Marseille en K
Michéa Jacobi poursuit son exploration en abécédaire de Marseille. Au gré de ses balades, il construit un regard singulier sur la ville, lettre par lettre. La lettre K est sûrement celle qui se cache le mieux.
Marseille en K
Dans le dictionnaire français, les pages K sont loin d’être les plus abondantes. Il en va de même dans les villes qui parlent la langue de ce remarquable ouvrage, il en est ainsi à Marseille. Mais en cherchant bien, en rassemblant les lettres et les mots, les choses et les lieux, les découvertes et les souvenirs, on finit par trouver 26 occurrences. D’un signe formé par du chatterton sur une vitre cassée à la grande lettre rouge installée à la dernière entrée des Docks, d’un fruit mûrissant jusqu’au cœur de l’hiver à des kayaks piquant de leur pointe l’azur, de l’enseigne d’un coiffeur à celle d’un ancien cinéma de la Canebière, la chronique de cette semaine propose une promenade en K.
Antiquité
Cette promenade en K commence naturellement dans l’Antiquité. Marseille, ville grecque, possède dans ses collections archéologiques une grande kylix -entendez un vase peu profond. Cette céramique à figures noires représente un banquet : ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on aime se remplir la panse, sur les bords du Lacydon.
Bord de mer
On est certain, depuis le beau roman de Maylis de Kérangal (avec un K), que la Corniche s’appelle Corniche Kennedy. Comme s’il fallait un nom à cette voie que la topographie suffit à désigner, comme si un président installé à l’arrière d’une limousine allait à nouveau être assassiné sur cette merveilleuse promenade. Non, pas de tueur sur la Corniche : seule la mer, cette terrible épouse, n’en finit pas, en paquets de sel et d’écume, d’attaquer le nom de Kennedy.
Carreau cassé
On raconte qu’autrefois des hommes de l’art allaient par les rues, une provision de verre sur le dos et un pot de mastic dans la musette. Ils appelaient les casseurs de carreaux à faire appel à leurs services, montaient les étages et rénovaient les fenêtres en moins de deux. Ces temps sont finis et, comme on n’a pas toujours l’énergie d’aller chercher une vitre soi-même, il arrive que l’on préfère le pansement (assez grossier quelquefois) au remplacement. C’est ainsi que carreau cassé s’écrit K-ro KC, pour quelques temps. Ou pour toujours.
Docks
Le long des docks, les Docks ont écrit leur nom, de place en place, en grandes lettres rouges. Ces signes indiquent chacun une entrée, on les couvre de ceci ou de cela au gré des semaines de promotion, on les photographie. La grande lettre K qui se trouve du côté de la rue des Docks n’est plus ni moins intéressante que ses consœurs. Les trois personnes de la photo la préfèrent cependant à toutes les autres : c’est près d’elle que de temps en temps ils viennent fumer leur klop.
École
Coincée contre l’autoroute Nord, l’école Kleber résiste avec vaillance au vacarme des automobiles. Trois platanes, des coursives à la Jules Ferry, un directeur en or et une équipe d’enseignants gonflée à bloc, elle fait obscurément son boulot, tandis que les bagnoles qui arrivent d’Aix n’aperçoivent d’elle qu’un mur peint pour Marseille Provence 2013 et recouvert depuis de tags tout aussi étrangers au monde qu’il abrite.
Fruit
Quand il ne s’applique pas à la couleur des uniformes militaires, le mot kaki désigne les fruits du plaqueminier, ces boules orange qui mûrissent jusqu’au seuil de l’hiver. Il reste quelques plaqueminiers dans les banlieues de Marseille. Celui-ci habite à Saint-Antoine. Chaque année il dessine d’autres signes sur la peau de ses fruits. Je ne suis hélas jamais parvenu à les comprendre.
Gorille
L’affiche ne ment pas. Le King Kong de Medrano (le cirque où le chanteur Antoine voulait mettre Johnny Hallyday en cage) faisait 8 mètres de haut, ou presque. Je l’ai vu de mes yeux vu à Pont-de-Vivaux. Bien sûr c’était un gorille mécanique, mal ressemblant et mal animé. Bien sûr il fallait payer dix euros pour avoir la permission de déposer son rejeton dans sa main et repartir avec une photo. Mais bon, les huit mètres (ou presque) étaient là. Pour une fois qu’une affiche ne ment pas.
Industrie
Les travaux de dépollution sur le littoral de l’Estaque n’en finissent pas. Les métaux lourds ont pollué la roche pour longtemps, l’industrie chimique a imprégné aussi durablement la vie sociale du quartier. Plus de superphosphates, d’acides nitriques, de dibromure d’éthylène, de dichloréthane et de bromure de méthyle. Mais le club de foot s’appelle toujours Kuhlmann, d’après le nom de l’usine qui les produisait.
