Le red red de Véronica
Depuis plus de 20 ans, Malika Moine croque la vie en (dé)peignant l'actualité plus ou moins brûlante de Marseille et d'ailleurs. Pour Marsactu, elle va à la rencontre des gens dans leur cuisine. Elle en fait des histoires de goût tout en couleurs. Aujourd'hui, elle retrouve une vieille connaissance originaire du Ghana.
Dessin Malika Moine.
J’ai connu Véronica à Sol en Si, la meilleure crèche du monde qui accueillait nos enfants. Ainsi, pendant quelques années, on se croisait quotidiennement et la bonne humeur de Véronica faisait toujours chaud au cœur. Puis les enfants ont grandi et on s’est perdues de vue. Lorsque je l’ai appelée pour lui proposer une chronique, elle a immédiatement acceptée et m’a proposé la recette du red red, une spécialité que cuisinent les Ewes et les Fantses au Ghana, un plat de haricots « black eyes peas », accompagné de bananes plantain. Ce sera aussi l’occasion de se retrouver pour les enfants.
La famille habite depuis six ans un immeuble des années 60 entre Saint-Just et Malpassé. Dorothy qui a presque 9 ans et Gideon et Gibeon -les jumeaux que j’ai quitté bébés et qui préfèrent désormais être nommés par leur deuxième prénom, Jessie et Jude, viennent nous accueillir. Alberta, la copine de mon fils Ellia se cache, intimidée. Véronica prépare une infusion de thym et appelle les filles pour cuisiner mais les enfants sont occupés à refaire connaissance…
Elle raconte : “Je viens de la Central Region du Ghana. J’ai une famille nombreuse, on est huit enfants côté père et six côté mère. Même père même mère, je n’ai qu’une sœur. Ma mère était commerçante, elle n’était pas à la maison et me donnait des consignes pour cuisiner pour moi et ma petite sœur. J’avais cinq-six ans, il n’y avait pas de blender, on mixait les choses en râpant avec la pierre. À huit ans, mon père a décidé que j’irais chez sa tante dans le Centre.” Véronica l’appelle sa “grand-mère”. Elle poursuit, avec circonspection, en choisissant ses mots. “Je peux pas dire que c’était triste parce que ça m’a construit, ça m’a aidé quand je suis venue en France plus tard, mais elle était sévère, gentille mais sévère. Je suis restée chez elle jusqu’à 16, 17 ans.”
Véronica s’interrompt pour appeler une fois encore les filles pour couper les oignons. J’appelle aussi Ellia. La cuisine est trop exigüe pour y travailler, les enfants s’installent autour de la grande table de la salle à manger.
Recette du Red Red pour 10-12 personnes :– 1kg de haricots « black eyes peas » à faire tremper la veille et cuire préalablement à l’eau pendant 1h30 environ (arrêter dès que les haricots sont tendres)
– 5 oignons de taille moyenne
– 5 branches de cèleri
– un gros morceau de gingembre -bio pour garder la peau
– 4 gousses d’ail
– des tomates fraîches et un peu de concentré ou de la purée de tomates quand ce n’est plus la saison
– un mélange de baies de poivre
– de l’huile de palme -ou d’olive
– 1 c à c de thym
– 1 c à c de graines d’anis
– 2 c à c de graines de fenouil
– 1 c à c de cumin
– du sel
– du piment pour ceux qui aiment
– 1 botte de persil
– une grosse boîte de thon « -mais c’est exceptionnel car il y a des protéines dans les haricots ! »
– 9 bananes plantain
– huile de tournesol
– Togo Gari : « semoule » de manioc
Véronica donne à Ellia les instructions pour couper les oignons en petits carrés tandis qu’Alberta coupe en dés le cèleri. Elle parle aux enfants en anglais depuis peu. Ils comprennent davantage le fantse. Jerry, son mari, parle le twi. Les enfants comprennent les deux langues, mais les parlent peu.
Ellia a fini de couper les oignons la larme à l’œil en omettant d’en laisser un à faire revenir. Tant pis (ou tant mieux), il y en aura un de plus dans le plat. Il coupe à présent le gingembre en petits bouts, puis l’ail en grosses rondelles sous les yeux ébahis de Jude qui me dit “les filles cuisinent et le garçons regardent !”. Eh non, la preuve !
Véronica met tous les petits bouts dans le blender, ajoute les épices. Mais elle garde le persil, “la touche provençale de la recette” pour la fin. Je la suis dans la cuisine pour brancher le blender qui tourne jusqu’à ce que le tout devienne une purée. La cuisinière apporte aux petites main d’Ellia les plantains. Il les coupe en diagonale, un peu épaisses “pour qu’elles ne prennent pas trop l’huile”.
