[Nyctalope sur le Vieux-Port] Dock, suite et fin

Chronique
le 14 Déc 2024
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Pour Marsactu, le journaliste Iliès Hagoug raconte la nuit marseillaise, ses feux d'artifices et ses flops, ses nouveautés et ses traditions millénaires. Ce mois-ci, il rend hommage au Dock des Suds, lieux mythique des nuits marseillaises qui doit fermer ses portes fin décembre.

crédit photo flikr @So_P licence creative commons by-nd
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La gauche est arrivée en tête des élections législatives suite à une dissolution pour le moins surprenante. Notre-Dame de Paris fait la une des journaux. Les cafés marseillais débattent de ces bobos qui profitent du TGV pour venir s’installer et faire augmenter les prix, dans une région politiquement divisée, dans une ville qui change, mais qui s’affiche de plus en plus sur le grand écran. La France est championne du monde. Parce que oui, nous parlons de l’année 1998. Même si la fausse nostalgie est parfois facile, elle fait aussi du bien, et on peut tous s’accorder un moment pour se faire croire que l’année 2024 est le remake difforme de cette année sublime.

Preuve tangible de cette théorie bancale : c’est à la fin du mois de décembre 2024 que le Dock des Suds fermera ses portes, vingt-six ans après son ouverture en 1998. Sous l’impulsion du collectif Latinissimo, qui portait déjà la Fiesta des Suds depuis quelques années, les pouvoirs publics s’étaient laissés séduire par une idée pour le moins étrange : pendant qu’on construit à tout-va, si vous ne savez pas quoi faire du grand entrepôt de sucre abandonné en marge du centre-ville, pourquoi ne pas laisser les Marseillais s’y amuser ?

Mais la théorie nostalgique commence à montrer de sérieuses failles en passant à la loupe la vie festive d’alors. Tous les témoins s’accordent sur un point : à Marseille, à la fin des années 90, si on n’est pas dans la promotion immobilière, dans la politique, ou les deux, on a une certaine tendance à s’ennuyer. En particulier une fois le soleil couché. Un paradoxe pour une ville qui revendique son bordel ambiant. Même IAM, dans la chanson Marseille la nuit, sortie bien sûr en 98, constate à travers un récit d’Akhenaton que ce n’est pas très animé : “Un verre de thé aux pignons dans la main / Je compte les minutes et je m’emmerde.”

Mais c’est bien à la faveur du désordre que Bernard Aubert, figure de proue de Latinissimo, arrive à faire grandir l’idée. Rapidement, le Dock des Suds est adopté par Marseille, par plusieurs générations, plusieurs types de Marseillais. Quelques milliers de mètres carrés, dans un enchevêtrement de salles et d’extérieurs qui, comme Marseille, ont été organisés au fur et à mesure des extensions et des besoins. Les groupes du cru s’y succèdent, dans tous les genres, de Massilia à Chinese Man, et y croisent les artistes de renommée internationale venus à la faveur d’un festival ou pour une étape de tournée.

Le lieu a aussi su évoluer : l’identité musicale du Dock sera toujours fortement associée à celle de la Fiesta, mais c’est une des rares salles qui n’a pas sourcillé à l’arrivée de la vague de musique électronique qui secoue Marseille depuis plus d’une dizaine d’années. Les soirées toute la nuit, les afters interminables le dimanche, c’était pour beaucoup un truc de sauvages, à faire dans les terrains toxiques près de Fos, ou au mieux vers un bunker près des Calanques. Jusqu’à être acceptées par le Dock, qui remplira tous types de jauges sur ces événements et prouvera un futur pour cette dynamique.

L’annonce ne devrait pas être une surprise : le lieu a toujours existé à la faveur d’un accord précaire, d’un bail de bonne ou de mauvaise entente. Le revers de la médaille de l’infiltration dans la pagaille marseillaise, en somme. Mais c’est tout de même un mini-choc, car tout au long de son histoire, le Dock a été associé à une possible fermeture, jusqu’à finir par nous convaincre qu’il nous enterrerait tous. Même lorsque la foudre le frappe, littéralement, et provoque un incendie au milieu des années 2000, le lieu arrive à renégocier, rouvrir. Cette annonce de fermeture l’année dernière, pour laisser place à une cité du cinéma, on n’y croyait donc pas totalement à Marseille. Et lorsque ce projet se casse la gueule à son tour, on finit par s’attendre à ce que le Dock survive à ça aussi. Las, la cité n’ouvrira pas, mais le lieu doit quand même fermer.