Jeu de mots
Les coiffeurs s’y connaissent en jeux de mots. D’épi-tête en défini-tifs, les merlans n’en finissent pas de plaisanter le chaland avant de lui passer la tondeuse. À Marseille, ces heureuses variations culminent sur le boulevard National ou un certain Kader n’a pas hésité à offrir son propre nom à la rigolade pour accroître sa clientèle.
K
La lettre K est loin d’être dominante dans la langue française. Elle tente cependant de gagner du terrain. D’abord spécialisée dans les racines grecques (KINÉ), arabes (KIF) ou japonaises (KIMONO) elle tente, via les enseignes de plusieurs commerces (KILOUTOU, KIABI…) et la langue des SMS, de remplacer le traditionnel QU. Même l’église cède à ses avances, comme ici, à l’église Saint Lazare du Racati, où catéchisme s’écrit KT.
Livres
Nul problème pour trouver l’occurrence L de cet ABC. Il me suffit de me tourner vers ma bibliothèque. J’y trouve le K de Buzatti et un volume consacré au sommet himalayen baptisé K2 : La folie du K2. Je me rends compte alors que le K est une lettre à la fois favorable et inquiétante. Dans Buzzati c’est un squale qui promet la mort mais remet finalement au héros une perle magique. Dans le livre de Buffet, c’est, nous dit l’auteur, « cette personnification géologique de l’angoisse » qui supprime les uns après les autres ceux qui prétendent atteindre son sommet.
No news
La presse écrite se porte mal. Les kiosques du centre-ville ont tiré le rideau à peine rénovés. Et certains continuent malgré la fermeture de faire la réclame des publications qu’ils ne vendent plus. Un des plus pathétiques est l’Olympien de Mourepiane dont l’enseigne se dégrade sous le vent marin. C’est ainsi : on en appelle au séjour des Dieux et on finit dans la rouille.
Olympique de Marseille
– Quès-tu fait comme stand cette année pour la Kermesse ?
– Le tir au but.
– Comment tu vas décorer ?
– Je vais faire un goal en bois, y mettre un maillot du club et peindre : DROIT AU BUT.
– Quès-on gagne ?
– Des merdes !
Presley
Le King sera toujours le King. Même mal peint, même à demi effacé sur la vitrine d’un coiffeur. Qui n’est peut-être pas un grand peintre mais qui sait arranger comme personne vos cheveux façon rock and roll.
Quartier Nord
Le premier article et la première gravure que j’avais publiés dans le défunt L’Hebdo concernaient le parc Kalliste. Je n’étais pas retourné sur les lieux depuis. J’ai pris le 97, je me suis retrouvé entre Limite et Solidarité, au plus haut de Marseille, au pied de ces barres géantes qui empilent les logements plus ou moins dégradés. Kalliste signifie beauté en grec. C’est ce nom qu’on donna à la Corse dès l’Antiquité. Beauté ? Peut-on parler de beauté ici ? En tout cas, c’est certain, ça bouscule.
Rue Maurice Korsec
En juin 1943, trois jeunes hommes du détachement Marat des FTP (MOI), lançaient une bombe dans le hall du cinéma le Capitole, alors transformé en Soldatenkino. C’étaient Maurice Korsec, Marcel Bonein et Albéric d’Alessandri. Ils furent tous trois arrêtés, et exécutés par les Allemands cinq mois plus tard. On peut retrouver leurs portraits dans l’excellent livre de Grégoire Georges-Picot, L’innocence et la ruse.
Sauvages
Les sauvages aussi ont le droit de manger des sandwiches. S’ils veulent trouver un kiosque qui leur soit spécialement dédié, ils devront courir jusqu’aux Aygalades, boulevard Frédéric-Sauvage. Bon, Frédéric Sauvage, n’était pas vraiment un cannibale. C’était même l’inventeur de l’hélice à spirale. Mais les sandwiches sont bons quand même.
Télévision
Les séries triomphent, les feuilletons télévisés passent aux oubliettes. Qui se souvient de La caravane Pacouli, de Rocambole ou de L’âge heureux ? Qui se rappellent les aventures du jeune Mandingue Kunta Kinte emmené en esclavage vers l’Amérique ? C’est un cageot de fruits abandonné sur le trottoir des Capucins qui nous rappelle heureusement son histoire.
