[Marseille fait genre] Viviane Adjutor, le terrain pour toutes
Dans cette chronique, Margaux Mazellier donne la parole aux féministes marseillaises. À travers des portraits intimes de militantes, activistes et citoyennes, elle explore la diversité des combats pour l’égalité à Marseille. Cette semaine, rencontre avec Viviane Nora Adjutor, basketteuse professionnelle, doctorante en psychologie sociale de la santé et fondatrice de l’association Balle en main.
Basketteuse professionnelle, doctorante en psychologie sociale de la santé et fondatrice de l’association Balle en main, Viviane Nora Adjutor, 31 ans, se bat contre les violences qui irriguent le milieu du sport. Elle dénonce les violences psychologiques qui poussent les sportifs et sportives à se négliger, au profit d’une quête de performance à tout prix. Elle lutte contre les violences sexistes, qui font croire aux femmes qu’elles n’ont pas leur place, ni sur le terrain de basket, ni dans l’espace public. Elle s’attaque aux violences racistes et islamophobes, qui excluent certaines femmes de cet espace d’émancipation que représente le sport. Viviane mène tous ces combats comme elle mène sa vie : portée par la puissance du collectif.
Un combat personnel
Viviane commence le basket à dix ans et, très rapidement, elle sait qu’elle en fera son métier. À treize ans, elle intègre un cursus sport-études Pôle espoir, puis à quinze ans, le centre de formation d’Aix-en-Provence. Après le bac, elle entame des études de psychologie tout en poursuivant sa carrière de basketteuse professionnelle. Quelques années plus tard, elle rejoint un club professionnel dans la Loire. “Ça s’est mal passé. J’ai vécu beaucoup de violences psychologiques cette année-là. Ce n’était pas la première fois que j’en subissais, mais c’était la fois de trop. Je ne prenais plus aucun plaisir, jouer avait perdu tout son sens”, raconte-t-elle. Dégoutée par le manque de considération de ce milieu “qui place le bien-être des athlètes au second plan”, elle décide alors de rentrer dans le sud de la France pour terminer son master, bien qu’il ne soit pas possible ici de poursuivre sa carrière de sportive de haut niveau.
Les mois passent et Viviane est finalement embauchée en 2019 comme psychologue sociale au sein de l’association marseillaise Imaje Santé. “J’adorais mon travail, même si j’étais en deuil de ma carrière dans le basket”, confie-t-elle. Là-bas, elle rencontre des personnes qui remettent en question son identité de sportive : “Dans le sport, la santé est au service de la performance, ici, on parle de santé sociale, physique et mentale. Cette nouvelle perspective m’a fait réaliser beaucoup de choses sur les violences que l’on peut subir dans le milieu du sport.” Elle décide de mettre ses nouvelles compétences au service de ses futurs pairs et entreprend un doctorat sur la prévention des violences auprès des jeunes en milieu sportif. Un sujet qui émerge doucement en France : “La parole s’est libérée avec #MeToo et les dénonciations de la patineuse Sarah Abitbol, mais il n’y a pas de vrai travail de fond sur ces questions-là.”
Un lieu
En parallèle de ses recherches, Viviane commence à enseigner le basket à quelques-unes de ses amies sur le terrain extérieur du S.M.U.C dans le 8e arrondissement de la ville. Au départ, elles ne sont que trois ou quatre, mais, très vite, le groupe grandit : “Beaucoup de filles me disaient que dans les clubs mixtes, elles n’avaient jamais la balle, ne se sentaient pas à l’aise, et qu’ici, elles retrouvaient le plaisir du sport. D’autres, dégoûtées par le sport à cause de mauvais souvenirs, retrouvaient le plaisir de jouer dans cet espace.” Les chiffres montrent que les femmes pratiquent moins de sport que les hommes et encore moins quand il s’agit de pratiques collectives. “Ici, les femmes réapprennent à occuper l’espace, à gagner en confiance et à être fières d’elles”, explique-t-elle. “Au bout de quelques mois, on s’est dit qu’il se passait vraiment quelque chose sur ce terrain”, raconte Viviane. C’est ainsi qu’en 2023 naît l’équipe “Hchouma” (la honte, en arabe) et l’association Balle en main.
J’ai redécouvert une vraie forme de liberté à travers cette pratique et je suis heureuse de la transmettre aujourd’hui.
Viviane Adjutor
Le but, donc, favoriser l’accès au sport au plus grand nombre et plus particulièrement aux femmes. Et elle insiste : “Toutes les femmes. Le sport est un droit fondamental, personne ne doit en être privé.” Viviane fait référence au projet de loi adopté le mois dernier par le Sénat visant à interdire le port du voile dans toutes les compétitions sportives, y compris au niveau amateur. Le club lui-même est actuellement non affilié, peinant à trouver une fédération qui accepte les joueuses qui portent le voile. “La société est tellement violente et répressive, notre terrain se doit d’être le plus inclusif possible”, affirme-t-elle. Toujours dans cette idée d’accessibilité, Viviane a décidé de pratiquer le basket 3×3, une discipline qui se joue dehors, sur un demi-terrain et en musique : “Ça ne demande pas de moyens particuliers, c’est vraiment axé sur le plaisir de jouer et basé sur le côté fair-play du basket.” Ce format, parce qu’il vient de la rue, permet aussi aux femmes de prendre possession de l’espace public et d’être ainsi encore plus visibles. Elle-même championne du monde universitaire de 3×3 en 2014, Viviane raconte que cette discipline l’a sauvée à un moment où elle étouffait dans le basket classique : “J’ai redécouvert une vraie forme de liberté à travers cette pratique et je suis heureuse de la transmettre aujourd’hui.”
Une prise de position publique
Le moment où Viviane prend vraiment conscience des discriminations qu’elle a subies dans le milieu du sport en tant que femme, c’est lorsqu’elle participe à l’exposition Les Marseillaises et le sport – #jesuislegitime. Ce projet, réalisé par la photographe Isis Mecheraf, met en lumière des portraits de femmes sportives, en leur permettant de raconter leur parcours, leur construction, et d’occuper un espace public qui a été pensé par les hommes et fait pour les hommes. “Je l’ai vécu dans ma chair, d’être une femme sportive. J’ai observé les clubs faire couler leur section féminine au profit de la section masculine. J’ai vu qu’on nous donnait toujours les créneaux les moins bien, qu’on n’avait pas les mêmes dotations, sans parler des différences de salaire… Mais il m’a fallu cette expérience collective pour vraiment réaliser que je vivais des discriminations depuis des années sans les conscientiser”, reconnaît-elle.
Rencontrer et écouter les autres sportives qui ont participé à ce projet lui permet de s’autoriser enfin à les dénoncer : “J’ai réalisé que peu importe le sport qu’on pratiquait, on faisait toutes les mêmes constats. C’est une réalité collective. Après ça, tu ne peux plus agir seulement pour toi, tu le fais pour toutes les autres.” Aujourd’hui, Viviane est fière de porter ces combats et de permettre à celles qui n’osent pas encore prendre leur place d’enfin le faire : “Si j’ai continué dans le sport malgré toutes ces violences subies, c’est seulement grâce à la solidarité féminine qui existe entre les joueuses. C’est ça qui doit nous porter dans un moment où tout nous invite à nous diviser. Être vraiment solidaire, c’est, à mon sens, le plus puissant des leviers pour faire bouger les lignes.”
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