[Sorties de crises] Petits commerces, lieux de vie ordinaires

Chronique
le 18 Mai 2021
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Alors que le déconfinement s'annonce, que garderons-nous de ces mois suspendus par la pandémie ? Le documentariste et auteur Michel Samson, a proposé à Marsactu de traquer les petits et les grands changements dans nos quotidiens qui pourraient bien laisser des traces sur le long terme. Une série de chroniques à découvrir ce printemps.

Place Pierre-Roux dans le 5e arrondissement, la boulangerie a remplacé les bars du quartier pendant les confinements. (Photo Michel Samson)
Place Pierre-Roux dans le 5e arrondissement, la boulangerie a remplacé les bars du quartier pendant les confinements. (Photo Michel Samson)

Place Pierre-Roux dans le 5e arrondissement, la boulangerie a remplacé les bars du quartier pendant les confinements. (Photo Michel Samson)

Confinement, déconfinement, déplacements limités, couvre-feu : depuis plus d’un an, nous vivons tous en liberté surveillée. Une situation inédite dont il est difficile de penser qu’elle ne va pas transformer nos vies durablement. Que garderont de ces moments des jeunes coincés chez eux et privés de leurs amis, des retraités isolés n’allant plus dans leurs clubs de Scrabble, des associatifs ou des journalistes découvrant le télétravail sans jamais voir leurs interlocuteurs ? Essayer de le comprendre m’est apparu une bonne idée. Et puisque je vis juste à côté de la place Pierre-Roux (5e), tranquille placette dont les terrasses des trois bars sont fermées, cette chronique y commence…

La boulangerie-pâtisserie artisanale Les délices de Menpenti est restée ouverte durant les confinements même si, couvre-feu oblige, la boutique ferme à 19 heures comme encore indiqué sur sa porte. Félix Irchad Daoud, né à Mayotte, y travaillait comme salarié en 2015 avant de la reprendre à son compte en 2019. Malgré “l’effet de surprise, le premier confinement n’a pas changé grand’ chose pour nous : « nécessité ça fait loi ! » On consommait juste à côté de chez soi”, explique-t-il avant d’ajouter qu’il vendait “un peu plus de pain”. “Mais au deuxième, avec les 10 kilomètres autorisés, c’est redevenu normal : les gens pouvaient aller acheter partout”.

Quand je lui dis que sa boutique paraît mieux achalandée, il répond que ce n’est pas dû au confinement : “Pour les pains, c’est stable, on a un peu progressé sur les gâteaux secs et les viennoiseries, mais c’est parce qu’on s’est amélioré”. Il a embauché une nouvelle vendeuse pour remplacer l’ancienne et un ouvrier boulanger. Et sa femme “qui fait tout bien, comme à la maison, est toujours là, dans la boutique : parce que l’ambiance dans une boulangerie, ça compte beaucoup”. 

“Quand on prend l’habitude de freiner, freiner, freiner pendant un an…”

Depuis la fermeture des terrasses de la place, un petit groupe de gens boit le café en bavardant devant chez lui tous les matins. “Oui, la boulangerie est devenue comme un lieu de vie”. Et quand les terrasses rouvriront ? “Je ne sais pas s’ils resteront ! Ils avaient leurs habitudes au Bar du Téléphone ou au Foyer du Peuple alors… Peut-être ce sera un jour ici, un jour là-bas”. Avant de s’interroger : “Quand on prend l’habitude de freiner, freiner, freiner pendant un an …”, lance-t-il, avant de dire qu’il ne sait absolument pas ce que la sortie des confinements va produire. Sinon ceci : “Nous on sera toujours là, ça c’est sûr”.

Grazia A., qui gère toute seule Delicepol le magasin d’à côté où l’on achète des produits alimentaires venus de Pologne, a passé une bien mauvaise année. Sa clientèle vient souvent de Toulon ou de Nîmes puisque sa boutique est la seule du genre dans la région. “Le premier confinement, rien, rien, plus personne…”, dit-elle. Et dans un sourire déçu que le deuxième n’a pas été meilleur. Quand on lui demande si elle espère une reprise rapide, elle reste pessimiste. “En juillet et en août, les Polonais retournent au pays”, dit cette native d’un village près de Cracovie qui y retourne – en voiture – presque tous les ans !

