Coin-joli, la vie derrière des grilles

À la une
le 15 Avr 2013
7
Coin-joli, la vie derrière des grilles
Coin-joli, la vie derrière des grilles

Coin-joli, la vie derrière des grilles

A l'heure de la sortie des cours, le parvis de l'école du Coin-Joli vibre d'une drôle d'agitation. C'est la veille des vacances. Il y a quelques gitanes, une coccinelle, deux ou trois judokas et une pom-pom girl qui courent entre les jambes des parents. Ce vendredi, l'école fête son carnaval. Mais ce n'est pas pour une célébration que le cortège de parents et d'élèves s'ébranle dans les petites rues du lotissement. Ils entendent protester contre la fermeture du lieu par deux barrières fixes et trois portails automatiques qui oblige une bonne partie des parents et des enfants à faire un large détour par le boulevard Ganay, très fréquenté.

"Coin joli, coin banni", formule une pancarte tenue par une riveraine, solidaire du mouvement. "L'association de copropriétaires a entamé les travaux fin 2012 pour une mise en service au débat de l'année 2013, résume Pierre Linossier, un parent d'élève, lui-même locataire du lotissement. Jusque-là, certaines rues étaient ouvertes pendant la journée et la chaîne était remontée le soir. Il y a peu, une partie des propriétaires a décidé de fermer plusieurs rues barrant notamment de manière définitive l'accès à deux rues publiques". Les autres rues ne sont accessibles aux piétons qu'en passant entre des plots fixes et des chicanes.

"Cela pose un vrai problème pour les élèves à mobilité réduite qui fréquentent l'établissement", reprend le parent d'élève. Selon lui, le véhicule qui les amène doit les déposer à plusieurs dizaines de mètres de l'école et les aider à passer les obstacles. Quant aux élèves valides, ils sont bons pour une marche à pied. Les copropriétaires arguent de problèmes d'insécurité, voire de cambriolages en série difficiles à confirmer. "On est en train de le vérifier auprès du commissariat", assure une opposante aux grilles. "Et puis l'insécurité progresse plus dans des rues désertes que dans des rues fréquentées", plaide Benoît Campion le président de l'association des parents d'élèves. 

Charivari d'enfants

Le cortège s'approche des grilles qui marquent la limite entre voies privée et publique. "Libérez Coin-Joli !", scandent les enfants, ravis de ce charivari de fin d'école. Les parents le sont moins. Surtout ceux de La Cravache, la résidence toute proche qui jouxte le boulevard Michelet. "Je dois marcher 25 minutes avec mes enfants pour les amener à l'école, râle une dame. Alors qu'avant il suffisait de cinq minutes pour les amener en passant par Coin-Joli. Pour moi, les grilles, c'est contre nous, les habitants de La Cravache. On est ghettoïsés."

Dans ces quartiers Sud, perçus comme nantis quand on les regarde depuis le nord de la ville, il existe des frontières dressées entre l'habitat social (La Cravache est une résidence Unicil qui relève du 1% logement) et les lotissements privés. "Pour moi, c'est de la ségrégation, se plaint un père de famille. À la Cravache, on est mélangés, il y a des gens de toutes les origines. C'est peut-être pour cela qu'ils ne veulent plus qu'on traverse leur quartier". Autour de lui, les autres parents d'élèves acquiescent. 

Mosaïque marseillaise

Si on survole le quartier à hauteur de gabian, celui-ci ressemble à une mosaïque peu perméable. De l'autre côté de l'avenue qui borde l'école, la résidence du Barry est en train de poser des barrières. "Mais là, il s'agit d'un échange entre une voie publique peu passante et une voie privée avec beaucoup de circulation", indique la communauté urbaine saisie de cette question. À Coin-Joli, les voies sont strictement privées et la communauté urbaine n'a pas été consultée. "En revanche, la pose des grilles et portails doit faire l'objet d'un déclaration préalable de travaux, reprend-on à MPM. Cela relève des pouvoirs de police du maire de vérifier si la déclaration a été faite ou pas".

