Iliès Hagoug vous présente
Nyctalope sur le Vieux-Port

Le tour d’en ville en quatre chichas

Chronique
le 16 Oct 2021
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On la dit endormie et sans surprise. La vie nocturne à Marseille est rarement un feu d'artifices, mais plutôt un hasard de rencontres, de rendez-vous d'initiés et parfois de fêtes sauvages improvisées. Marsactu a confié au journaliste Iliès Hagoug le soin de l'arpenter et de la raconter. Ce mois-ci, il fait le tour du centre au fil de volutes aux parfums chimiques envoûtants.

Le tour d’en ville en quatre chichas
Le tour d’en ville en quatre chichas

Le tour d’en ville en quatre chichas

Les bars à chicha, c’est un peu comme les McDo. Déjà, il y en a partout : de Bonneveine jusqu’aux Aygalades, seules les alimentations rivalisent avec le maillage combiné de Big Macs et de tabacs double pomme. Ensuite, l’odeur devant un bar à chicha est unique. Un peu celle d’un McDo, elle est reconnaissable entre mille autres mais les mots ne viennent pas tout de suite pour la décrire. L’extracteur d’air lâche des relents de fruits, de menthe et dans l’épaisseur caractéristique d’un goût chimique, qui rappelle la fraise artificielle des bonbons.
Enfin, selon la chicha ou le McDo qu’on choisit, l’expérience sera différente malgré les mêmes produits. Un sandwich industriel trop cher n’a pas le même goût consommé à 4 heures du matin, garé dans une station essence de Sakakini, ou à la pause déjeuner près de la pref’. Au même titre, la même saveur de tabac n’a pas la même saveur partout. Faire le tour de plusieurs chichas, c’est faire le tour de plusieurs Marseille.

Au White Room Lounge, rue Saint-Savournin par exemple, on vient se détendre, et en général on se connaît bien. La déco n’est pas blanche, mais elle est clairement lounge. Saïf a commandé un mélange perso cet après-midi : moitié assis, moitié allongé, il est la personnification d’être au calme. “J’ai rendez-vous chez le coiffeur après, j’avais une heure à tuer parce qu’il y a le peuple qui attend là-bas”. Comme une bonne partie de la clientèle, il ne boit pas. Ça tombe bien : on peut grignoter, boire du thé, des jus et plein d’autres choses souvent sucrées, mais on ne sert pas d’alcool ici.
Les gens quand ils ont un moment ils commandent une bière non ? Ben moi je me fais une chicha. Je fume même pas, c’est juste mon moment de détente. J’en ai aussi une à la maison mais je m’en sers presque jamais, c’est pas pareil.” Comme une bière au fond du frigo.

“J’aime pas vraiment les chichas, par contre j’aime le Chichacho. C’est chelou ?”

Après avoir traversé la Plaine, dans une petite rue du Cours Ju, c’est le Chichacho. Derrière la discrète façade, un jardin tamisé, des tapis orientaux et des banquettes bien basses, sans oublier un accompagnement musical avec l’oud d’Anouar Brahem. Il s’agit d’un lieu bien connu des amateurs de chicha, mais pas que : le Chichacho serait même dans quelques guides touristiques. La preuve : devant, on y parle anglais. Sophie, la locale de l’étape, reçoit deux amies britanniques. Et plutôt que de leur décrire le quartier en long en large et en travers, elle les a directement embarquées ici. Sa gamme de tabac, c’est plutôt Camel essentiel, et d’ailleurs elles sont devant pour la pause clope. “J’aime pas vraiment les chichas, par contre j’aime le Chichacho. C’est chelou ?”. Elle n’a pas l’air d’être la seule en tout cas : une table sur deux ne consomme que des boissons. Ici, le thé est à la menthe, le café est à la cardamome, turc ou classique. Toujours pas d’alcool, toujours pas un souci malgré l’horaire de l’apéro : “On ira boire des coups après, ici on vient pas pour ça. Je voulais juste leur montrer un exemple de certains bons côtés de Marseille”. Dans le jardin, on trouve régulièrement un arc-en-ciel bien marseillais allant du bobo au lascar, un dédain global de la gentrification dans les discussions.

Je suis venue avec des amis, danser, rigoler, m’amuser quoi. C’est pas ça sortir pour toi ?

Rue Saint-Michel, c’est deux pas plus loin et c’est une chicha deux mondes plus loin. Le Medellin, référence aux Narcos, a changé de nom il y a quelques années, après s’être appelé à l’ouverture Le temple du temps, référence à Dragon Ball. L’établissement profite comme d’autres sur la rue d’une terrasse temporaire, et ce soir on s’y presse. Les nombreux deux-roues garés à l’arrache sur un trottoir déjà galère pour une poussette, et les ventilateurs à fond, trahissent un établissement blindé. Ici, on vient pour sortir, faire la fête, pour de vrai. Sophia, tenue et maquillage pimpés, cocktail sans alcool à la main décrit sa soirée : “Je suis venue avec des amis, danser, rigoler, m’amuser quoi. C’est pas ça sortir pour toi ?”. Ils sont venus en voiture, de Saint-Just, avec un plan tactique pour aller récupérer tout le monde de la Rose jusqu’aux Chartreux. Composition d’équipe de ce soir pour elle : trois filles, deux mecs. L’un d’entre eux surveille du coin de l’œil la discussion, mais Sophia lui dit que tout va bien. “C’est mon pote il est protecteur, on est venus passer une bonne soirée et il surveille que j’aille bien c’est normal”. Les premières notes soviético-phocéennes de Petrouchka feront abandonner la discussion à Sophia, qui démontre clairement avec ses copines sur le dancefloor qu’elles sont venues pour s’amuser.

Chichas clandestines

15/20 minutes de marche et c’est la dernière étape, plus confidentielle car moins légale. Pas vraiment de nom d’ailleurs, mais une façade au miroir sans tain, à l’isolation phonique moyenne. Les allers-retours entre l’intérieur et la rue sont accompagnés de nuages de fumée et de basses trop fortes qui font vibrer la porte. À l’intérieur, il n’est qu’une heure du matin mais la fête est bien avancée. Il fait chaud, et si les mecs n’ont visiblement pas l’intention de lâcher les vestes, les filles se sont mises à l’aise. La musique passe par YouTube, mais elle est diffusée sur quatre écrans.

L’équipe est déchainée, tous sont appelés par leurs prénoms, les chichas et les verres sortent depuis le fond de la salle. Une porte magique s’ouvre, livrant chichas, Vodka-Redbull, mojitos et gaz hilarant. L’une des serveuses ne veut pas lâcher son prénom, mais elle veut bien se moquer de sa copine, une habituée qui est un des rares électrons libres entre les groupes, alternant les discussions et les danses, un verre dans chaque main. “Elle a pas le temps clairement” Tant bien que mal par-dessus le son clairement trop fort elle explique l’ambiance de son lieu de travail “Souvent c’est des mecs qui amènent leurs copines, ils peuvent choisir la musique, se mettre bien. Ils sont dragueurs mais avec les filles avec qui ils viennent, rarement avec moi.”. Elle non plus n’a pas le temps, elle est déjà appelée par une autre table. Pour un gros pourboire, elle revient donc avec un grand sourire. “Les mecs sont souvent là pour faire briller, ils viennent avec de jolies voitures et avec pas mal d’argent dans la poche. Du coup, ça a ses bons côtés”.

Commentaires

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  1. vékiya vékiya

    je pensais que l’interdiction du tabac était la règle dans les lieux publics ? pour ma part je préfère le bistrot. chacun son truc

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  2. Patafanari Patafanari

    Le dernier endroit a l’air sympathique.
    Moins d’accros aux boissons sucrées et pas la peine d’apporter sa flasque de whisky .

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  3. Pussaloreille Pussaloreille

    Merci pour ce petit reportage qui éclaire un peu le mystère de ces innombrables devantures !

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