Le Ninjin-Meshi de Yukimi Yamamoto-Heuzey
Le Ninjin-Meshi de Yukimi Yamamoto-Heuzey
J’ai rencontré Yukimi lors du Lourmarin des Carnets, où j’exposais mon travail aux côtés d’une quarantaine de carnettistes venus d’ici et d’ailleurs… Elle a regardé attentivement le sommaire de mon livre sur les restaurants de Marseille, les recettes, et j’ai su qu’elle était gourmande et connaisseuse. Quand j’ai appris qu’elle était marseillaise, j’ai sauté de joie… Yukimi vit dans un grand immeuble qui a poussé drôlement dans les années 70 au milieu de belles bâtisses entourées de jardins ensauvagés à Mazargues. C’est presque le maquis, pas tout à fait la campagne. Du grand balcon qui s’étire le long de son appartement du quatrième étage, on devine les calanques.
Elle me propose une boisson fermentée qu’elle a préparé avec des fruits et des noyaux. Elle sort une bouteille du frigo, non sans m’avertir : “Hier, j’en ai ouvert deux, qui ont éclaboussé toute la cuisine !” Je goûte sans reconnaître les arômes de carotte, pomme, gingembre, curcuma, verveine et citronnelle à la base de ce breuvage désaltérant et un peu acidulé.
Yukimi raconte : “À la maison, ma mère cuisinait le ninjin-meshi, mais sa recette était un peu différente : elle faisait revenir à part les légumes avec la sauce soja, le sucre et les champignons, et les mélangeait ensuite avec le riz, moi, je fais la recette traditionnelle de ma ville natale, Yamanashi, au pied du mont Fuji. Enfant, je cuisinais peu mais je regardais faire les makis que j’adorais. J’étais gourmande et à l’école, je lisais toujours le menu du jour en rêvant…”
La recette du Ninjin-MeshiPour 3 personnes
– 180g de riz rond japonais
– 4 ou 5 shiitakes secs
– Quelques cèpes secs (facultatif)
– 90g de carotte d’ici ou idéalement d’Otsuka
– Abura age (tofu frit)
– 2 c à s de sucre non raffiné
– Tamari
– Saké
– 1 c à s d’hijiki (algues)
– Kombu (algue)
– 1 œuf
– Un peu de sel
– Sésame
– Des feuilles de shiso
Elle met l’hijiki dans l’eau tiède et les shiitakes et les cèpes séchés à tremper dans l’eau chaude. Elle enlève à l’eau chaude l’huile du tofu frit rapporté du Japon, “tu peux en trouver à Paris. Celui de Marseille est plus épais, il vient de Chine”. Elle lave le riz dans la cocotte pour enlever l’amidon, en le brassant énergiquement dans de l’eau purifiée : “Certains le lavent jusqu’à ce que l’eau soit transparente mais c’est long.” Puis, dans la cocotte minute, elle met la même quantité de riz bien égoutté que d’eau tempérée mélangée à part égale avec l’eau de trempage des champignons.
Elle se souvient. “Quand j’étais enfant, ma grand-mère vivait avec nous. Elle faisait du hoto, des nouilles de blé avec des légumes, carottes, radis, choux et surtout du potimarron japonais, vert et plus sucré que celui d’ici…On habitait une vieille maison avec des fours à bois à l’extérieur. Le sol de la cuisine était en terre battue. Ma mère travaillait à mi-temps dans une entreprise électrique et mon père à la mairie. Ils étaient aussi agriculteurs. On avait des rizières, de la vigne convertie plus tard en plantation de kiwis, et un potager pour nourrir la famille et les voisins.”
Ciseler les shiitakés
Avec un geste sûr, élégant et un couteau japonais à large lame, elle coupe en deux puis, en biais et en rythme les carottes – “celles de ma région mesurent entre 60 cm et 1m20 !”. Elle les met dans la cocotte au-dessus du riz. Elle cisèle alors finement les shiitakés, et grossièrement les cèpes, les ajoute dans la cocotte, où le riz gonfle. Elle nettoie un peu l’hijiki, et coupe le tofu frit en lamelles, les met dans la cocotte. Sur le tout, elle pose un kombu d’environ 5 cm, et verse le saké, la sauce soja et le sucre. “Dans la recette traditionnelle, je crois qu’il faut mélanger seulement à part le sucre avec la sauce soja et le saké, et verser sur le reste.” Elle ajoute une petite cuillère de sel et un peu d’huile de colza ou de sésame. Elle visse alors la cocotte et la met à feu vif : “Une fois que ça bout, il faut baisser le feu et laisser cuire, puis reposer 10 minutes, sans ouvrir.”
Avec le reste d’eau de trempage des champignons, Yukimi propose de faire une soupe miso – qui signifie “avec ce que j’ai”. “Traditionnellement, on en mange le matin avec du riz et des œufs ou du poisson grillé.” Elle coupe finement un bout de radis noir et une carotte avec leurs peaux, et les fait cuire dans l’eau des champignons rallongée à l’eau filtrée. “Tu peux y mettre ce que tu veux : tiens, pourquoi pas un bout de blanc de poireaux émincé juste avant la fin de la cuisson avant le wakame ?”
Une odeur délicieuse me chatouille les narines : la cocotte siffle… Yukimi baisse le feu pour 10 minutes montre en main. Coupé dans la largeur et dont elle enlève les graines parce qu’il est gros, elle émince finement le concombre et le mélange avec du Shiokoji -du riz fermenté avec beaucoup de sel et de l’eau- qu’elle a préparé, et du gingembre frais coupé finement. Elle brasse le mélange à la main. Elle sort du frigo le wakame qu’elle dessale à l’eau. Elle l’achète à une Bretonne qui vient de temps en temps à Marseille. Quand elle n’en n’a plus, elle commande au Japon avec ses amies japonaises. “Normalement, je retourne chaque année au Japon, mais ça fait deux ans que je n’y ai pas été. Je suis venue en France à 25 ans, pour perfectionner le chant et la musique. J’ai toujours chanté. Depuis l’âge de 6 ou 7 ans, je m’accompagne au piano et participe à la chorale de l’école. Au collège, je dirigeais la chorale et j’ai choisi un lycée avec une chorale réputée. On travaillait, chaque jour à la pause déjeuner des chants classiques, japonais et occidentaux. On donnait chaque été un concert. J’aimais être sur scène, au théâtre…j’aimais bien être la star !”
La sonnerie l’interrompt. Elle met à feu vif 20 secondes la cocotte pour faire évaporer l’eau et griller le riz, coupe le feu, et oublie le riz 10 minutes. Elle ajoute à la soupe miso un peu de poudre d’anchois et de la pâte miso, et met dans le concombre du vinaigre pour sushis, mélangé à du sucre et un peu de sel.
“J’ai réellement appris à cuisiner avec la maman du chef de chorale”
Elle reprend son récit : “Je suis entrée dans une université de musique à Tokyo. C’est là que j’ai réellement appris à cuisiner avec la maman du chef de chorale, qui m’a un peu adoptée. Après ma maitrise, je suis venue à Paris étudier la musique classique française tandis que mon amoureux partait à Milan, avec sa superbe voix de ténor. C’était la belle époque, on allait voir les uns et les autres, ici et là en France et en Italie. À partir de là, j’ai cuisiné pour les amis. Et j’ai appris l’opéra, la musique baroque… J’ai fait un stage de chant à Lourmarin et je suis tombée amoureuse du village et d’un organisateur… J’ai passé mon diplôme d’État de prof de chant à Aubagne. J’ai rencontré mon mari, qui fait des films sur le monde sous-marin. Ensemble, on a monté une association de protection des océans : « Un Océan de vie ».”
Les 10 minutes sont passées, Yukimi ouvre le couvercle de la cocotte et mélange délicatement pour ne pas écraser les grains de riz. Tout est délicat, presque cérémonieux. Elle met sur la table un tissu traditionnel, le furoshiki, me fait choisir la couleur des baguettes, sort de jolis bols pour y disposer chaque plat. Elle met à chauffer de l’huile de sésame toasté et bat à la baguette un œuf dans la poêle en remuant sans cesse. Elle coupe l’omelette en petits bouts et en parsème les bols emplis de riz, ajoute des lanières de feuilles de shizo qu’elle a cueillies sur le balcon. Elle moud des graines de sésame et émiette des bouts de nori sur le tout.
“Aujourd’hui, je vis en France, je chante, je voyage -un peu moins ces dernières années… Je fais des traductions et des voix off pour les audio-guides des musées ici et des publicités au Japon mais je m’occupe surtout de la diffusion des films de mon mari. Transmettre un message pour protéger la nature ou plutôt la « respecter » est très important. Maintenant, je veux développer le « chant thérapie », un mélange de chorale, relaxation et lâcher prise, qui permet de se recentrer sur soi-même, dans le plaisir et le bonheur, car le bonheur est contagieux, alors, je contamine…”
Yukimi dispose savamment les bols sur la table. On joint les mains et on dit « itadakimas », c’est ainsi que l’on remercie les aliments, ceux qui les ont fait pousser, et la cuisinière. C’est un délice, les saveurs mêlées du riz aux consistances différentes, le miso chaud et parfumé, le condiment de concombre légèrement acidulé, un peu craquant et franchement parfumé… c’est aussi ça, le bonheur !
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