Côté Ville, impossible d'obtenir de précision. L'élue en charge du foncier, Danielle Servant, aurait écrit au procureur pour lui faire part du non respect des textes règlementaires, aux dires de Lionel Royer-Perreault, élu de secteur. "Nous savons que le parquet est saisi de dizaines d'infractions au code de l'urbanisme. Le cheminement judiciaire risque d'être long, regrette le bras droit de Guy Teissier. Dans les années 70, il était très à la mode d'installer des écoles publiques dans des résidences privées. Face à la recrudescence des actes de vandalisme, de dégradations voire d'insécurité, ces mêmes quartiers ont la tentation de se fermer. C'est ce qui se passe à Coin-Joli où les voies d'accès à l'école sont effectivement privées". Dans un procès-verbal de l'association de propriétaires, il est même fait mention de la pose d'un grillage pour couper le  dernier trottoir public qui mène à l'école de la voie privée censée la desservir :

Pour l'école et I'avenue Nicolas, la présidente [de l'association] rappelle que la Ville a I'obligation de clôturer son lot et que rien n'empêche vraiment de placer I'ouverture principale côté Aubert (ancienne entrée de l'école maternelle) où se trouve en outre un parking.

Pour l'heure, rien ne confirme cette volonté de grillager davantage, mais elle vient conforter les riverains inquiets qui parlent de ségrégation, voire même d'apartheid. De l'autre côté de l'école, pour rejoindre la résidence Sévigné, il faut passer par un passage étroit clos par une grille et fermé durant la nuit (22 heures à 6 heures). C'est un des itinéraires les plus courts utilisés par les élèves pour contourner la fermeture de Coin-Joli. Les mères de famille présentes à la manif tiennent à montrer par où elles et leurs enfants sont contraints de passer.

Au fond de la résidence Sévigné, un mur s'est écroulé. "C'était un soir de tempête, se souvient une mère de famille. Le mur était déjà en mauvais état et n'a pas résisté". Pour Lionel Royer-Perreault, il est "opportunément tombé. Peut-être l'a-t-on un peu aidé". En tout cas, les moellons écroulés dessinent un escalier précaire où les enfants grimpent sans trop de difficultés. "Mais regardez cette maman comment elle galère", s'exclame une habitante de La Cravache en pointant deux dames qui descendent une poussette.

La petite réunion informelle qui s'est créée autour de l'escalier tout aussi informel évoque les dernières nouvelles. "Les assurances des deux résidences se sont mises d'accord. Les travaux de rénovation du mur vont pouvoir commencer", avance une habitante de la résidence Sévigné. "Pourquoi ils ne font pas un escalier s'ils se sont mis d'accord entre eux?", répond une alter ego de La Cravache. "Ce n'est pas du tout prévu, croit-on du côté de Sévigné. Ce n'est pas pas dans les plans. Et puis il faudrait faire une rampe pour les handicapés. vous avez vu la pente ?" Ce n'est donc pas par là que les problèmes de circulation du quartier vont trouver une solution. Le petit groupe se disperse.

Dans les rues désertes de Coin-Joli, une habitante promène son chien. Propriétaire, elle était contre la pose de grilles. "Mais, depuis, je dois bien reconnaître qu'il y a moins de nuisances. Moins d'enfants qui circulent en hordes et crient. Moins de pierres et de canettes jetés dans les jardins. Le quartier est plus calme. Vraiment".

Cet article vous est offert par Marsactu

À vous de nous aider !

Vous seul garantissez notre indépendance

JE FAIS UN DON

Si vous avez déjà un compte, identifiez-vous.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Anonyme Anonyme

    argh Les foulards sur la photo ! les foulards sur la tête sont en partie responsables ! Hors de tout racisme, mais avec une vraie animosité envers les signes religieux (croix soutanes kippas turbans foulards islamiques), je ne les supporte pas dans mon quotidien, je ne les supporte pas dans la rue, je ne les supporte pas à la sortie de l’école, et voilà pourquoi une grosse partie de la population envoie des regards haineux envers les voilées, les barbus, les kippatisés, les porteurs de croix, les fous de Dieu – et je comprends d’une certaine façon que les copropriétaires essaient d'”assainir” leur horizon quotidien. En fait ils s’enferment dans une certaine schizophénie. Les politiques ont failli à défendre la laïcité, parce beaucoup ont fait des concessions inadmissibles aux religions catholiques, protestante, juive, et aujourd’hui que l’islam plutôt prosélyte moins tolérant dans beaucoup de ses versions compte une masse de “fidèles” conséquente, on est en face d’un big big problème, et certains en viennent à construire de fait des ghettos et de l’épuration économique sociale ethnique dans plusieurs quartiers de la ville.

