La bonne fée des teufeurs
Alors qu'ils s'engagent dans la rédaction d'un deuxième tome de leur ouvrage référence "Gouverner Marseille", le sociologue Michel Peraldi et le journaliste Michel Samson partagent avec Marsactu des éléments de leurs recherches préparatoires. L'occasion d'une série de portraits écrits à quatre mains, qui remontent les trajectoires personnelles de celles et ceux qui s'engagent dans la vie de la cité. Cette semaine, ils racontent Mélissa Pourcelle, engagée dans la prévention des risques auprès des usagers de drogue.
La bonne fée des teufeurs
Melissa Pourcel n’est pas au sens strict une « militante », son engagement est un emploi. Il est pourtant difficile de ne pas le traiter comme un engagement. Melissa travaille à Plus Belle La Nuit, cette association qui multiplie les activités de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui la « réduction des risques » en matière d’usages de drogues. Sous ce vocabulaire administratif se cache une vraie révolution : ne plus traiter des consommations par la seule répression ou la moralisation des conduites, mais en travaillant à informer les consommateurs et en les aidant à se responsabiliser sur les prises de risque.
Concrètement, Melissa et les autres salariés et bénévoles de PBLN sont de toutes les teufs, des plus officielles, comme les festivals, au plus discrètes. Sur des stands, en balade ou comme ils disent « en maraude » dans les quartiers festifs, ils distribuent des préservatifs, des « roule ta paille », des ethylotests, écoutent ceux qui ont envie de parler, conseillent et orientent qui demande à l’être.
Melissa aura trente ans cette année, une mère infirmière dans l’Aveyron et une vocation inébranlable à « faire éduc ». Elle réussi le concours d’entrée à l’école d’éducateurs spécialisés de Tourcoing, y part sans état d’âme passer son diplôme, poursuit à Lille un master en sociologie, spécialisé en «développement social ».
“J’ai adoré le boulot, les postures”
Un premier stage dans un CAARUD, un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, décide de sa vocation. « Je voulais bosser avec des personnes en situation de précarité et là j’ai adoré le boulot, les postures, la manière de considérer les usages de produits. » Après le master elle passe deux ans au Maroc en service civique. Puis retour en France où elle trouve un emploi dans un centre d’hébergement, à Montreuil. “Un lieu et une expérience formidable, où les usagers de drogue sont accueillis avec un projet personnel même minimal pour sortir de la rue, comme celui d’initier un traitement ou refaire ses papiers d’identité lorsqu’on les a perdus. Le centre était géré en co-responsabilité avec les usagers, pas de veilleur de nuit, c’était génial ». Là, elle croise le directeur du Bus 31/32, ils cherchent quelqu’un pour Plus Belle La Nuit qui va prendre de l’expansion après avoir signé un contrat de quatre ans avec l’ARS.
« Ça me disait bien de venir à Marseille, le projet m’intéressait, mais si ça avait été à Strasbourg, je ne suis pas sûr que j’aurais tout lâché comme ça, en une semaine ». Melissa vit à Marseille depuis maintenant trois ans et demi, habite à peu de distance de son boulot du côté de la Corderie, et fréquente le centre, forcément. Elle pourrait sans aucun doute reprendre à son compte ce qui est une devise de PBLN : « C’est parce que nous aimons la fête que nous sommes engagés dans le milieu festif ». Dans l’action que décrit Melissa s’esquisse alors une figure singulière, celle du teufeur responsable, « celui qui ramène tout le monde après la soirée très arrosée, celui qui rassure après un bad trip. »
L’action de Plus Belle La Nuit repose sur eux, bénévoles pour tenir un stand, personnel régulier qui font les tournées des quartiers centraux sac au dos, ou les « maraudes », expédition à deux dans les points chauds, même les plus discrets. Toute une géographie de la teuf s’entrevoit alors, des lieux les plus officiels comme Les Docks des Suds, la Friche, les boîtes, pubs, bars de la Plaine, dont certains ont accepté de distribuer eux-mêmes lesdits « matériels de réduction des risques », et mis leur personnel en formation sur le sujet, obtenant un «label » PBLN.
Du temps de l’hostilité policière
Aujourd’hui PBLN est un maillon dans un dispositif d’associations qui couvrent, ensemble ou séparés jusqu’aux fêtes cachées dans des squats à Saint-Marcel, où, comme à la grande époque des raves, dans la Crau ou la Camargue. C’est dans ces raves que tout commence, au début des années 2000, lorsqu’un certains nombres d’acteurs de santé, mesure que la violence répressive, l’hostilité policière, domine le rapport des institutions à ces fêtes.
Des associations engagées de longue date dans la prévention comme Asud, le Tipi, soutenues par l’AMPT (Association Marseillaise de Prévention de la Toxicomanie) et l’ARS, décident d’organiser une présence informative et assistancielle dans les fêtes. PBLN est issue de ce mouvement. L’enjeu peut paraître anodin, l’action superficielle, il se joue là pourtant un renversement assez fondamental en matière de consommations psychotropiques et de « conduites dites à risque ».
Comme l’explique clairement Melissa, on va vers les consommateurs en évitant tout jugement de valeur, toute moralisation, à la fois pour passer les barrières morales (« ils vont pas encore nous saouler avec leurs histoires de drogue ») mais surtout parce que, les consommateurs eux-mêmes « savent souvent ce qu’ils font », et la prévention passe par l’autonomie et la responsabilisation plutôt que par la culpabilité.
En une période d’extension avérée et de banalisation des consommations psychotropiques (alcool compris) l’urgence est à comprendre que les seuls horizons de l’abstinence et de la répression ne sont plus de mise et qu’il faut inventer un autre rapport social, institutionnel, aux drogues. C’est ce travail que commencent à leur pied, les bénévoles de Plus Belle la Nuit. Ce sont aussi de toutes ces choses que l’on discute dans l’autre engagement de Melissa, qui organise cette année la « Quinzaine Stupéfiante ». Un colloque, des séminaires réunissant professionnels, usagers, grand public, sur les lieux mêmes des festivités pour y réfléchir ensemble.
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Désolé, deux coquilles ont échappé à la sagacité des écriveurs, lecteurs et relecteurs, donc en place de Plus Belle La Vie il faut lire bien sûr Plus Belle la Nuit !
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