Dans la fabrique du roman-photo
Après avoir chroniqué la justice et plus récemment la campagne électorale pour Marsactu, le journaliste et écrivain Michel Samson revient dans nos colonnes pour reprendre, à sa façon, l'analyse de la vie artistique locale. Et suivre par la même occasion une saison culturelle marquée par les grandes ambitions de MP2018. Cette semaine, il a suivi des enfants à la découverte du roman-photo.
Atelier roman-photo au Mucem par la Compagnie d'avril.
Dans la grande exposition du MUCEM Roman-photo, vingt garçons et filles de 8 à 14 ans se promènent avec leur guide du jour, Hugo Bousquet de La compagnie d’avril. Ils sont assis, Hugo debout devant eux, leur demande : “Que voyez-vous ?”. “Y a des photos” ; “des dessins” ; “des écritures”. Devant des phrases inscrites sur le mur. “Que lisez-vous ?”. Doigt levé, une petite voix : “Tu dois avoir chaud, j’ai envie de te voir nue”. Un autre : “Mon mari m’a quittée pour une fille de 20 ans”.
Devant des dizaines de couvertures de Nous Deux, qui a introduit le genre en France, même question d’Hugo, devant ces gamin(e)s très attentifs : “C’est très rose” ; “c’est romantique”. Hugo : “Oui il y a des histoires qu’on appelle des histoires à… ?” ; “à l’eau de rose !!!”. “Oui, justement des histoires à l’eau de rose…”, poursuit Hugo. Qui emmène ses jeunes apprentis devant une longue série de photos que la commissaire de l’exposition Frédérique Deschamps avait ainsi décrit : un “fonds exceptionnel du groupe de presse Mondadori, qui a édité la revue Bolero. Un véritable trésor, constitué de centaines de négatifs de romans-photos à partir desquels nous avons pu réaliser de nouveaux tirages”. Ces images permettent de constater que les photos sont souvent coupées ou recadrées en fonction de l’intrigue. Dernière halte dans une petite salle ronde où est projeté un film racontant comment on créait un roman-photo.
Étapes fort utiles pour ces tout jeunes gens qui descendent alors dans l’atelier installé au sous-sol du Mucem par La compagnie d’avril. C’est maintenant aux enfants d’inventer leur roman-photo. Quatre groupes d’âges à peu près semblables. Sur deux tables, des dizaines de cubes décorés d’images, bulles de dialogue vides, qu’ils viendront chercher et remplir de phrases pour construire et assembler leur histoire. Un thème pour chaque groupe : “Une visite inattendue”, “Héros malgré lui”, “Un rêve réalisé”… Les enfants commencent alors à parler, s’écouter, se couper. Certain(e)s prennent manifestement l’affaire –et le marqueur- en main, d’autres rêvassent un peu mais vérifient, proposent, rechignent avant d’aller chercher un cube qui affiche une image plus adéquate. Hugo passe leur demander où ils en sont, regarde leur premier alignement de cubes, les phrases qu’ils ont écrites dans les bulles et peu à peu leur roman-photo apparaît.
Photo de coup de poing sur un visage : “Prends ça !”; sur deux visages de femmes : “J’aimerais que la bagarre s’arrête”; un jeune homme, visage catastrophé, demande : “Pourquoi je lui ai donné un coup ?” ; “Oui, pourquoi tu lui as donné un coup ?” lui répond son ami. “Il est amoureux d’elle, alors…”. Et deux visages en très gros plan : “Et si on partait en vacances ?“. Le jeune homme et la jeune femme sont ensuite allongés sur des galets, il dit à sa compagne : “Notre rêve s’est réalisé”, à quoi elle répond : “C’est la saison des amours”. Un autre groupe invente La vengeance de la tromperie : “Ne me dis pas que tu sortais avec Elsa !” “Justement je ne savais pas comment de le dire”, mais leur affaire tournera très mal puisque le meurtrier par scooter interposé se trompera de victime !
Ce qui est sûr c’est que les enfants aiment et savent raconter des histoires. Mais l’exposition, elle-même copieuse, rappelle qu’ils ne sont pas seuls à aimer ces histoires qui, on le constate en la parcourant, ne sont pas toujours à l’eau de rose : tromperie, jalousie, menaces, vengeance, chantages affectifs sont au cœur de ces histoires en images dans lesquels les visages peuvent être souriants mais sont parfois anxieux ou en colère. Bien sûr le plus souvent, les histoires finissent bien!
En tous cas, Marie-Charlotte Calafat, une des deux commissaires de l’exposition, le rappelle dans un entretien du catalogue : le magazine Nous Deux, est vendu chaque semaine à 250 000 exemplaires en France. Et depuis les années 50 des dizaines de milliers de clichés ont été pris pour des millions de lecteurs et de lectrices. Et si le genre a longtemps été méprisé par les acteurs les mieux reconnus de la culture, il a souvent été détourné. Une salle interdite aux moins de 18 ans montre en effet le genre “érotico-pornographique”. Comme sont exposés les détournements politiques opérés par les situationnistes ou les planches du professeur Choron dans l’hebdomadaire Hara-Kiri. D’ailleurs Frédérique Deschamp, à l’initiative de cette exposition, évoque “la veine artistique” du roman-photo en rappelant que La Jetée de Chris Marker était sous-titré Roman-photo. Et on peut voir des images de films de Jean-Luc Godard : Johnny Halliday, l’idole des jeunes auquel la République vient de rendre un hommage officiel, y est, lui aussi, mis en scène !
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