Comme disent les anglophones, les gens choisissent suivant trois critères: “location, location, location” (emplacement): le quartier, les commerces autour, la perception de sécurité, le nombre de mendiants au m2, le voisinage, les odeurs, l’aspect des immeubles à coté et le sien, la distance vers des lieux pour se détendre (parc, monument, mer, cinema, restaurants, écoles, transports en commun, etc), possibilités pour se garer dans la rue, travaux de construction à coté. On peut aider un client à observer ces données ou leur donner des infos s’ils sont loin. Ensuite, on peut aider le client à se renseigner sur les projets de construction autour qui pourront cacher sa vue ou apporter du bruit pour un temps incalculable et modifier son prix de revente.
Pour l’intérieur, les videos que l’on voit parfois sur les sites d’agences montrent les pièces séparément; on a besoin de voir le “flow”, c’est à dire depuis la porte d’entrée, puis pièce par pièce, comme si on visitait. Franchement, pas difficile à faire pour le peu de biens en vente ou location actuellement. On peut meme ouvrir les fenêtres pendant la video pour que les gens entendent les bruits, voient la lumière et la vue.
C’est sidérant de voir que les agences se laissent couler ou aller en chômage partiel, sans faire un effort de créativité pour rendre leurs produits plus lisibles et penser autrement. Et puis, leur fédération ou syndicat professionnel devrait pouvoir les aider dans cette créativité et sa mise en oeuvre, non? Le plus bizarre, c’est que dans de nombreux pays occidentaux, le fichier des biens est disponible très largement et facilement auprès du public, sans nécessairement l’adresse. En France, il faut telephoner, retéléphoner, prendre des rdv, tout est lent et compliqué, et tout est partagé en clans entre les agences immobilières, dans le portefeuille d’un agent. Comme si on voulait bien cacher le bien. Si le syndicat professionnel veut redonner un souffle à la vente, il faut revoir l’accès le plus large possible aux photos, et informations concernant les immeubles pour aider les gens à choisir et acheter.
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