Guillaume Origoni vous présente
Marseille secret

[Marseille secret] La colline a des yeux

Chronique
le 8 Juin 2024
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Guillaume Origoni, photographe et journaliste, raconte des pans de Marseille qui ne se donnent pas à voir au premier regard. Explorateur de l'urbain, il aime se glisser dans les lieux abandonnés, cachés, voire oubliés. Cette semaine, il part à la découverte de la fameuse grotte du facteur, dans le massif de l'Étoile.

Photo : Guillaume Origoni.
Photo : Guillaume Origoni.

Photo : Guillaume Origoni.

Parti pour un sujet, je suis revenu avec un autre. En surplomb de la ville, ma route a croisé les yeux de la colline. Hommes, femmes, randonneurs chevronnés ou habitants isolés des confins de Marseille, tous bâtissent et transmettent l’âme de cette “bordurie” provençale.

Je marche depuis une heure entre les vallons lorsque j’arrive devant le portail de Pierre. Il est train de bosser avec en arrière-plan la bâtisse perchée qui offre une vue imprenable sur Marseille et sa rade. Autrefois, c’était une hostellerie pour pèlerins et, plus tard, elle a hébergé une colonie de vacances pour les minots du Panier. Maintenant, c’est Pierre le maître des lieux. Ce sont ses grands-parents qui l’avaient acheté en 1939.
Il m’a vu arriver de loin, car je chemine dans sa propriété depuis dix minutes et ne manifeste aucun signe d’hostilité ou d’agacement. L’homme est affable, sympathique et cultivé. En réalité, il sait pourquoi je suis là.

Son domaine, niché entre le calcaire et les pins, attire de nombreux visiteurs dont certains sont très indélicats. Tout comme moi, ils veulent avoir accès aux vestiges de l’ermitage du 13ᵉ siècle qui trône au-dessus de sa maison. Mais aujourd’hui, ce n’est pas possible, malgré l’évidente bienveillance de Pierre.

La conversation s’engage et Pierre me raconte les légendes de la colline. Les messes noires clandestines, les caches des bandits de grands chemins du XVIIIᵉ siècle, l’emplacement d’un crash d’avion lors du second conflit mondial…

Pierre me parle aussi de la grotte du facteur : “Vous n’avez jamais entendu cette histoire ? C’est connu pourtant ! Même France 3 en a fait un sujet“.

C’est peut-être connu, mais lui-même ne sait pas vraiment où elle se trouve. Je repars en sens inverse et dans la montée, je tombe sur Serge, un sexagénaire fringuant que j’avais déjà croisé à l’aller. Il en avait profité pour me donner du serpolet : “Tu vas voir, sur le steak, c’est extra !“. Serge vit à Marseille et arpente ces collines depuis 35 ans. Il a vu, enfant, les moines en période de pénitence, cheminer à genoux vers l’ermitage.

Je demande donc à Serge s’il connaît la grotte du facteur. Oui, il connaît, mais le peuple de la colline ne renseigne pas les voyageurs grâce à Google Maps. Les repères, dans cette immensité tout en gorges et en sentiers, ce sont les rochers affublés de noms évocateurs, les oratoires en pierre et les arbres :

Elle est à mi-hauteur de la paroi avant l’arrivée au col. Tu comptes 100 mètres après l’homme à la casquette et avant l’oratoire, il y a un sentier qui descend à gauche. Mais attention ne rate pas l’embranchement de l’agachon sinon t’es parti pour une boucle d’une heure et demie mon beau“.

Je remercie Serge et continue mon chemin. Trente minutes plus tard, j’arrive au rocher qui ressemble effectivement à un papet avec une casquette, mais je ne repère ni l’oratoire, ni le sentier. Ça fait déjà deux heures que je marche et j’en ai un peu marre. J’ai envie de fumer et de boire des bières. Je pense à rentrer, mais seulement voilà cher lecteur, si j’abandonne maintenant, je ne vais rien avoir à te raconter et j’avoue que cette grotte du facteur a stimulé ma curiosité.

Je lève la tête et vois un homme seul en train de casser la croûte. Il me regarde, relax, tout en mordant à pleines dents dans son sandwich au saucisson. Je comprends alors, en regardant cet homme, qu’en ce moment précis, il n’a besoin d’aucun autre bien existant au monde que son sandwich, sa gourde et sa tranquillité. Comme Pierre et Serge, il fait, lui aussi, partie intégrante des yeux de la colline. Il a compris ce que je cherche, mais il attend que je lui demande.

– Bonjour ?
– Bonjour !
– Vous pouvez peut-être m’aider ?
– Dites toujours ?
– Je cherche la …
Il me coupe et termine ma phrase … “grotte du facteur”.

– Voilà, c’est ça. Comment vous le savez ?

– Vous avez la tête et surtout l’air de celui qui cherche la grotte

– Ah bon ? Pourquoi ça ?