Pendant ce temps, je rejoins Véronica à la cuisine. Elle fait chauffer une bonne quantité d’huile de palme dans un grand faitout. Elle y coupe le sixième oignon en rondelles pour le faire revenir. Dorothy apporte un rehausseur pour pouvoir touiller l’oignon. Véronica rajoute la boîte de purée de tomates et Alberta prend le relais pour tourner la sauce. Au bout d’un bon moment, Véronica ajoute la purée du blender. Elle rince le récipient et met l’eau dans la marmite. La sauce mijote encore 20 minutes en remuant, le temps de poursuivre son récit.
“Ma grand-mère m’a appris à faire à manger, les beignets, les pâtisseries, les donuts -avec et sans beurre. Je les vendais sur la plage après l’école à Anamabo. À 15 ans je suis devenue interne au lycée et à 17 ans, je suis allée vivre chez mon père et ma belle-mère à Cape Coast. Je n’avais pas de problèmes avec ma belle-mère mais sa grande fille m’a fait vivre l’enfer. J’ai passé le bac à Assin Manso, la ville où il y avait antan le marché aux esclaves. C’est là-bas qu’ils prenaient leur dernier bain. Ma fille a fait un exposé sur l’esclavage et m’a posé des questions.” Je lui recommande le dernier livre de Timothée de Fombelle, Alma, le vent se lève dont j’attends impatiemment la sortie du second tome.
“Vers 20 ans j’ai été vivre chez ma sœur à Accra [la capitale, nldr]. On allait chercher des piments chez les fermiers et on les distribuait aux marchands dans les marchés. Au bout d’un an ou deux, j’ai repris mes études pour apprendre le commerce à Polytechnique. Après deux ans, j’ai rejoint une autre de mes sœurs à Paris. Je n’ai pas trouvé de travail et j’ai fait des petits boulots comme aide-domicile et des ménages, en habitant ici et là chez des amis africains. Une copine m’a présenté Jerry qui était enduiseur et vivait à Marseille. Je l’ai suivi et ça fait 11 ans qu’on est ensemble. J’ai travaillé comme femme de chambre dans un hôtel et maintenant, je suis aide à domicile chez des gens, jamais les mêmes… Je suis en France depuis 18 ans et depuis trois ans, on a une carte de séjour de 10 ans. Nous aimerions demander la nationalité française mais on nous a dit que c’était trop tôt… Les enfants ont la nationalité ghanéenne, ils pourront faire la demande de nationalité française à 13 ans.”
Elle ajoute le thon, sale un peu la sauce qui continue à mijoter sur le feu moyen pendant cinq minutes, tandis qu’une poêle la remplace sur le grand feu, pour y faire dorer les plantains. Elle y verse une belle épaisseur d’huile de tournesol. En attendant que l’huile soit bien chaude, Véronica met le persil ciselé qui sort du congélateur dans la sauce. Tantôt sur un plat, tantôt sur l’autre, elle place dans la poêle bouillante les plantains côte à côte, et verse les haricots « black eyes » dans la sauce en tournant bien avant de couvrir à feu doux.
C’est le bon moment de retourner les plantains qui ont pris une magnifique couleur dorée en emplissant la pièce d’une douce odeur sucrée. Elle place sur une assiette du sopalin pour y mettre les bananes quand elles seront cuites et qu’une autre poêlée remplacera la première… Il est bientôt l’heure de déguster tout cela, les enfants sont invités à mettre la table, interrompus dans une partie de cache à cache hilarante qui les amène à se planquer parfois derrière moi dans la cuisine.
À ma grande joie, Véronica sort du placard un paquet de « Togo Gari », une sorte de semoule de manioc semblable au couac brésilien.
On s’attable devant de magnifiques assiettes colorées de haricots sauce et de plantains dorées. Je saupoudre sur les haricots du Togo gari et c’est parti ! De temps en temps, Véronica retourne dans la cuisine chercher une nouvelle assiettée de plantain dont tout le monde raffole. Les haricots sont mœlleux et parfumés, et le mélange sucré-salé est excellent. Certains et certaines mangent avec les doigts, d’autres avec des fourchettes, tous et toutes se régalent, même si les grandes assiettes sont dures à finir. Merveilleux et délicieux moment de partage et de retrouvailles.
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Si un événement est organisé par Marsactu au Printemps j’espère pouvoir me délecter de ce plat . Banane plantain top! Le foutou est un délice aussi
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