La bolognaise de la grand-mère de Laurent
Depuis plus de 20 ans, Malika Moine croque la vie en (dé)peignant l'actualité plus ou moins brûlante de Marseille et d'ailleurs. Au long cours, elle s'intéresse aussi aux lieux où l'on boit, mange et danse parfois. Pour Marsactu, elle va à la rencontre des gens dans leur cuisine. Elle en fait des histoires de goût tout en couleurs.
Dessin de Malika Moine.
J’aurais été tentée de nommer cette chronique “la bolognaise de la grand-mère de droite de Laurent”. Mais cela aurait d’une part laissé supposer que sa deuxième grand-mère était de gauche, et même que la première ait été de droite… Or, cela n’a pas vraiment été le cas – même si Laurent, rencontré lors d’un pique-nique de l’école organisé pendant une manifestation, me l’avait laissé entendre lorsque j’ai lancé à la cantonade que j’aimerais bien chroniquer quelqu’un de droite…
Toutefois, je n’en veux point à Laurent car sa grand-mère, si elle n’était ni à droite, ni à gauche, était, c’est sûr, une merveilleuse cuisinière, tout comme son autre grand-mère, d’ailleurs… Sans compter que l’une et l’autre ont transmis à leur petit-fils la gourmandise et l’amour de la cuisine.
Du côté maternel, le grand-père de Laurent venait du Piémont et sa grand-mère de Naples, et “ils vivaient ici”. Laurent désigne le sol, la maison. Au rez-de-chaussée de cette maison à un étage de la rue Boscary, entre les cinq Avenues et Saint-Barnabé, les arrière grands-parents de Laurent entreposaient le charbon qu’ils vendaient rue Boisson. Du côté paternel, ils étaient originaires de Toscane. Son grand-père travaillait dans la ferraille, avec les chantiers navals, et sa grand-mère était couturière. Quand le papa de Laurent est né, ils sont allés s’installer à Gémenos.
C’est là-bas que Laurent a grandi. Sa grand-mère vivait au rez-de-chaussée, et il vivait avec ses parents au premier. Quand les bonnes odeurs de ragoût de tendrons de veau, de mijoté de favouilles ou de cette fameuse bolognaise, montaient jusqu’au premier, Laurent allait voir, soulevait les couvercles des cocottes, goûtait… et chaque jour en revenant de l’école, il allait piquer des cébettes dans le frigo, pour les manger avec du sel… “le bonheur !”. Laurent a sorti un bouillon qu’il a préparé la veille, même si sa grand-mère utilisait un bouillon cube, en tous cas à l’époque où Laurent la regardait faire… “mais les recettes, c’est fait pour évoluer !”
Il nous livre sa recette de bouillon : Dans un fait-tout il met un oignon, du céleri, un poireau, un demi navet, des carottes, trois clous de girofle, du laurier, du thym, du romarin et un morceau de bœuf assez gras, de celui que l’on met dans un pot-au-feu, et dont il a oublié le nom. Il l’a laissé mijoter plusieurs heures dans l’eau avant de laisser refroidir une nuit sur le balcon. Il dégraisse le bouillon ce matin, en en laissant quand même un peu.
Puis, il prépare la viande hachée, au regret de l’avoir acheté au supermarché, “j’aurai préféré aller chez le boucher, comme ma grand-mère, hélas, hier, lundi, les boucheries étaient fermées”. Il mélange et malaxe le steak haché, la chair à saucisse et le veau (un peu plus de veau et de bœuf que de cochon). “L’idée, c’est de retrouver le même goût, c’est ma madeleine de Proust. Je n’ai pas de recette écrite mais je me souviens du goût. J’en suis qu’à la moitié de ma vie, j’ai encore une autre moitié pour le retrouver…”
Il se souvient qu’il accompagnait sa grand-mère maternelle à l’ouverture des magasins le matin. “Après, elle ne quittait plus la cuisine jusqu’au repas qu’on engloutissait en un quart d’heure. Elle faisait tout : la pâte et la farce des raviolis, la soupe au pistou -que fait aussi ma mère (d’ailleurs, c’est la meilleure du monde). Ma tante était aussi très bonne cuisinière”.