– Parce que vous avez la tête de celui qui est perdu, mais l’air de celui qui sait où il va.

– Je suppose que c’est un compliment. Merci donc !

–  De rien.

– Bon, le sentier, il est derrière l’oratoire caché par le chêne qui est là, vous voyez ?

– Ah oui.

– Tâchez de ne pas rater l’agachon à …

– …l’embranchement, oui, je sais.

– Comment vous le savez ?

– C’est Serge qui me l’a dit… au fait, c’était un vrai facteur l’ermite de la grotte ?

– Mais nooon, tout le monde raconte n’importe quoi sur cette grotte. C’était un mec normal de Marseille, mais il a fait une crise mystique et il s’est installé là avec ses statues de la vierge. Un fatigué sûrement, mais oh, ça date maintenant hein ! Allez-voir.

Je crapahute un peu et me voilà arrivé au fameux “embranchement de l’agachon”. Je suis le sentier qui descend et arrive rapidement en surplomb d’une paroi. De là, il semble que la trace se termine. Je ne trouve pas et me décide presque à rebrousser chemin. Je suis trop dégoûté, en vrai, cousin.

Pour conjurer cet état d’insatisfaction et de frustration qui vont croissant, je me résous à m’asseoir quelques instants afin de reprendre mon souffle devenu court et contemple la violence sensuelle qu’offre la nature en cette saison…

Bref, en position assise, mon regard glisse sous une arche rocheuse qui abrite une petite construction cimentée. Elle est là, la grotte du facteur, juste un peu plus bas, bien planquée.

La grotte du facteur est vraiment un lieu étrange. Une hybridation d’aménagements bâtis par les hommes sous une arche rocheuse, le tout avec une vue à couper le souffle. Une chapelle apocryphe qui mêle l’expression de la foi chrétienne, le syncrétisme religieux et l’expression d’une certaine culture urbaine.

La construction du lieu est attribuée au facteur local qui, dit-on “y amenait avec sa mobylette les matériaux nécessaires”.

Paul Courbon, randonneur, spéléologue et topographe, s’est intéressé – entre mille autres sites – à cette grotte. Il a conduit son enquête et à ce jour, il est assez difficile de savoir précisément quand et qui a aménagé les lieux afin de les dédier à la prière et au recueillement. Il semblerait qu’un ermite ait vécu ici et qu’en aucun cas, il ne s’agisse du fameux facteur dont l’histoire est reprise de blog en blog sans qu’aucun élément probant puisse accréditer cette thèse.

Peut-être que les yeux de la colline connaissent la vérité à ce sujet, mais ne concèdent aux impétrants que le droit de voir à défaut de savoir.

Nul besoin d’être croyant ou pratiquant pour ressentir la force qui émane du site. Cette force constituée par la volonté, l’introspection et le sentiment de paix est aussi empreinte d’une grande liberté. Le ou les maîtres des lieux ont écrit sur les murs ce qui les anime. Ces “grafs” spirituels sont peints avec le même bleu que celui du logo de l’OM.

Çà et là, des boîtes métalliques ou cartonnés contiennent des messages à destination des cieux, des saints, mais aussi des autres hommes et femmes ordinaires.

Si le mystérieux ermite n’est plus là depuis longtemps, il semble, par contre, évident qu’un groupe d’aficionados de la grotte du facteur continue à prendre soin de cette chapelle clandestine. Tout est en bon état et rien n’est dégradé. Chacun amène devant les vierges et les crucifix ce qui lui semble important. En fin de compte, la grotte du facteur ressemble à une chapelle chrétienne-libertaire. Sur la petite dalle en ciment, Bouddha jouxte une figurine de pirate, les sujets que l’on trouve dans le gâteau des rois côtoient le chat Garfield.

“Venez comme vous êtes” résonne ici comme une bienveillante injonction.

Peut-être que le mystère de la grotte du facteur est résolu depuis longtemps ? Peut-être est-ce simplement un canular du peuple des collines ? Peut-être, aussi, n’est-il pas réellement utile de le savoir ?

En tout cas, moi, je m’en fous. L’important, c’est qu’elle soit là et que, de temps à autre, je puisse me rappeler qu’au cœur de la ville ou dans ses périphéries, des hommes nous invitent à marquer l’arrêt. Avec ou sans dieu, mais toujours ensemble.

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Commentaires

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  1. julijo julijo

    je confirme, le serpolet sur une viande grillée est un pur délice. mais si on trouve facilement une bonne viande en y mettant le prix, le serpolet est plus difficile à repérer….
    cette balade dans le massif de l’étoile est jouissive pour le lecteur que je suis.
    randonneur occasionnel autour des grottes loubières, et au vallon d’ol ce sont des moments privilégiés, de calme et de sérénité, si près de ville.

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