[Entre les lignes| Le quartier, c’est le bled !?
Auteur, slameur, Mbaé Tahamida Soly est l'un des fondateurs de la sound musical school B Vice à la Savine. Voyageur sans permis, il utilise au quotidien les transports publics. Ils lui offrent la matière de portraits de voyageur, écrits comme des saynètes et postés sur les réseaux sociaux. Pour Marsactu, il en fait une chronique à lire entre les lignes.
Dessin par Ben8
Assis côté fenêtre à l’avant-dernier rang de mon bus en direction de la cité, 🚍 je prends mon mal en patience comme tout le monde. J’en profite pour essayer d’écrire une nouvelle chronique mais les mots ne viennent pas. 🖊️ Des passagers se battent avec les fenêtres pour laisser entrer un peu d’air. Pas de moteur, pas de clim n’est-ce pas ? 🥵 Notre fusée aurait dû décoller depuis deux minutes, mais toujours aucun pilote en vue.
👨✈️ Derrière moi deux jeunes d’une quinzaine d’années discutent boulot :
– Ils t’ont appelé au haz aussi, le sang ?
– Oui. ils ont besoin de quelqu’un cet après-midi et peut-être ce soir…
– Combien ils te paient ?
– 60 euros
– Ça va, c’est correc. La prochaine fois, négocie plus, le sang. Surtout pour le soir…
– Ils te mettent où ? En haut ou en bas ?
– En haut comme la dernière fois…
– Moi je veux qu’ils me mettent avec vous. Sur ma vie, rien que des stressés, en bas. Rien que ça crie arrah pour rien. 😱
– Ouais, t’as vu ? Des flippés de la vie. 🤣
Sur ma gauche, je regarde par la fenêtre et qui vois-je ? Notre chauffeur désiré en personne, en pleine conversation avec un collègue. 🗣️
Trois minutes de retard. ⌛
Notre conducteur s’en fout royalement. (Sur le réseau RTM, on modernise panneaux d’affichages, bornes de pointage, on remplace les escalators datant de Gaston Defferre mais hélas, on garde les mêmes chauffeurs 🤣). Lorsque le digne représentant de ces derniers arrive, il rentre dans sa cabine sans un mot d’excuse ni bonjour et allume son moteur. Il le fait ronronner sur place pendant un petit moment.
Sept minutes de retard. ⌛
Ce qui fait l’affaire de quelques passagers à la bourre. Ouf ! On décolle enfin. 🛫
Sur la rangée devant moi un gars d’une cinquantaine d’années rejoint un autre du même âge. Après les formules de politesse et de salutations d’usage, les deux s’engagent dans une conversation animée :
– Alors ? Dis-moi au quartier ça va ? C’est terrible ce qui se passe. Mais qu’est-ce qu’ils ont dans la tête ces jeunes ⁉️
– Ils vivent dans un monde virtuel 🌌
– Moi, je pense que l’État doit faire quelque chose. C’est plus possible
– C’est sûr. Mais qu’est-ce qu’il peut faire ?
– Leur donner des formations, du boulot…
– Du travail bien payé, y en n’a pas
– Avec tous les chômeurs et les pauvres qu’il y a en France, tu prends ce qu’il y a c’est tout
– T’es fou ou quoi ? Ils gagnent plus que toi et moi réunis en charbonnant. Imagine : 120€ par jour. Par mois ça fait…🤔
– Heu… 3 600 ! Mais sans les jours fériés et les congés payés 🤣
– T’imagine ? 3 600€ pour faire le chouf. 😲 Avec ça, c’est sûr que t’as pas envie d’un boulot qui va te casser les reins.⚒️
– Les jeunes aujourd’hui, ils cherchent trop l’argent facile. Pourquoi, nous à l’époque, on s’en sortait sans tomber dedans ? Parce qu’on avait du caractère, on se laissait pas influencer. 💪
– Attention, aujourd’hui, influenceur c’est un métier qui rapporte… 🤣
– Emboucaneur, oui ! À notre époque on disait comme ça. Te laisse pas emboucaner ! 😁 Qu’ils arrêtent d’emboucaner les jeunes avec leurs conneries, eux aussi 😡.
– Oui, on nous disait aussi “Te laisse pas influencer ! Te laisse pas engrainer”. Maintenant si tu influences, tout le monde te suit. 🤣
– On avait les grands frères aussi. Tu te manquais, tu recevais une tarte. Et si tu te
plaignais aux parents, ils te mettaient la raclée🤣
– C’est sûr. T’avais intérêt à filer droit. Aujourd’hui ce sont les parents qui
viennent te frapper parce que tu as engueulé leur enfant. 😪
– Moi je suis arrivé en CM2, après, ils m’ont mis en CPPN, une classe de fadas. Les mecs ils fumaient même en classe. Mais je ne me laissais pas influencer. Vé, je travaille. Je gagne bien ma vie, j’ai une famille.
– Tout le monde n’a pas ton caractère ou ta chance mon vieux.
– Il s’agit pas de chance. Je m’en suis sorti parce que je voulais pas finir mal, ou comme ces gars qui sont à Noailles qui glandent, qui volent, qui font la manche.
– Certains n’ont pas d’autres choix.
– Qu’est-ce qu’ils sont venus faire ici ⁉️ On ne peut pas accueillir tout le monde. Si tu viens et que tu travailles, d’accord ! Mais les autres non. 🚱 Le problème c’est que les gens qui viennent ils n’ont pas de travail. ⚒️
– Il n’y a pas de travail donc ils font du trafic pour se faire des sous. 💰💸 C’est comme au quartier.
– Pourquoi ils ne font pas ça au bled, pourquoi ils viennent ici ?
– Tu ne peux pas les empêcher de venir, ils n’ont rien chez eux, pas d’espoir, même quand le pays est riche. Regarde chez nous en Algérie. 🇩🇿
– C’est sûr, avec les généraux qui tiennent tous les pouvoirs et les finances 💸⚔️
– Si au moins, ils investissent dans le pays. Non, ils envoient tout à l’étranger, ils mettent leurs enfants dans les meilleures écoles avec les élites du monde, passent leurs vacances en Europe, aux USA…
– Pour se soigner aussi ils vont ailleurs ces bâtards.
– Vu l’état des hôpitaux au pays, je les comprends 🤣 Tous des mange-merdes ces gens-là 🤮
– Après, ils se mettent avec ceux qui nous inventent des guerres pour augmenter les prix, pour nous contrôler avec des vaccins. 💉
– Ecoute-moi bien : tous ces gens là-haut, ils pensent pas comme nous. Ils sniffent de la coke, 💊 partouzes et tout.
– Oui, ils ont fait les mêmes écoles, ils mangent ensemble et après zahma, ils font semblant ils se connaissent pas. 😡
– Pourquoi ils sont comme ça ? Pourquoi ils écoutent pas le peuple une fois qu’ils sont élus ? Le pouvoir ça rend vraiment mauvais.😡😪
– C’est un poison. 🦂
– Pire, c’est une drogue. Une fois que tu as goûté, tu veux plus lâcher. Même quand t’en peux plus, même quand tout le monde te déteste. Vé notre président.
– Ton président ! 🤣 Moi si je suis à sa place je prends ma retraite. Et j’irais à la pêche… 🎣
Comme j’aurais aimé les écouter encore et encore. Mais je n’étais vraiment pas en avance. Les deux compères sont descendus au bar en bas de la Savine, sans doute pour aller prendre le B2. Les deux jeunes charbonneurs aussi. (J’aurais tant aimé assister à une joute verbale entre ces quatre-là 🤔😬)
Ce trajet m’aura appris une chose : le quartier, c’est le bled. Après tout, nos politiques n’ont-ils pas une gestion coloniale de nos cités et de nos banlieues ? Y maintenir précarité, misère et insécurité conduit forcément certains à choisir n’importe quelle voie, même la pire, pour s’en sortir. Ça permet en tout cas de faire peser tous les maux de la terre entière sur les serfs indigènes. Et de justifier sa politique sécuritaire. Que des mères y pleurent chaque jour la chair de leur chair semble secondaire.😡😭
Allez, au revoir les amis. Je vais virer complotiste à force de cogiter. (Au moins, j’ai pu écrire ma chronique à temps 😉)
Précision de la rédaction : cette chronique a été écrite avant le décès de Nahel à Nanterre, le mardi 27 juin, et les violences urbaines qui ont suivi.
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