Le Xinxim de galinha de Juruna

Chronique
le 5 Juin 2021
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Pour Marsactu, Malika Moine croque la cuisine des Marseillais et en fait des histoires de goût tout en couleurs. Cette semaine elle s'invite chez Juruna, un copain brésilien qui lui cuisine un plat typique à base de poulet.

Dessin : Malika Moine
Dessin : Malika Moine

Dessin : Malika Moine

J’ai découvert la capoeira, à la fois danse et art martial, musical et acrobatique, expression de la culture populaire afro brésilienne, avec Juruna. Je ne l’ai pas pratiquée mais au détour d’une rue, sur une place ou ailleurs, Juruna, l’œil vif et toujours en alerte, était au cœur des danses en transmettant son énergie fulgurante aux petits et aux grands initiés. Presque 30 ans après, il n’a pas changé et désormais d’autres groupes de capoeristes animent la cité.

On s’est toujours salués et la dernière fois que je l’ai croisé, il m’a semblé qu’il serait le meilleur représentant de la communauté brésilienne dans mes chroniques culinaires marseillaises, s’il cuisinait…

Me voilà donc en route un soir pour rejoindre aux alentours du lycée Artaud vers la Pomme, son habitation dans un immeuble d’une allée au nom champêtre. J’arrive à peine avant lui et l’attend de l’autre côté du porche, surprise par le champ verdoyant parsemé d’arbres et le chant des oiseaux qui couvre presque une proche conversation téléphonique. Deux dames arrivent, la plus jeune m’invite à entrer avec elles : ce sont la sœur et la mère de Juruna, Juciara et Sèverina. À peine entrée, la jeune femme chaleureuse et souriante me propose « Veux-tu un jus de fruit pomme melon ? je n’ai pas rajouté d’eau… »

Juruna arrive peu après d’un cours de capoeira à l’Estaque. Je le suis à la cuisine d’où sort sa maman, l’œil sévère. Juruna m’explique « c’est elle qui a la main à la cuisine normalement » et plaisante « c’est moi qui lui ai tout appris… ». Il raconte « j’ai beaucoup cuisiné quand je suis venu en France, en 1994 et jusqu’à ce qu’elle arrive, en 2005. J’ai appris à cuisiner au Brésil, en la regardant et en l’aidant cuisiner. Elle vendait ses plats dans les cantines pour les ouvriers des chantiers à Fortaleza. » Juciara précise « Elle est née à Buritirana, un village caché… il n’était pas répertorié par Google jusqu’à il y a 3 ans ! »

Juruna sort les ingrédients. « Le Xinxim de galinha est un plat de fête originaire de Bahia. Je l’ai découvert en France avec un ami brésilien musicien, Victor Santos, lorsque j’ai commencé à faire une soirée brésilienne avec un repas lors des évènements de capoeira. » Je commence à comprendre pourquoi Sèverina n’est pas souriante. J’aurais été vexée à moins… non seulement son fils prend la vedette dans sa cuisine, mais en plus, il ne fait pas une de ses recettes ! En même temps Juruna fait une recette à lui, chargée de son histoire avec Marseille et la capoeira… « J’ai cuisiné les plats de Bahia en approfondissant mes connaissances de la culture afro-brésilienne. Au Brésil, j’étais instructeur de capoeira. Marié avec Laurence, française, on est venu vivre à Marseille, pour le climat. Ici, je suis devenu professeur en 1999, en 2001, formando, « contremaître » puis formado, et enfin mestre -c’est la communauté qui te fait maître. J’ai appris à un ami brésilien à faire le xinxi de galinha pour un stage. Ca a été pour lui le début d’une carrière de cuisinier… »

Juciara est assise à côté avec Sèverina qui râpe des gousses d’ail. De temps en temps, elle vient dans la cuisine. Je lui demande l’autorisation de la prendre en photo pour la dessiner par la suite mais elle refuse. Je sors alors mon fusain pour la croquer, elle accepte, mais s’éclipse rapidement.

Juciara raconte : « Je suis venue pour la première fois en vacance en 2005. Maintenant j’habite ici et je ne suis pas retournée au Brésil depuis 14 ans, c’est dur. J’ai donné jusqu’au Covid des cours de portugais pour Capoeirart, l’association de Juruna, mais je ne peux pas enseigner en distanciel, alors je fais de l’animation dans les écoles, mais ce que j’aime c’est l’éducation. »

Sèverina parle en brésilien et j’ai oublié le peu que je savais, je n’arrive pas à créer un lien avec elle. Je retourne en cuisine avec Juruna qui fait un brin de vaisselle. « Sèverina préférait vivre au Centre Ville, mais en 2018, les propriétaires ont mis en vente l’appartement qu’on louait rue Thubaneau à Belsunce, j’ai fait une demande d’HLM et nous habitons dorénavant ici.»

Pendant que le plat mijote, voici sa recette…

Les ingrédients pour 5 ou 6 personnes et pour le lendemain…

– du poulet en morceaux ou seulement des blancs marinés depuis au moins 1 heure avec du vinaigre de vin, d’alcool ou de cidre, du cumin, de l’ail haché et du poivre
– 5 poivrons verts et rouges, coupés menus
-1 oignon
– 5 tomates
– 300 ml à peu près -« on fait souvent à l’œil »- de lait de coco
– 5 gousses d’ail râpées
– de la pâte d’arachide
– de l’huile de palme
– du riz basmati
– des petites crevettes séchées congelées

Juruna met à cuire à gros bouillon le poulet mariné. Il émince l’oignon et l’ajoute à la marmite, coupe en deux les tomates, ôte le jus et les graines, les coupe en petits bouts. Il attend un peu que le jus réduise pour ajouter d’abord les poivrons, puis les tomates coupées. Sèverina apporte des feuilles de laurier, Juruna hésite, puis les plonge dans le plat qui mijote. Il verse aussi une belle rasade d’huile de palme, rouge et épaisse « avec laquelle on cuisine plus à Bahia qu’ailleurs au Brésil ». La sauce prend une belle couleur rouge. Il râpe les gousses d’ail dans une assiette et en met la moitié dans la cocotte. Ca sent bon…

Soudain, il sort un sac que je n’avais pas vu « c’est la cuisine secrète, on ne dévoile pas tout d’un coup… » : Il jette deux poignées de toutes petites crevettes séchées congelées dans la marmite, puis, verse le lait de coco, 1/3 de litre on dirait. Le chef met à bouillir un peu d’eau pour diluer de la pâte d’arachide un peu dure. Il tourne vigoureusement et la verse dans la sauce qui prend une jolie couleur orangée.

Il s’occupe alors du riz, met à griller l’ail râpé restant. L’odeur emplit la cuisine et se mêle parfaitement aux effluves du Xinxim… quand il est tout doré, il verse le riz dans la casserole, le fait revenir, verse de l’eau, deux phalanges au-dessus du riz, couvre et laisse cuire…

Dessin : Malika Moine

Il met la table, l’heure de se régaler approche… Il revient au riz, baisse le feu, le découvre un peu pour laisser l’eau s’évaporer, et fait un tout petit feu au xinxi, en attendant de s’attabler…

Devant un petit verre de vin, je m’excuse auprès de Sèverina de ne pas lui avoir proposé à elle, je n’avais pas compris qu’elle habitait ici, et j’aurais été enchantée de goûter sa cuisine.

Sèverina est représentée culinairement par une pâte de piments mixés avec du gingembre, de l’ail et un oignon qui relève délicieusement les saveurs exquises du xinxim. Elle est moins fâchée mais elle mange des spaghetti et des sardines « parce qu’elle ne mange pas de viande tous les jours » me souffle Juciara.

Comme souvent devant un bon repas, on parle cuisine et Sèverina évoque ses spécialités comme l’« assado de panela », un rôti de viande de bœuf ou de porc mariné, revenu, puis cuit au four avec des oignons, des tomates et de l’ail, et qui se mange avec du riz ou des macaronis, sorte de spaghetti revenus à la poêle et dorés. Le xinxim de Juruna est un délice. Sèverina, moquée gentiment par ses enfants, goûtera peut-être demain avec joie la cuisine de son digne fils…

Commentaires

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  1. Zumbi Zumbi

    Merci Malika.

    Mais Marsactu est très négligent dans le chapeau. Le nom de la recette, c’est Xinxim, pas xinxi. Et la très féminine Juciara devient ici un “copain”… Aucun.e de ses ami.e.s ne l’avait remarqué !
    Allez, on va boire une caipirinha pour oublier.
    .

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    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      Pan sur le bec. On va réussir à fâcher toute la famille !

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