    Signaler
  2. Céhère Céhère

    Une honte ce qui se passe dans ce quartier. Certes il y a toujours eu des cambriolages (comme ailleurs), il faut dire que les voleurs n’y sont pas dérangés, vu que personne n’y passe.

    Signaler
  3. julijo julijo

    Mouais on peut comprendre pourquoi l’anonyme de 9h23 a été signalé en abus….cependant, c’est pas complètement faux ce qu’il dit !
    Sans qu’il y ait réellement animosité, c’est sûr qu’il y a une gène pour les porteurs de “signes religieux ostentatoires” et un vrai ras le bol.
    Et la conséquence est bien d’être tenté de s’enfermer…..
    Dans un sens, et dans l’autre.
    On vit une époque formidable.

    Signaler
  4. lisandru lisandru

    Laïcité: le casse du siècle

    Depuis au moins vingt ans, la classe politique dans son ensemble déserte ses propres valeurs et le terrain de la laïcité. Par paresse, par aveuglement, ou par lâcheté. C’est selon. Pas assez ferme sur l’affirmation de la laïcité : ce modèle inégalé en Europe de cohésion sociale.

    L’ensemble de la classe politique française est resté et reste sourde devant cette inquiétante montée de la France profonde devant l’émergence de ce qu’il et convenu d’appeler « la deuxième religion de France ».

    Tout a commencé à la fin des années quatre-vingt-dix, avec Lionel Jospin et ces affaires de voile dans les écoles. Le premier Ministre d’alors n’a pas osé trancher. Il a envoyé la balle au Conseil d’État qui, depuis, ne cesse de distiller l’ambiguïté sur la question. Les politiques se sont défaussés sur les juges administratifs; ce fut le début du renoncement…

    De la même façon, il aura fallu deux ans de palabres autour de la burqa pour finalement l’interdire par la loi !

    Des années à pinailler, à hésiter, pour fixer un rendez-vous entre laïcité et Islam de France. Là ou un homme d’État, un Clémenceau d’ aujourd’hui, aurait trancher sans que sa main ne tremble. Vingt ans et plus, a différer ce rendez-vous, par électoralisme, par communautarisme, par cynisme comme par exemple en promouvant des institutions intégristes comme l’UOIF (Union des Organisations Islamique de France).

    Il y a bien un problème à régler entre l’Islam et la République. Tout comme il y en avait un il y a plus d’un siècle entre l’Église et la République. Ce n’est pas un problème racial comme le souhaite Marine Le Pen et ses amis. C’est un problème civilisationnel et politique, là ou les valeurs de « certains islam » viennent en contradiction avec les lois et les libertés de la République. Est-il honteux de le dire de l’admettre ? Non !!! Alors disons le haut et fort !!!!

    Les Aristides Briand, les Combes, les Clémenceau… ont eu le courage de se saisir clairement en leur temps, de ce même problème. Il ne s’est pas réglé sans douleur avant et après 1905. Ce fut leur grandeur et celui de notre République que de mener ce combat opiniâtre. Depuis, un pacte laïque existe dans notre pays et nous ne pouvons quelque soit nos sensibilités que nous en féliciter.

    Aujourd’hui, il faudrait à l’ensemble de la classe politique et aux responsables musulmans, ce même courage, afin de relever ce défi contemporain.

    Signaler
  5. Jojomigrateur Jojomigrateur

    Dans le quartier, il n’y a pas qu’à Coin-joli que les grilles et les portails fleurissent. La circulation et le parking sauvage de véhicules les soirs de matches est pour beaucoup dans cette floraison de barricades…
    La prochaine étape sera peut-être la pose de pièges à loups… Avant les mines antipersonnels…

    Signaler
  6. Anonyme Anonyme

    quel triste spectacle… Honte aux habitants de ce lotissement

    Signaler
  7. Anonyme Anonyme

    habitante de ce quartier, je demande le libre de droit de passage pour les pietons et les velos. Qu’on ferme la route aux voitures est normal, vue l’augmentation soudaine de la circulation automobile dans ce secteur (merci le tunnel) et les nuisances mortelles qu’elles créent. Mais qu’on la ferme aux piétons relève de l’apartheid et je pese mes mots.
    ps : la photo de l’article est tres mal choisie effectivement.

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire