[Nyctaclope sur le Vieux Port] Les boules de nuit
La vie nocturne, à Marseille, est rarement un feu d'artifices mais plutôt un hasard de rencontres. Marsactu a confié au journaliste Iliès Hagoug le soin de l'arpenter et de la raconter. Cette fois, il arpente les boulodromes à la nuit tombée.
[Nyctaclope sur le Vieux Port] Les boules de nuit
La pétanque est indissociable d’une ville de Marseille, ou du moins d’une cité phocéenne vue sous un certain angle. Lorsqu’on parle de jouer aux boules, pour ceux qui ne prennent pas ça au sérieux en tout cas, le champ lexical qui suit est souvent celui de l’apéro méridional. Apéritif anisé, bières – sur une bande son de cigale et accent exagéré qui demande si on tire ou on pointe – sont des fers de lance de la culture populaire marseillaise autant que la Canebière.
Au pied de la colline de la Bonne Mère, sur les hauteurs qui séparent Vauban et le Roucas Blanc, la scène est éminemment marseillaise. Il est 20 heures, et les habitués diurnes du terrain le quittent sans gras fracas, mais avec l’œil bien tourné vers une petite équipe de cinq personnes. Arrivés en trottinette électrique, ils sont pour la plupart habillés en shorts, un accoutrement peu adapté à un printemps dont les températures nocturnes trahissent régulièrement les promesses de l’après-midi.
Parisien
“Oh fraté, comment tu vas ?”, lance l’un d’entre eux à l’un de ses amis qui le rejoint. Paradoxalement, l’utilisation peu crédible de ce mot sera la goutte d’eau marseillaise qui fait déborder le vase. D’où vient cette équipe de joueurs de boules, qui n’a pas encore ouvert sa triplette une heure après son arrivée tardive ? La vérité nécessitera un travail d’investigation appuyé signature de Marsactu, au vu des premières réponses qui rappellent un représentant politique qui ne veut pas vraiment répondre à la question posée : “Je suis marseillais, ben oui, j’habite ici quoi”.
Je suis content moi que des gens viennent d’ailleurs. Ça rend notre ville plus attractive.
David
Résultat des courses, un sur cinq est du coin, ou du moins habite ici depuis plus de 4 ans. Rien de mal à ça, se sent obligé de souligner David, le local de l’étape : “Je suis content, moi, que des gens viennent d’ailleurs. Ça rend notre ville plus attractive”. Une réflexion qui ouvre de nombreux tiroirs, que l’un d’entre eux veut vite refermer : “Je suis venu jouer à la pétanque, passer un bon moment, pas justifier mon statut de Parisien”. 21 heures, le gros mot est lâché, les boules sont sorties plus d’une heure et demie après l’arrivée du groupe.
Le ringard, c’est cool
Lorsque le ton s’allège un peu, et que la discussion s’installe notamment avec ceux qui ne toucheront pas une boule de la soirée, on comprend bien qu’on est venus ici toucher une partie de l’expérience marseillaise, plutôt que d’améliorer son carreau pointé. Comme beaucoup d’autres choses de cette expérience, ce qui était perçu comme ringard il y a quelques années est devenu recherché. Et s’il y a un projet qui fera toujours l’unanimité en France, au-delà des frontières marseillaises, c’est une nouvelle excuse pour boire un coup. Plus tard, la lumière est limitée, on a perdu le fil du score en cours et le stock de bières s’est épuisé. Et puis, le vent met un coup de froid certain. “Bon, on va où ?” Aurélie, la seule femme du groupe, a ses habitudes. Le Barta vers la Pointe Rouge, ou une innombrable série d’adresses entre l’abbaye Saint-Victor et la rue Sainte. “C’est trop bien qu’il y ait ces adresses à Marseille, ça bouge vraiment”.
Escalade nocturne
Changement de décor, de quartier, mais pas de rafraîchissement un autre soir. Ricard pré-mélangé dans une bouteille de Cristalline, bières bouteilles bon marché et gobelets en plastique, toujours à portée de main. Le boulodrome les Trois Mages, mieux connu comme le boulodrome Carli, est un havre plus calme entre le cours Julien et la Plaine. Soit quelque chose de précieux.
À 22 heures, sous les lumières du conservatoire voisin, les dernières parties doivent se terminer. Aurélia, membre de l’association gestionnaire, est près de la grille de l’entrée clés et chaîne en main. L’heure c’est l’heure. “Pendant deux ans, avant qu’on monte une association pour s’en occuper, le terrain était laissé à l’abandon. Il y avait même un canapé qui est resté en plein milieu”. La ligne entre le sport d’adresse et le spot calme pour passer une soirée est donc fine. Assez pour qu’Aurélia doive rouvrir les grilles : deux jeunes hommes, posés un peu plus haut, n’avaient pas réalisé que le boulodrome fermait.
Le seul fait qu’on doive escalader pour y accéder, ça enlève pas mal de soucis.
Aurélia
Mais si entre joueurs, on se souhaite bonne soirée, qu’on prend rendez-vous pour un verre ou pour une prochaine partie, la fermeture officielle du boulodrome ne veut pas dire qu’il arrête de vivre. Aurélia le sait, et elle ne s’en plaint pas : “Le seul fait qu’on doive escalader pour y accéder, ça enlève pas mal de soucis. On sait très bien qu’il y a des gens qui viennent, mais ça ne pose aucun problème”. Un des joueurs qui s’en va avec elle, le dit aussi dans un sourire : “Moi même, je le faisais plus jeune.”
Flamme des briquets
Quelques heures plus tard, ça ne manque pas. D’un côté, une partie de boules d’un couple éméché, et dans un des coins les plus retranchés, une enceinte qui lâche des couplets de rap marseillais, de IAM et de la Fonky family, ou des “collègues”, rappeurs du quartier qui viennent parfois à Carli y tourner un clip. Avec pour seul éclairage la flamme des briquets, on imagine mal une partie se dérouler.
Dans ce petit groupe de trois hommes, on est venus dans ce qu’on appelle “le spot” pour se poser entre amis, comme on a l’habitude de le faire depuis toujours. “Ça me rappelle quand j’étais petit, qu’on devait escalader pour arriver au terrain de foot. Maintenant, je viens pour le calme, pour pas qu’on me rende fou”. On fait plus rouler les potes que les boules, mais on apprécie le jeu : “Des fois, je viens la journée, et je joue avec les gens ou je regarde la partie. C’est bonne ambiance la pétanque, on peut venir comme on est. Tranquille”.
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