Octobre 2019 – octobre 2020 : au Liban “j’espère qu’on ne refera pas les mêmes erreurs”

Chronique
par 15-38
le 24 Oct 2020
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15-38 c’est le centre géographique de cette mer qui rassemble et sépare. Avec cette chronique, Marsactu ouvre une fenêtre sur la Méditerranée en reprenant un article du dossier mensuel concocté par la rédaction internationale de 15-38 Méditerranée. Ce mois-ci, elle interroge une jeune libanaise engagée dans le soulèvement populaire qu'a connu le pays.

Octobre 2019 – octobre 2020 : au Liban “j’espère qu’on ne refera pas les mêmes erreurs”
Octobre 2019 – octobre 2020 : au Liban “j’espère qu’on ne refera pas les mêmes erreurs”

Octobre 2019 – octobre 2020 : au Liban “j’espère qu’on ne refera pas les mêmes erreurs”

Le 17 octobre 2019, plus d’un million de Libanais descendent dans la rue dans plusieurs villes du pays. Aujourd’hui, la colère n’a pas disparu mais la fatigue gagne la population face aux difficultés économiques quotidiennes. Mirna Mouka, a participé aux premières manifestations. Elle s’apprête aujourd’hui à lancer un média. Interview.

Mirna Mouka est Libanaise, elle est l’une des premières femmes à s’être installée sous une tente à la suite du 17 octobre 2019, premier jour de la Thawra. Un soulèvement populaire qui a vu plus d’un million de Libanais descendre dans la rue et demander la fin du régime politique. Sur la place des Martyrs en plein cœur de Beyrouth, sa tente se déplace et se consolide au fil des mois pour s’adapter aux intempéries et aux tentatives de destruction du camp de fortune. 15-38 l’avait rencontrée en février alors qu’elle espérait encore avec d’autres irréductibles faire pression sur les politiques de son pays. Le Covid est passé par là, le confinement aussi. Les tentes ont été démontées, mais la motivation reste, malgré la fatigue, l’absence de moyens, la déception parfois. Rentrée d’expatriation juste avant le début de la Thawra et elle a décidé de se réinstaller dans son pays.

Depuis l’été, l’action s’est déplacée au-delà de la rue. Avec un groupe de journalistes et activistes, elle travaille depuis plusieurs mois au lancement d’un média indépendant qui s’est fixé comme objectif d’ouvrir les esprits et de traiter des questions de société dans la suite du mouvement du 17 octobre 2019 : “mon travail c’est de contribuer au changement, à l’ouverture d’esprit, à l’éducation, à l’exposition du Liban tel qu’il est”, explique-t-elle par téléphone. Sur les réseaux sociaux le média se présente ainsi : “our mission is to expose realities”.

“L’indépendance c’est maintenant”

TV Seventeen sera lancée du 17 au 22 octobre 2020, de la date du début de la Thawra à la date anniversaire de l’indépendance du Liban. Une semaine symbolique pour dire aux Libanais et Libanaises : “l’indépendance c’est maintenant”.

Les projets de média se multiplient d’ailleurs en ce moment au Liban. La plupart sur internet. L’enjeu partagé est de reprendre la parole face aux médias traditionnels tous financés par des partis politiques ou de grandes fortunes libanaises et étrangères. TV Seventeen sera quant à elle disponible sur le câble et le satellite, un positionnement assumé car la télévision reste l’un des médias préférés des Libanais.

Mirna Mouka revient pour 15-38 sur l’année écoulée et le lancement à venir. Un projet un peu fou qui lui permet de se dire que ce n’est pas finit et que la mobilisation continue sous une autre forme car comme elle l’explique : “on ne peut pas répéter le film une deuxième fois”.

Statue des Martyrs sur la place au cœur du centre ville de Beyrouth – février 2020 (une statue qui a résisté à l’explosion).

