[Nyctalope sur le Vieux-Port] À la recherche du jazz disparu

Chronique
le 3 Sep 2022
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La vie nocturne, à Marseille, est rarement un feu d'artifices mais plutôt un hasard de rencontres, de rendez-vous d'initiés et parfois de fêtes sauvages improvisées. Marsactu a confié au journaliste Iliès Hagoug le soin de l'arpenter et de la raconter. Cette fois-ci, il part à la recherche du jazz disparu.

[Nyctalope sur le Vieux-Port] À la recherche du jazz disparu
[Nyctalope sur le Vieux-Port] À la recherche du jazz disparu

[Nyctalope sur le Vieux-Port] À la recherche du jazz disparu

Un jeudi soir d’été classique sur la Plaine : les notes de musique se mêlent aux cris, au bruit des verres qui trinquent et aux roulettes de skate. Ce jeudi-là en revanche, des notes qui se font de plus en plus rare à Marseille dominent en hauteur le savant capharnaüm. Un batteur à la virtuosité subtile, un bassiste qui se balade sur ses cinq cordes sans frettes, et un clavier tout en onctuosité ; un dernier indice pompeux qui devrait parler aux amateurs.

Le Bristol Street Music, trio de jazz, s’est installé au milieu de la place pour une impro presque sans fin. Naturellement, lorsqu’un saxophoniste entend ça, il se doit de courir chez lui chercher son instrument, pour s’installer au milieu du cercle et prendre place dans la discussion. Pareil pour le clarinettiste du coin, les enfants qui s’amusent avec les baguettes du batteur, l’habituée de la Plaine un peu trop alcoolisée qui joue au chef d’orchestre.

Jusqu’à l’Otamatone, savant instrument japonais, qui est une croche qui hurle un poil trop aigu. On a donc atteint le point de rupture pour les jazzeux : le public réclame un morceau de plus, le clavier sonde ses collègues, et la réponse est brève : “Okay, but just the three of us”.

Marseille n’est pas synonyme de jazz…

Si la Plaine a son charme, ses limites ont été trop vite trouvées au goût du trio de Londres. Et si le jazz doit venir de si loin, c’est qu’il est dans ce quartier plutôt synonyme de triple tacos à quatre heures du matin que d’une musique face à laquelle on montre son approbation par un simple hochement de la tête. En dehors du festival Jazz des cinq continents, où celui qui n’a pas ses invitations d’une quelconque collectivité locale n’est simplement pas à Marseille depuis assez longtemps, difficile de dire que la ville est une ville de jazz. Il y a bien un projet de cave à jazz sous l’enseigne de l’ancien Claridge sur la Canebière mais des fissures en façade et la conservation des fenêtres du 18e siècle ont ralenti l’opération.

Symbole de ce désintérêt marseillais, une rue plus loin, le Jam, club de jazz assez éclectique, un peu trop pour les détracteurs, a fermé ses portes il y a un peu plus d’un an. Et a été remplacé par une alternative au jazz qu’il soit burger ou musique avec une enseigne bien marseillaise : la Pizza énervée (sic). Enseigne qui comme son prédécesseur ne fait pas l’unanimité, particulièrement avant les heures avancées de la nuit.

Reste un lieu symbolique du jazz marseillais, c’est le Pelle-Mêle. Sur la place aux huiles, le club est encore fièrement dans le même décor. Une cave intimiste, aux plafonds bas accentués par la mezzanine, une lumière tamisée et une scène où les musiciens doivent jouer collés les uns aux autres.

Karaoké et french touch au Pelle-Mêle

C’est ainsi que l’avait imaginé Jean Pelle, nom synonyme du jazz dans la ville et fondateur du lieu. Mais un samedi soir d’été, le lieu est vide. Pas partout, puisqu’un concert vient de finir sur la terrasse : Bald & Brother, habitués du lieu depuis quelques années, viennent de finir et s’apprêtent à remballer. L’un des deux frères musiciens, le chauve pour être précis, s’est régalé : “On a l’habitude de faire les karaokés au Baletti, les soirées au Sport Beach, on était dans une ambiance comme ça, à faire chanter les gens”.

Des lieux qui riment autant avec jazz que Jul avec métal, autant que techno avec raï. La playlist qui tourne sur la terrasse tranche tout autant : sur une ambiance French Touch, elle est remplie et enjaillée, quand, dans un contraste saisissant, l’intérieur est complètement vide.

C’est l’été, et le club qui aurait lancé, selon la légende, Petrucciani ressemble plus au Bar du Marché qu’à un Fritzel’s. “Titi”, qui a repris il y a quelques années, est un trentenaire restaurateur de métier et de famille. Il ne voit pas ça comme la fin : “L’hiver il y a deux concerts par mois. Mais la clientèle jazz ne suit pas, on a dû s’adapter”.

Malgré l’affaire emblématique qu’il dirige et le t-shirt Birth of Cool qu’il porte, le jazz n’est pas sa culture : “Je suis tombé amoureux du lieu, et mon frère travaillait avec l’ancienne direction, qui voulait partir, donc on a repris en famille. On n’a pas changé la déco, le lieu est encore dans son jus. Mais je vois ça comme un lieu particulièrement chaleureux, familial. J’ai envie de dire à la clientèle jazz : venez, installez-vous, il y a des concerts jazz deux fois par mois. Mais continuez à venir. La clientèle jazz est trop dure, même quand elle vient. Et là, j’ai une affaire qui marche bien avec des gens heureux. Je mets aussi ma patte”.

Dur de lui donner tort : les consommations de cocktails, tapas, et des clients heureux qui parlent anglais, français et marseillais, dans cet ordre de fréquence, ont envahi les tables. Le jazz, lui, viendra plutôt de Londres.

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Commentaires

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  1. Nicolas Georges Nicolas Georges

    Le Pelle-Mêle était un endroit fascinant, j’en garde des souvenirs très chers mais je dirais que l’interdiction de fumer dans les bars lui a fait du mal, il a perdu une part non-négligeable de son ambiance et ça n’a plus jamais été pareil. On verra si la cave de la Canebière reconstruira quelque chose… si elle ouvre un jour.

    Le festival JD5C est un évènement formidable mais si cher et de plus en plus pop, trop à mon goût sans doute pour assurer le succès de sa billetterie.

    Bref, je dois sans doute faire partie de cette “clientèle jazz trop dure”. 😉

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  2. barbapapa barbapapa

    Un nouveau lieu avec de belles programmations jazz (pas que) aux 5 Avenues le Club 27 : https://club27.fr/

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