En 2016, La Nuit Magazine — dont j’étais rédacteur en chef — faisait un point sur la possible fermeture du lieu. Beaucoup d’interrogations, et une certaine peur du vide, à l’idée de la disparition du Dock :

Pourquoi Euroméditerranée ne communique pas là-dessus ? Et si le bail n’est pas renouvelé, le Dock va-t-il être obligé de déménager ? Et comment faire si aucun lieu ne correspond à ce véritable bastion des nuits marseillaises de 8 000 mètres carrés ? Car, rappelons-le, le Dock des Suds, c’est l’endroit où l’on danse toute la nuit sur de la techno ou du reggae, l’endroit où l’on boit un verre le mardi après-midi après le travail, l’endroit où l’on vient en after le dimanche, l’endroit qui accueille aussi bien 15 000 personnes que 200. Qui n’est jamais allé dans ce lieu ? Qui n’a pas d’innombrables souvenirs alcoolisés là-bas ? Que l’on soit amateur de musiques électroniques ou de musiques du monde, on y a déjà tous au moins une fois mis les pieds, ne serait-ce que par simple curiosité. Un autre lieu arriverait-il à faire de même, à défaut de faire mieux ? Sera-t-il assez spacieux et aussi accessible en transports en commun ?

Bernard Aubert négociait alors une pérennisation du lieu, dont le bail prenait fin, face à l’ogre Euromed qui avait l’intention de construire immeubles d’habitation neufs et bureaux, jugés incompatibles. Il n’a pas gagné une pérennisation, mais bien quelques années. Il savait en effet naviguer entre plusieurs eaux, à l’image de Babel, second événement iconique de Latinissimo, un hybride moitié salon professionnel moitié festival.

Cette fois-ci, il semble que ce soit la “bonne” pour le Dock. Et cela inquiète : sur les réseaux sociaux, certains y voient un symbole. Cette semaine s’est formé le collectif Où Va La Nuit ?, accompagné sur Instagram par plusieurs milliers de likes. Le collectif queer marseillais Error résume sans concession : “C’est simple : la fermeture du Dock met enfin l’écosystème nocturne marseillais face à une réalité que beaucoup de personnes et de gros collectifs ayant l’habitude de tourner dans les salles de la ville tentaient de ne pas voir : Marseille de nuit est en train de crever.” En accusant la ville de céder sa singularité, ou pire, de l’exploiter en pointant du doigt l’utilisation de l’image inclusive de la ville comme argument de vente sans réelle conséquence ou réflexion.

Bernard Aubert est décédé en 2022, à 72 ans. Sa mort a laissé beaucoup de gens sous le choc, à Marseille et bien au-delà. Dans l’article de La Nuit qui l’opposait à Euromed, il prêchait déjà pour défendre la nuit marseillaise, et pas une autre : “Le problème à Marseille, c’est qu’on a l’impression que les élites sont complexées car elles veulent tout, comme dans les autres villes. Dire que Marseille, c’est le nouveau Manhattan ou le nouveau Barcelone, c’est une erreur. Comparer le Silo à l’Olympia aussi. Marseille a sa propre identité, il faut la développer, tenter de nouveaux trucs, créer des événements atypiques propres à la ville, car on ne sera jamais Manhattan ou Barcelone. Quand on va faire la fête à Berlin ou à Amsterdam, on sait que l’on va se retrouver dans des soirées qui n’existent nulle part ailleurs. Marseille a besoin de ça.” Aujourd’hui peut-être plus que jamais.

Commentaires

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  1. Hde mars Hde mars

    Dommage que quelques erreur dans cet article qi fait la part belle à latinissimo en face de euromed ce qui est une vision simpliste du problème.
    Sinon. Bernard aubert est mort en 2023 et le dock est dans la sucrière depuis 2006 avant c était le bâtiment en face qui était un ancien stock militaire

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  2. petitvelo petitvelo

    Il n’y a pas de défrichage prévu par Euromed 2 ou 3 plus au nord ?

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