[Que de la bouche !] Pizza arménienne, pizza marseillaise
Après avoir raconté les nuits marseillaises, Iliès Hagoug s'intéresse désormais à ces établissements de bouche qui font les identités de la ville. Il commence par un plat iconique : la pizza arménienne.
Devant l’étal toujours fréquenté de Charly Pizza à Noailles, la clientèle sait souvent ce qu’elle veut. La composition d’équipe des portions en 4-4-2 peut faire sourciller les quelques touristes, mais elles ne restent jamais bien longtemps sans être commandées et remplacées : poulet crème, merguez, une quantité de gruyère à faire pâlir un laitier et, bien sûr, de nombreuses “arméniennes”.
Viande hachée, poivrons et oignons taillés fins, un peu d’épices. Un combo connu des Marseillais, mais rarement une fois “dans le Nord”, passé Avignon. Parce que son nom vient des nombreux immigrés arméniens débarqués à Marseille dans les années 1920, suite au génocide, et qui ramènent avec eux le lahmacun, une galette fine garnie d’une légère couche de ce fameux mélange à la viande hachée. Pourtant, le nom vient de l’arabe : lahma – mahdjoune, littéralement “pâte à la viande”.
Le mystère s’épaissit donc : d’où vient cette galette à l’origine de la pizza arménienne ? Chez les Kurdes du Palandöken, sur le podium des meilleurs kebabs de Marseille, on en fait à la chaîne, mais on ne se pose pas trop la question. Le gérant hausse les épaules, et demande : “Quelle sauce ?” Un peu plus loin, au Durum, adresse turque près du lycée Thiers où la future élite marseillaise vient prendre sa dose de gras et de viande, on remplace parfois le pain à kebab par le lahmacun fait maison, pour être encore plus coquin.
Une histoire marseillaise
Il faut donc aller se sacrifier pour comprendre et passer les portes du Jacob Grill, rue d’Italie. De prime abord, l’observation de la carte nous enfonce encore un peu plus dans la confusion : la salade caucasienne ressemble à une salade grecque, les raviolis sont géorgiens et les grillades sont “chiche”, au sens turc et pas marseillais. Pour le reste, tout ici est arménien, de l’équipe aux clips et coupures publicitaires diffusés sur la grande télévision, via YouTube. Mais le lahmacun l’est-il aussi ? En bas de page, en tout cas, il est sous-titré “pizza arménienne”, et on s’active dans la cuisine ouverte pour faire la pâte à la main.
“On l’appelle comme ça parce que c’est ce que connaissent les Marseillais.” Elisa, au service ce midi, rappelle que ça se mange à la main, arrosé d’un peu de citron “pour parfumer“. Elle est tout à fait honnête sur l’origine du plat : “Ça vient de partout par là-bas : Turquie, Liban, Syrie. Il y a eu beaucoup d’Arméniens dans ces pays, et ils l’ont ramené avec eux à Marseille.” Et l’ont adapté à la pizza, donc. Il n’y a pas d’histoire plus marseillaise : une recette orientale, ramenée par des immigrés réfugiés arméniens, adaptée sur un plat italien, cuisinée par des Maghrébins.
Une tradition qui dénote avec les grandes pizzerias implantées ces dernières années à Marseille, et souvent portées par de grands groupes. Chez Splendido, rue de la République, Tripletta à Notre-Dame-du-Mont ou au Blum, au pied de l’Artplexe, on ne trouvera jamais cette fameuse pizza arménienne. Pas de “fromage”, de figatelli corse comme au camion non plus, mais plutôt une mozzarella AOP, souvent “fior di latte“, et une charcuterie sourcée directement en Italie. Des établissements populaires par leur succès indéniable, moins par les prix qu’ils pratiquent, qui peuvent dépasser les 20 euros pour une pizza.
“De la mauvaise bolognaise”
(Photo : Iliès Hagoug)
Chez Charly Pizza, fièrement tenu à Noailles par une famille italo-algérienne depuis 1962, comme ils l’affichent désormais, on a fait un pas supplémentaire dans la transformation du lahmacun, en ajoutant du fromage sur la pizza arménienne. On est là dans une pizza plus ouvrière, qui cale et qui calme, pour 10 euros. Une pâte assez épaisse, une garniture généreuse, qui permet de faire plaisir pour pas cher. Quiconque a organisé un événement à Marseille le sait, même si le temps des trois pizzas à 10 euros est révolu, lorsqu’on a un groupe à nourrir, c’est la première idée qui vient en tête.
Mais le fromage sur l’arménienne a de quoi faire s’étouffer certains : comme à la Bella Pizza, pas celle du cours Julien, de tradition plus napolitaine que marseillaise, mais celle du 12e arrondissement bien sûr. Le gérant, Gaby Tchakirian, est fier de ses recettes, emblème de ses origines. Il y a dans les spécialités la pizza arménienne, évidemment, mais aussi le basterma, le kashkaval ou le soudjouk, autant de produits partagés par les cultures que le peuple arménien a traversées. Mais chez actu.fr, il y a quelques années, il juge assez durement les autres arméniennes : “Ce qu’on trouve dans les pizzerias ici, c’est de la merde, excusez-moi. C’est de la bolognaise. De la mauvaise bolognaise !”
“C’est quand même une recette qu’on a héritée de nos ancêtres, alors c’est important de la garder intacte”, poursuit-il. Un siècle au maximum suffit-il à qualifier une pizza d’ancestrale ? Qu’importe : la pizza arménienne, symbole de la tradition marseillaise, n’est selon lui pas près de disparaître, puisque des clients viendraient chez lui exclusivement pour la déguster.
Commentaires
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“Il n’y a pas d’histoire plus marseillaise : une recette orientale, ramenée par des immigrés réfugiés arméniens, adaptée sur un plat italien, cuisinée par des Maghrébins.”
le meilleur de “c’est marseille, bébé” !!
et la “vraie” pizza arménienne, c’est une explosion de saveurs. il faut se méfier de l’addiction, la 4 fromages devient vite fade !!
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Entièrement ok! Mais l’article a oublié de parler de celle de Sassoun, avenue du 24 avril à Beaumont, la meilleure du monde!
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oui !!! alors sassoun, une adresse merveilleuse, j’ai la chance d’être voisin…..c’est l’ensemble de ses produits qui est exceptionnel !!
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Rien contre ces delices armeniennes mais Je trouve que C’est abusé appeller ces plats pizza.
La pizza c’est autre chose .
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Je trrouve que beaucoup de pizzaïoles exagèrent question mauvais goût, en mélangeant anchois et fromage (beurk) et pareil pour la pizza arménienne au fromage (sacrilège)
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Quelques tranches d’ananas sauvent et subliment les mélanges les plus improbables. Et de plus apportent la dose de vitamine C indispensable à notre organisme.
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berk !!
par contre APRES la pizza, un carpaccio d’ananas…mmmh !
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A noter, selon moi (cofondateur de Afrane (Amitiés franco-afghanes) il n’y a qu’un restaurant tenu par des Afghans (dont la cuisinière) et servant uniquement de l’authentique cuisine afghane, c’est “Chez Romain et Marion. De Kaboul à Marseille). 58, boulevard de la Libération.
Bien sincèrement.
Jack Chaboud
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merci !!!!
à essayer.
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Quand on était petits on partait de saint Mauront pour la Pointe Rouge se baigner et pour manger “une arménienne” c’était le rituel. On n’imaginait pas un instant manger autre chose, les pieds dans le sable. C’était la régalade !
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