Margaux Mazellier vous présente
Marseille fait genre

[Marseille fait genre] Gabrielle Giraud, rire et désobéir

Chronique
le 14 Juin 2025
2

Dans cette chronique, Margaux Mazellier donne la parole aux féministes marseillaises. À travers des portraits intimes de militantes, activistes et citoyennes, elle explore la diversité des combats pour l’égalité à Marseille. Cette semaine, rencontre avec Gabrielle Giraud, humoriste de combat.

Gabrielle Giraud. (Photo : Marie-Lou Malot)
Gabrielle Giraud. (Photo : Marie-Lou Malot)

Gabrielle Giraud. (Photo : Marie-Lou Malot)

Avec son premier spectacle Au naturel, qui fait salle comble, Gabrielle Giraud mêle humour et introspection. Elle y raconte Marseille à travers des personnages inspirés de son quotidien, mais aussi son adolescence, son coming out, et ce que cela signifie, encore aujourd’hui, d’être une femme queer. Sur scène comme dans les lieux qu’elle contribue à faire exister, elle porte une parole politique, ouverte à celles et ceux qu’on entend encore trop peu. Dans un milieu sexiste, où les femmes doivent sans cesse lutter pour exister — comme en témoigne le mouvement #Metoostandup lancé en janvier 2024 par l’humoriste Florence Mendez —, ces prises de parole sont plus que nécessaires.

Souvenir d’enfance

Gabrielle Giraud a grandi entre le centre-ville de Marseille, boulevard André-Aune, et la maison familiale de la Pointe-Rouge. C’est cette ville et les membres de sa famille qui inspireront, plus tard, les vannes qui la feront connaître. “C’étaient aussi des années compliquées pour moi et ça ressort aujourd’hui sur scène. Je ne me sentais pas bien dans ma peau, je souffrais beaucoup du regard des autres.” Enfant, Gabrielle ne correspond pas à ce que la société attend d’une petite fille : “Je n’étais pas du tout girly comme mes copines. Moi, j’aimais faire marrer tout le monde, jouer au foot et me salir les mains. Et comme, en plus, j’avais un visage et un prénom androgyne, je subissais pas mal de moqueries.” Sans outil pour comprendre ce qui lui arrivait, elle confie : “À l’époque, je n’avais pas conscience de me révolter, mais forcément, quelque chose se construisait en moi.”

Les choses se compliquent encore au collège : “Je joue un peu plus le jeu des stéréotypes de genre, mais c’est vraiment difficile pour moi.” C’est aussi le moment où elle prend conscience de son attirance pour les filles. “À cette période-là, je réalise que mon attirance pour les femmes va être un problème. J’entends des remarques, même venant de mes amies les plus bienveillantes. Alors, tu t’adaptes, tu refoules.” Gabrielle vit sa première histoire d’amour en cachette, commence à fumer, s’efface. “À cette époque-là, j’étais victime de quelque chose que je n’arrivais pas vraiment à comprendre, il fallait que je reste en vie et que je me sauve moi-même. Ce n’est qu’ensuite, quand j’ai grandi, que j’ai fait mon coming out et que je me suis entourée des bonnes personnes, que j’en ai fait un combat”, analyse-t-elle.

Une prise de position publique

Pendant le confinement, Gabrielle commence à poster des vidéos sur Instagram. Elle y incarne des personnages inspirés de son entourage. “J’ai toujours aimé faire rire. Depuis petite, j’aime refaire les gens de ma famille, ma tante et mon père surtout.” Au départ, c’est pour ses amis. Puis, très vite, son audience grandit. “Je faisais Frénégonde la prof de musique ou la cagole… et là, plein de gens se sont mis à m’écrire pour me dire qu’il fallait que je continue ou que je fasse du théâtre.” En 2021, elle s’inscrit à un cours de stand-up à L’Art Dû. Trois mois plus tard, elle monte sur scène pour la première fois : “J’avais trois minutes pour convaincre et j’étais tellement stressée… J’ai fait une première petite blague qui a marché et pendant les trois minutes qui ont suivi, je me suis oubliée.” Le public accroche tout de suite à son univers qu’elle décrit comme “généreux et solaire”.

Très vite, son style se transforme. Au début, elle reste dans l’observation. Elle imite les cagoles et les “poètes de la rue”. Elle explore les contrastes entre les différents membres de sa famille. Mais elle ne parle pas encore d’elle. Le déclic vient en découvrant Shirley Souagnon qui, dans son spectacle Lesbienne multitâche, dit : “Je suis une fille, noire, humoriste, avec des rastas, homosexuelle, il manque que le fauteuil roulant et je suis au top.” Dans la foulée, Gabrielle regarde Nanette, le show d’Hannah Gadsby, dans lequel l’humoriste australienne mêle confidences et critique sociale, en rompant avec les codes du stand-up pour aborder frontalement les violences liées au genre et à l’homosexualité. “Là, je me dis, c’est ça, le stand-up : c’est aborder des thèmes très lourds en faisant des vannes. Ainsi, on ne se victimise plus, on s’empare des discriminations que l’on peut subir. Et si je rigole de ce qu’il m’arrive, il n’y a plus rien qui peut m’arriver.” Elle tient à préciser : “Le rire, c’est une arme. Mais il faut aussi s’en méfier… Est-ce que si une personne ne rigole pas parce qu’elle se sent offensée, ça annule le rire des cent autres ?”

Une rencontre

Gabrielle commence à écrire sur son coming out, malgré la peur : “Je me disais toujours : quelqu’un va se lever et dire « au bûcher, emmenez-la ! »” Elle est alors invitée par Hadir Smine, une humoriste montpelliéraine de 24 ans, créatrice du Madre Comedy Club, qui accueille tous les mercredis soir des humoristes issus de la communauté LGBTQIA+ au Madrediosa. “Pour la première fois, je me suis sentie à l’aise d’aborder tous ces sujets. Mes blagues ont tellement bien été reçues que, quand je suis sortie de scène, j’avais l’impression d’être Beyoncé !” À ce moment-là, à Marseille, il y a encore peu de femmes dans le milieu du stand-up : “La plupart du temps, j’étais la seule meuf sur le line-up.”

En rentrant, Gabrielle se lance dans la création d’un espace de ce type. Le Move On Up Comedy Club est né. “Au départ, je voulais juste créer un plateau de stand-up dans un bar gay, mais à l’époque, je suis avec Maël qui est afro-descendante et on se dit qu’il faut créer un plateau féministe, queer et décolonial.” Elles sont rejointes par l’humoriste Auri, également à l’origine du Stand Up Girls, un comedy club itinérant de visibilisation des femmes humoristes. La première édition, il y a deux ans, a rempli la Cité de l’agriculture. Depuis, le Move On Up se réunit tous les mois, le plus souvent au Boum, un bar LGBTQIA+ de la Plaine. “Ces espaces nous permettent de tester nos blagues, de prendre de l’élan avant d’affronter des publics moins ouverts. Si une vanne cartonne ici et que le lendemain, face à un autre public, elle tombe à plat, je peux leur dire : je l’ai jouée hier dans un bar queer, j’ai eu une standing ovation — peut-être qu’il faut vous remettre en question.”

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Patafanari Patafanari

    Le jour où l’on ne discriminera plus, on perdra beaucoup d’humoristes.

    Signaler
  2. Dominique PH Dominique PH

    Merci Marsactu de publier des articles comme celui-ci

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire