Michel Samson vous présente
Chronique du Palais

Noms propres… à quoi ?

Chronique
le 31 Mai 2016
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Noms propres… à quoi ?
Noms propres… à quoi ?

Noms propres… à quoi ?


Depuis des mois, Michel Samson se rend tous les jours au Palais. L’ancien correspondant du Monde, journaliste et écrivain, y enquête sur la justice au quotidien, sur ses réalités multiples et les images qu’elle renvoie. Cette semaine, il s’interroge sur la justice confrontée à la filiation…

Deux jeunes hommes comparaissent, ils ont une vingtaine d’années. Trois policiers sont partie civile, deux d’entre eux sont en uniforme, gilet pare-balles, “Unité cynophile” écrit en gros dans le dos, tenue rare dans ces audiences judiciaires. L’un des jeunes hommes, bouc, mal rasé comme c’est la mode, semble un peu réservé ; l’autre plus mince, cheveux bruns quelques mèches blondies, paraît un peu plus sûr de lui. Ils se sont fait arrêter vers quatre heures et demie du matin il y a quelques temps dans le centre de la ville, venant de l’Opéra, rue des Tyrans. Le conducteur qui a grillé deux feux rouges rue Sainte, s’arrête pour poser son ami qui habite là. Les policiers de la brigade canine, qui sont “en mission de sécurisation dans le quartier de l’Opéra”, les ont repérés et suivis et arrivent pour les contrôler. Le passager qui est descendu de la voiture leur remet immédiatement un petit pochon de cannabis.

Les policiers – c’est à partir de là que l’exactitude des faits devient difficile à saisir – demandent aux autres occupants de sortir de la voiture. “Ils étaient agressifs” expliquent les jeunes gens, “ce n’est pas vrai” soutiennent les policiers. Les chiens muselés, qui sont “des officiers de police à part entière”, explique un gardien cynophile au tribunal, sont tenus en laisse. Mais les mis en examen se seraient mal comportés devant les bêtes. L’un aurait même “bombé le torse”. J’apprends que c’est dangereux, les bêtes étant très protectrices de celui qui les a dressées et les tient en laisse : un des chiens tape alors avec ses pattes et la muselière le conducteur sorti de la voiture.

Certificats médicaux à l’appui, on comprend bien qu’il y a eu des accrochages, des coups de poing. Que le jeune conducteur, dont la lèvre a été recousue, a saigné, et que son vis-à-vis en uniforme a reçu un coup de poing, provoquant une “entorse du doigt gauche sans gravité”. Le tout finit au poste, car aux contraventions reconnues, feux rouges brûlés, pochon de cannabis et 0,33 grammes d’alcool dans le sang, s’ajoute la “rébellion” voire la “menace de mort”. Une affaire ordinaire dont la procureure reprend le récit, évidemment très accusateur – et très long : elle rappelle qu’une exécution à la kalachnikov a eu lieu dans les parages il y a quelques mois, elle noircit son portrait des jeunes gens, qui réagissent “de manière excitée, provocante”. Refusant ce récit marqué de tant de drames les défenseurs/seuses minimisent les accrochages, parlent “des gamins qui résistent à l’interpellation”.

“Toute-puissance”

L’affaire est banale, ordinaire au tribunal de l’après-midi, y compris le ton des uns et des autres, combattif pour le parquet, minorant les choses pour les défenseurs. Mais voilà, l’un des prévenus est le fils d’une personnalité politique importante. Le jeune homme aurait fait état de son statut, et cela correspond à ce que la procureure a désigné comme son “comportement de toute puissance” : il aurait fait entendre aux policiers qu’on ne pouvait s’en prendre à lui. En début d’audience le président a insisté :

Pour le tribunal, que le prévenu soit le fils de x ou de y n’a aucune importance, ce n’est ni un élément à charge ni à décharge.

Il juge quelqu’un qui aurait commis un délit, quel qu’il soit. On ne saura jamais vraiment, durant cette audience longue de deux heures, qui a prononcé la phrase, énoncé le nom connu. Le fils considéré, qui le nie ? Le non prévenu ? L’autre passager mis en examen ? De façon vague, précise, menaçante ? Quelque chose a été dit, certainement. D’après ce que j’ai cru comprendre, ce serait plutôt l’autre passager, l’absent, qui aurait dit quelque chose comme ça, faisant ainsi allusion au pouvoir de l’ascendant d’un des mis en examen. Pouvoir d’ailleurs inexistant, la police nationale à qui appartiennent les policiers ne dépendant en rien des pouvoirs politiques locaux. On ne saura pas non plus à quel moment de l’incident cela s’est produit. Avant la courte échauffourée, après, pendant ?

Le président du tribunal souligne encore la non-importance de la filiation, le jugement qu’il délivrera le 14 juin n’en tiendra aucun compte.

Vous qui lisez ce compte-rendu savez probablement de quelle personnalité le fils a commis ces contraventions et la “rébellion” évoquées lors de cette audience. Vous avez probablement lu le nom du prévenu, donc le nom de son ascendant connu, dans ce journal en ligne ou ailleurs. Je ne vous l’aurais pas dit. Puisque, justement, je ne sais toujours pas ce qui a été dit, par qui, et dans quels termes. Et puis en quoi cela regarde-t-il la justice ?

Pourquoi, nous, les journalistes, évoquerions-nous ce nom ? Cette désignation a peut-être une influence sur la façon dont nous observons les faits et dires de ces acteurs politiques. Les propos de leur(s) enfant(s) feraient-ils partie de leurs valeurs ? De leur façon de gérer la cité ? Cela influerait sur notre savoir, nos analyses ? Notre façon de voter ?

Je ne cite pas le nom parce que je ne sais ni ce qui a été dit, ni qui l’a dit. Alors pourquoi raconter cette affaire ? Pour essayer de comprendre les rapports parfois étranges entre la justice et la presse. Et la réputation…

Commentaires

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  1. julijo julijo

    Quelques idées :
    la parenté est comme un manteau d’épines
    Le secret de la réussite d’un enfant, est de ne pas être avec ses parents
    Il n’y a pas d’enfants sots, il n’y a que de sots parents.

    Ou encore :
    Tel père tel fils.
    La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre.

    et ma préférée :
    Les enfants n’obéissent aux parents que lorsqu’ils voient les parents obéir à la règle.

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  2. Renardsauvage Renardsauvage

    Vous parlez sans le nommer et c’est très fin, car vous insistez sans sembler le vouloir sur l’importance d’être le fils de. Bien sûr que dans la tête de ce jeune adulte, la fonction de son ascendant le rend intouchable. Depuis sa petite enfance, il est reconnu comme tel. Sa scolarité, école de Provence, je devine, puis certainement droit, sciences po ou école de commerce. Il a toujours été favorisé, sans qu’il le demande parce que c’est ainsi, les puissants font peur et attirent ceux qui veulent bénéficier d’une miette de leur pouvoir, ils ont une cour qui les corrompt malgré eux. C’est un fils à papa et maman qui certainement élevé par des bonnes n’a bénéficié que d’une éducation à la va-vite. Son ego est là mais la vie est la meilleure éducatrice. Il paiera pour ce qu’il a fait et c’est peut être une chance pour lui de connaître les limites que ses parents ne lui ont pas suffisamment inculqué.

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  3. JL41 JL41

    C’est en faire beaucoup autour de cette histoire. On a maintenant avec le plaidoyer de Michel Samson, deux versions de cette affaire. Elle paraissait simple, surtout à ceux qui portent encore cette morale populaire qu’il s’agit de personnages qui doivent être exemplaires. Maintenant nous avons ce que la pesse nous a appris en le simplifiant peut-être : « Lors d’un banal contrôle le 31 janvier dernier, rue des Tyrans (7è), il avait lancé aux policiers : « Tu ne sais pas qui je suis. Tu sais pas qui est ma mère. Tu vas pas rester flic longtemps ! » Et nous avons le récit de Michel Samson où ce ne serait pas le « fils de » qui aurait dit cela ?
    Ou la presse, Marsactu compris, a inventé la relation de cette affaire, ou Michel Samson se livre à un plaidoyer servile qui le fera bien voir du côté de ce petit monde politique dont les turpitudes ne doivent pas être mises sur la place publique ?

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  4. Regarder2016 Regarder2016

    Ne pas en parler,proces banal s’il en est, eut été mieux encore!

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