[Marseille secret] Les berges de Saint-Marcel ou les derniers feux des grandes civilisations
Guillaume Origoni, photographe et journaliste, raconte des pans de Marseille qui ne se donnent pas à voir au premier regard. Explorateur de l'urbain, il aime se glisser dans les lieux abandonnés, cachés, voire oubliés. Cette semaine, il nous emmène nous promener le long des berges de l'Huveaune, à Saint-Marcel.
Les étranges bouches noires qui peuplent le bord de l’Huveaune. (Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)
Vous connaissez mon attrait pour les territoires industriels. Chronique après chronique, je vous y ai plusieurs fois conviés. Que ce soit dans la steppe de la Crau ou dans les collines de Gardanne, vous avez vu par mes yeux (et par les vôtres) les vestiges pharaoniques de l’industrie lourde. Les derniers feux des grandes civilisations n’ont désormais plus de secrets pour vous.
Mais Marseille et sa région fourmillaient aussi d’usines et d’ateliers de taille plus réduite. Ce sont surtout les extrémités de la ville qui abritent ces quartiers industriels : l’Estaque, Saint-Antoine, mais aussi Saint-Loup et Saint-Marcel. C’est donc naturellement que l’on y trouve toujours ces petits quartiers ouvriers qui nous semblent dénués d’attrait et d’intérêt, dont les tunnels carrelés témoignent de l’activité passée.
Pourtant, en s’enfonçant dans les ruelles de Saint-Marcel, on découvre un site qui a conservé une configuration urbaine et sociale en voie de disparition. Coincées entre les grands axes routiers et une circulation dont la densité n’a d’équivalent que l’anarchie, ces rues se sont peu à peu dérobées à nos regards. Certes, elles n’inspirent pas la prospérité, mais elles cachent ce que Marseille cache le mieux : ses cours d’eau et son histoire.
Car à Saint-Marcel, on peut circuler entre un pont romain qui, depuis 2 073 ans, enjambe l’Huveaune et ses rives désertées, laissées à l’abandon. Un véritable quartier sur l’eau qui, pour le moment, ressemble plus à un dépotoir qu’à un chemin touristique. Pourtant, même dans cet état, c’est plutôt beau. Vous ne me croyez pas ? Expliquez-moi alors pourquoi tant de garis sous stéroïdes y ont élu domicile ?
Sous la douce lumière d’automne, le pont romain semble toujours praticable — même si, dans les faits, il est, depuis début 2024, en arrêté de péril (Marsactu en avait parlé ici) — et l’Huveaune coule avec obéissance dans le canal qui lui est assigné. Ce paysage bucolique se mêle à l’ambiance d’un roman de Zola. Un air indéfinissable émane des lieux, entre quiétude, déliquescence, nature paisible et urbanisme glouton.
Vu des berges, on imagine aisément que cette portion de Saint-Marcel pourrait être l’un des plus beaux quartiers de Marseille. Un tel emplacement, à Paris, aurait déjà vu éclore des bars, des restaurants éphémères, dans un espace totalement assaini au milieu de façades refaites à neuf sans linge aux fenêtres. Ça pourrait-être très bien, d’ailleurs. Mais nous sommes à Marseille et tout ce vilain peuple se sert de cet endroit comme d’une décharge. Ici, une voiture d’enfant en plastique jaune immobilisée par l’arrachement d’une roue ; là, un arbre dont chaque branche est pourvue d’un spectre noir en tissu ou en PVC. La nuit, il doit ressembler à une sorcière sortie des enfers ou un golem porteur de toutes les ignominies de feu les usines locales.
Je ne croise jamais personne ici, ce qui en fait plus un lieu déserté qu’un lieu secret, mais y a-t-il réellement une différence ?
Ce quartier au bord de l’eau mérite sûrement mieux. Mais nul doute également que ce mieux s’accompagnerait d’une visibilité nouvelle, dont le corollaire serait l’invisibilité des habitants, puis leur disparition. Pour apprécier ce Marseille-là, il faut comprendre que la force de notre ville s’incarne dans la promesse implicite qui a été faite à toutes celles et ceux qui sont venus s’y établir. Ici, les pauvres et les déguns sont chez eux. Ce n’est pas toujours beau, mais c’est toujours mieux que le contraire.
Et puis il faut dire que lorsque ces espaces au bord des berges de l’Huveaune seront rendus à ceux qui en feront quelque chose de mieux, on verra disparaître les trésors qui y pullulent, comme ces deux carcasses de Mercedes millésimes 60 et 70, elles aussi symboles des derniers feux des grandes civilisations. Cher lecteur, tu le sais désormais, car c’est ma vingtième chronique pour Marsactu : j’ai carrément un côté vieux con ! Si, si, je t’assure ! La preuve ? Tu veux une preuve ? Eh bien la voilà : je préfère de loin qu’un quartier soit peuplé par des gens qui savent restaurer une Mercedes coupée de 64 que par d’autres qui excellent dans l’art de préparer de la street food en circuit court. Et crois-moi : il n’y a pas photo ! En attendant, si tu vas te promener dans le coin, fais gaffe, ça glisse sa mère sur ces berges.
Commentaires
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Je ne suis ni carcasse de Mercedes ni street food, j’aimerais bien qu’il puisse exister autre chose, un entre deux qui soit plaisant pour tous 😉
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Réussir à retaper un quartier sans le gentrifier… alias la quadrature du cercle en urbanisme. Ce serait cool, mais malheureusement (et avec tout l’amour que j’ai pour Marsactu) quand un journal plutôt lu par des urbains de gauche commence à parler d’un quartier, la streetfood locale va très probablement gagner, sans trop se poser la question d’où vont aller ceux qui n’ont pas les moyens
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La piste cyclable et piétonne est toujours prévue, moi je rêve de descendre en pagayant
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Certes, une certaine authenticité… mais cela reste glauque, pollué, humide, infesté de moustiques, et… inondable. Les habitants du coin ne sont pas protégés des inondations de type Valencia qui vont se multiplier chez nous aussi.
Alors oui il y aurait des choses à faire. Nettoyer, aménager, protéger, tout en respectant l’environnement et les habitants actuels, c’est possible. On cherche juste les acteurs politiques compétents et ambitieux (au bon sens du terme).
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Et ils vidangent la Mercedes directement dans l’Huveaune! Blague à part, très bel endroit. Quelques vilaines bâtisses à raser, et l’on dispose d’une grande place pour faire du maraîchage. Hé oui, les Mercedes ne passent pas le pont romain.
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A Saint Marcel bientôt en bordure de l’Huveaune, un hôtel de logistique urbaine qui pourra accueillir plus de 160 camions.
J’organise le 10 décembre une réunion publique pour s’opposer à ce projet et faire de ce terrain un espace de détente et de loisirs.
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Beau reportage merci mais cela semble aussi un quartier à risque d’inondation. Quelque chose est il prévu pour minimiser ce risque ? Et pour consolider le pont romain?
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