Les gens restaient chez eux, alors ils ont fait leurs travaux eux-mêmes…

À deux pas de la place Pierre-Roux sur l’avenue de Toulon, la TPE de Ferronnerie Métallerie Rammaudo, avec ses cinq salariés sort d’une “période catastrophique” : 80% des fournitures de cette entreprise qui travaille pour des particuliers (“du sur-mesure, pour vos besoins” selon son site) provient de Chine. “Arcelor Mittal par exemple n’a fourni qu’à l’armée et aux grosses entreprises. Pour nous rien du tout, on est en bout de la chaîne, comme vous”, m’explique-t-on. “Les gens restaient chez eux, alors ils ont fait leurs travaux eux-mêmes”. La fin du confinement en cours ? “Quelques restos, des bistrots refont un peu en ce moment, ils nous appellent ; mais ils sont très pressés, ça nous donne un peu de travail, mais il faut faire très vite … Avec le matériel qu’on a, c’est pas facile !” Quel espoir avec les réouvertures ? Une moue. Interrogative.

Les grands travaux avant les temps nouveaux

Retour sur la place Pierre-Roux, au Bar du Téléphone qui a servi quelques plats à emporter durant ces derniers mois alors que, pour 15 euros, il proposait d’ordinaire un menu simple – et très bon. L’établissement est en travaux. Patron depuis 15 ans, Didier me les montre : carrelage, peintures, bar, plomberie : “tout, j’ai tout repris et normalement je finirais à temps pour le 19”. Il est ravi du mur refait derrière le comptoir “repeint avec de la rouille, c’est nouveau”. Cet amateur de cinéma souligne que “le plus dur, c’était de trouver le matériel : même les entreprises qui venaient en manquaient. Et la machine à café, j’ai été obligé de l’acheter en Italie !”.

Il a perdu ses deux employés et, “en ce moment, c’est dur de trouver dans la restauration : les gens se disent que si ça referme en septembre comment ils vont faire ?”. Mais sa terrasse ombragée sera bien ouverte le 19 mai : “Depuis un mois les gens me demandent, alors je suis complet”. Il est persuadé qu’il va retrouver toute sa clientèle : “Ils viennent ici parce qu’ils sont d’un certain niveau. Je leur offre un cadre de vie, un niveau intellectuel qu’ils ne trouvent pas ailleurs”. 

Le patron de la boulangerie et lui semblent bien d’accord sur ce point : les petits commerces subsistent parce qu’ils vendent des produits essentiels, mais ils survivent quand ils sont des “lieux de vie”, l’expression qu’emploie souvent M.Daoud. 

Post-scriptum : Et puisque j’entame cette chronique sur les conséquences possibles des confinements par un texte sur les petits commerces, une remarque : les sociologues ou ethnologues que j’aime lire et fréquenter n’ont à peu près jamais étudié le rôle social des petits commerces ou des marchés. Le livre de Michèle De La Pradelle, Les vendredis de Carpentras : Faire son marché en Provence ou ailleurs paru en 1995, avait été largement -et justement – contesté par ses collègues. Depuis, à peu près rien en France sur les petits commerces ordinaires. Pourtant, le très officiel Centre national des ressources textuelles et lexicales définit ainsi le mot commercer : “Se livrer à une activité commerciale”. Mais aussi : “Entretenir des relations affectives, culturelles ou spirituelles avec une ou plusieurs personnes”. Ces confinements m’auront fait découvrir qu’on va faire ses courses aussi pour connaître les autres…

Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Sur la place Pierre Roux, il y a un commerce emblématique : l’Atelier du Piano de Robert Rossignol https://pianos-rossignol.com – Outre la vente de pianos neufs et d’occasion, les confinements lui auraient procuré un surplus de travail pour son activité de facteur de pianos, les personnes confinées ayant réouvert et plus joué de leurs pianos…

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