Mais il arrivait souvent trop tard chez elle pour la regarder cuisiner… il ne faisait que goûter. Il raconte avec délice sa bouillabaisse et “les petits oiseaux, ceux que tu n’as pas du tout le droit de manger et qu’un chasseur lui rapportait. La grand-mère paternelle quant à elle, commandait chez son boucher la pintade farcie aux olives noires -les olives noires étant… des petits oiseaux. C’est pas bien, hein !”. De sa tante, il a récupéré des livres de cuisine qui ne sont pas loin. Certains sont annotés, ont des repères, on voit qu’ils ont beaucoup servi, on dirait de vieux grimoires de sorcier ou de sorcière…
Laurent qui est musicien, compare plutôt la cuisine à la musique. “Les ingrédients, c’est comme les 12 notes du musicien” et il préfère aux partitions des livres de cuisine l’improvisation : “j’adore me laisser guider par ce qui vient, à un moment, j’improvise, ça se fait naturellement, sans me poser de questions, je me laisse guider par l’instinct, et tout sert, se transforme”.
Il faut quand même dire que Laurent a sorti deux cocottes, dont une lui vient de sa grand-mère maternelle et doit avoir un siècle… “Je ne sais pas faire à manger pour peu et d’ailleurs, c’est aussi long d’en faire un peu que d’en faire beaucoup, alors, on en mangera ensemble, je ferai aussi une bouffe avec des amis et je congèlerai le reste…”
Il coupe donc deux oignons, en deux, puis, en lamelles assez épaisses qu’il coupe à nouveau dans l’autre sens, de manière à obtenir des petits bouts. Il m’a prévenu “ma grand-mère ne faisait pas revenir les oignons, elle les ajoutait à la viande rissolée”.
Dans chacune des cocottes, il fait revenir 2 grosse têtes d’ail dégermées e t
passées au presse-ail, puis, la viande hachée, à feu vif. Il ajoute assez rapidement
les oignons, puis le bouillon à mi-hauteur de la préparation.
“Ma grand-mère prenait toujours des tomates pendelottes qu’elle découpait au couteau dans leur boîte quand j’étais petit. Avant, elle faisait sans doute elle-même ses conserves mais ça, j’ai pas connu…” Il n’a pas trouvé de pendelottes au supermarché, alors il a pris des boîtes de pulpes de tomate. Il verse 5 boîtes de 300 grammes dans chaque cocotte et rince les boites avec un peu d’eau versée dans les cocottes.
Les condiments– du laurier qui vient de l’arbre de sa grand-mère à Gémenos.
– un petit bouquet de thym.
– de la fleur de sel de Guérande.
– au moins 15 tours de moulin à poivre.
– 2 clous de girofle (sa grand-mère les piquait dans une moitié d’oignon mais
Laurent préfère les laisser en liberté dans la sauce, « pour la surprise de celui qui
tombe dessus).
– 1 baie de genièvre.
– 1 bouquet de persil frisé, haché.
Laurent goûte, rajoute du sel et un brin de thym, avant de laisser mijoter trois heures à couvert et à feu très doux. Ensuite, il faudra laisser réduire à feu un peu plus fort pendant demi-heure, en surveillant et en touillant pour que ça n’accroche pas trop. C’est alors qu’il faut généreusement arroser d’une rasade ou même plus (presque 15 cl) de rosé. “Ma grand-mère, glisse malicieusement Laurent, disait que le rouge dans la sauce se voyait trop, mais je crois que c’était parce qu’elle n’aimait ni le rouge, ni le blanc, et il n’y avait pas un repas sans rosé, mais jamais sans qu’elle ne le coupe avec de l’eau…”
Il faut alors faire évaporer l’alcool à feu vif et laisser à nouveau mijoter à feu moyen, tout en mélangeant de temps en temps. “Je n’aime pas l’idée de garder les secrets de cuisine et ça aurait fait super plaisir à ma grand-mère que je transmette sa recette !”
Si c’est l’heure de l’apéro, il faut couper le feu et laisser refroidir, ça n’en sera que
meilleur si c’est réchauffé ensuite, le temps de faire cuire les spaghettis et de râper le
parmesan…
Avant de partir pour la journée -je reviendrai ce soir goûter- Laurent raconte une bien jolie histoire qui commence pourtant très mal. Sa grand-mère, s’est fait écraser par un tram à l’Estaque quand elle avait 20 ans. Elle s’est retrouvée à la clinique du village et le médecin qui l’a reçue la trouva si mal en point qu’il refusa de la transporter à Marseille et décida de l’opérer sur place. Il lui sauva la vie et ne se fit pas payer. Elle n’aurait pas dû avoir d’enfant car son bassin était très abîmé mais elle eut un fils, le futur papa de Laurent. Quand des années plus tard, Laurent présente la future maman de son fils à ses parents, ils découvrent que c’est la petite fille de ce fameux médecin de l’Estaque…
Ce soir, l’arrière petit-fils commun au médecin et à la couturière qu’il a sauvé, mangera les spaghettis à la bolognaise de sa grand-mère, préparés par son papa. Et chouette, j’en serai !
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