URSS
« Au sixième jour de sa visite officielle en France, Nikita Khrouchtchev, accompagné de son épouse, est accueilli à Marseille après être passé par plusieurs villes de province, dont Nîmes et Arles. Sous la conduite de Gaston Defferre, le couple présidentiel a fait le tour du port en bateau, puis a visité l’école maternelle des Chartreux. » Ainsi le site Repères méditerranéens présente-t-il la visite de Monsieur « K », premier secrétaire du Parti communiste de l’URSS. Si vous voulez en savoir plus et voir les images, rendez-vous sur ce site.
Villa
Autrefois toutes les villas avaient des noms. De jolis noms calligraphiés sur de jolies plaques. Les Paradou, Cigaloun et Ma-vie-là ont cédé la place aux caméras de surveillance et aux lumières jaunes des portails automatiques. La villa Kerian, sise sur le Roucas, a gardé son identité. Et sa vieille sonnette !
Wikipédia
Je n’y connais rien en rap. Heureusement, l’encyclopédie qui sait tout vient à mon secours et m’apprend qu’un certain K-Rhyme Le Roi originaire de Belsunce pratique cet art avec un certain bonheur. Je cherche son nom sur le Net, je cherche ses paroles et, en bon amateur d’ABC, je relève celles-ci : “Nos phrases se nourrissent de lettres maîtresses de l’alphabet.”
XVIIIe siècle
Ceci est un portrait signé Nattier de Jean-Joseph Kapeller, peintre, architecte, géomètre, grand maître de la Loge d’Orient et auteur en 1756 du tableau intitulé : l’Embarquement du corps expéditionnaire de Minorque au port de Marseille sous les ordres du Duc de Richelieu. Cet artiste au regard mélancolique fut un des fondateurs de l’Académie de peinture et de sculpture établie à Marseille le 1er janvier 1753. Dans la vente de Drouot de mars 2017, son portrait était estimé entre 20 000 et 30 000 €.
YCPR (Yachting Club de la Pointe-Rouge)
Quelles sont ces deux embarcations qui pointent leur proue dans l’azur de la Pointe Rouge ? Ce sont deux kayaks rangés verticalement par les bons soins de l’YCPR, pour prendre le moins de place possible. Les gars du club nautique auraient aussi bien pu les dresser la poupe vers le haut. Ça n’aurait rien changé : le mot KAYAK commence et finit par un K. Il est en outre palindromique : il peut se lire dans les deux sens.
Zone
Les anglophones regardent avec raison le français comme une langue complexe, et même tordue. Pourquoi nommer cerf-volant ce que nous appelons simplement kite, demandent-ils ? Où est-il ce fameux cerf ? Ils ne savent pas que ce n’était pas de cerf qu’il s’agissait à l’origine mais de serp, un serpent. On avait un mammifère, et voilà un reptile. Les Angliches fulminent : « GO FLY A KITE ! Va voir ailleurs si j’y suis ! » maugréent-ils en chœur !
En librairie
En plus de ses activités de chroniqueur alphabétique infatigable, Michea Jacobi poursuit ses activités sur le plan éditorial avec le même bonheur obsessionnel. Viennent de paraître, coup sur coup, deux nouveaux opus. Dans l’ordre chronologique, les éditions Parenthèses viennent de faire paraître, un ouvrage illustré intitulé ABC des amours. En 26 lettres et autant adjectifs, l’auteur s’essaie à définir les formes complexes et plurielles du sentiment amoureux. C’est parfois sucré, acide ou amère. Un peu comme les oranges dont les papiers froissés, dorés, découpés et ornés d’un cœur servent de fil rouge aux 26 illustrations, lumineuses comme il se doit.
Le second ouvrage est la partie d’une somme. Les éditions La Bibliothèque ont accepté le pari fou de dresser un portrait alphabétique de la condition humaine en 26 classes contenant 26 portraits historiques. Il y eut les Renonçants, les marchés, les xénophiles, voici venus les rêveurs réunis sous le beau titre Songe à ceux qui songèrent. Sans doute l’un des plus personnels de cette collection où percent quelques perles dont une très belle biographie express de Donald Trump. Là aussi des linogravures ajoutent de la lumière à ce bel ensemble.
Écrivain, dessinateur et linograveur, Michéa Jacobi a fait de l’alphabet le bâton de marche d’une quête littéraire. Celle de lire le monde à travers les 26 lettres de l’alphabet. Aux éditions la Bibliothèque, il a entrepris un grand œuvre baptisé humanitas elementi réunissant 26 ensembles de vies humaines réunies par leur obsession commune. Chacune de ces classes comprenant 26 biographies, cela porte à 676 les vies ainsi rassemblées. En parallèle, pour Marsactu, il a croisé cette obsession alphabétique du monde avec sa passion de piéton arpentant sa ville. Il le fait souvent avec son complice, le photographe Luc Barras. Vous pouvez trouvez ci-dessous les inventaires déjà parus.
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