Cet entretien ne rend pas la voix rauque de Mirna Mouka et son franc-parler qui se fout des formules lisses. Il expose un moment dans la vie d’un mouvement et d’une personne mobilisée pour un changement politique de profondeur.

15-38 – Dans quel état d’esprit êtes-vous à quelques jours de l’anniversaire du 17 octobre ? 

Mirna Mouka – On est en plein dans les essais aujourd’hui. Le 17 octobre, on veut commencer fort, mais pour le moment, on est tous super stressés ! D’autant que par ailleurs, le gouvernement libanais prend des décisions qui nous mettent en colère : impossible par exemple d’aller chez un garagiste ou de rentrer dans une pharmacie, d’ouvrir un compte en banque. Et bien sûr, un confinement a été décrété pour le 17 octobre. Mais on ne va pas rester chez nous !

J’espère un regain un an après tout en espérant qu’on ne refera pas les mêmes erreurs. J’ai l’impression que nous ne sommes pas prêts pour la révolte, un point de non-retour, pas prêts à assumer la violence. Par exemple si on veut attaquer le Parlement : on rentre et on marque le coup. De toute façon ils n’en ont rien à foutre. Nous aussi on a besoin de leur dire : allez vous faire foutre ! Mais pas de répéter le film une deuxième fois. Ce qui a changé c’est la création de nouveaux médias, de nouvelles voix pour le pays.

Quelle est l’ambition de votre projet de nouveau média ? 

On est nés de la Thawra, on est tous des énervés mais notre but n’est pas de répéter la même chose que les autres médias.

Nous voulons être un média du changement. Parler de sujets d’actualité qui ne sont pas traités, parler du Liban positif, de sujets de société de base comme de manger, des sexualités, de l’accès à une santé de base.

Sur la place des Martyrs à Beyrouth, où les tentes ont été installées suite au soulèvement du 17 octobre 2019.

Nous sommes une chaine de production locale avec des news, en arabe, en anglais et en français (peut être en espagnol aussi à l’avenir). Toutes ces langues car nous nous adressons à tous les Libanais du Liban et en dehors. Nous serons diffusés sur les bouquets de Arabsat et de Cable vision vers une audience arabe.

Pour le moment, le principal problème ce sont les financements. En faisant le choix de l’indépendance on dit non aux financements politiques ou de l’extérieur.

On va donc se lancer selon nos moyens en mettant en avant des artistes et leurs messages et aussi en faisant débattre et se rencontrer les acteurs de la Thawra qui portent des initiatives différentes et qui discutent finalement peu. “Mashrou el Watan”, “Le projet d’une Nation”, c’est une émission politique. En les invitant sur le plateau, on leur a fait prendre conscience de leurs lacunes, de leurs divisions. On leur a donné une leçon : nous sommes prêts à vous tendre le micro, mais êtes-vous prêts à le prendre ?

Comment garder la force de croire en un changement possible face à la situation du pays ; crise économique, politique, social, sanitaire, ect. ?

Nous sommes tous un peu fatigués. Ce n’est pas simple, on n’a pas d’argent, la pénurie de dollars est une réalité depuis plusieurs mois, bientôt celle de la livre libanaise s’annonce, tout comme le manque de certains médicaments.

S’il faut un momentum, il faut qu’il soit vrai. Que ce soit gros. Sinon ce n’est pas la peine. On n’est pas assez forts et divisés. Le but de TV Seventeen c’est qu’au-delà de la Thawra, on va faire tomber le régime ; mon travail c’est de contribuer au changement, à l’ouverture d’esprit, à l’éducation, à l’exposition du Liban tel qu’il est.

Je ne referai plus tout ce que j’ai fait au début de la mobilisation, même si je ne le regrette pas. Mais chaque chose doit être faite au moment opportun. Aujourd’hui, je veux parler au plus grand nombre.

Rédigé par : Coline Charbonnier

Article initialement publié le 16/10/2020 sur le site de 15-38 Méditerranée.

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