[Histoires d’ateliers] Chez Vincent Tavernier
Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, pour raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.
L'atelier de Vincent Tavernier, croqué par Malika Moine.
Depuis quelques années, je passe devant l’atelier de Vincent Tavernier, au cœur du quartier de la Plaine et ma timidité – qui n’est pas du tout proverbiale – m’empêche de rentrer. De l’autre côté de la devanture, une presse et sur les murs, des gravures : visages bruts et contrastés, animaux étranges. Parfois semblables à des dessins enfantins, les images, expressionnistes, sont fortes et touchantes.
Un jour, je franchis le pas et suis accueillie chaleureusement. Mais j’ai laissé l’eau couler sous les ponts sans revenir. Heureusement, cette chronique m’amène à passer de nouveau la porte de l’atelier.
Galerie de personnages bienveillants
Vincent raconte comment le hasard l’a porté vers la rue des Trois-Rois : “J’étais dans un atelier galerie rue Breteuil et j’ai cherché un atelier dans un quartier plus vivant. J’ai eu un coup de cœur pour la pierre apparente dans l’inter-étage.” L’atelier n’est pas très grand mais il y a une mezzanine. En bas, trônent la presse, la table d’encrage et les outils. Sur les murs de petites gravures, personnages vivants, souvent colorés peuplent la pièce comme des amis bienveillants. “Je travaille les portes ouvertes. J’ai de la chance, les gens du quartier et des artistes, des étudiants, viennent me voir. Ça me permet de faire du lien et d’aider des gens. C’est un lieu de partage, j’aime les rencontres et il y a tant de gens de milieux différents que je pourrais faire une étude sociologique !”, sourit l’artiste graveur. J’imagine que ce n’est pas toujours facile de se concentrer lorsque plongé dans un travail, on est interrompu par quelqu’un qui entre, plein de curiosité et de questions. Comme pour corroborer mes réflexions, un monsieur entre. Il cherche un stage de sérigraphie. Vincent l’aiguille vers l’atelier Altiplano, non sans taper la discussion…
Lorsqu’on monte les escaliers, une table nue constitue l’unique mobilier. Un petit chauffage soufflant fait remonter la température pour le moins fraîche en contrebas. “Ici, dans la partie propre de l’atelier, je fais mes encadrements et l’administratif. J’invite aussi des artistes, en résidence et à exposer. C’est contraignant de partager sur le long terme un atelier. C’est déjà assez compliqué avec moi-même…” La sensibilité à fleur de peau, Vincent parle autant avec les mains qu’avec le cœur.
Journal intime
Sur les murs, d’autres gravures, de petite taille, ponctuent l’espace. Elles sont à la mesure de l’atelier. Vincent a réalisé à Toulon trois grands tirages exposés. Son travail, qui va à l’essentiel et ne s’embarrasse pas de détails, est très fort, les grands formats puissants. Les petits formats, souvent des portraits poétiques et imaginaires, parfois des montages collés sur du papier japonais, sont aussi saisissants. Je comprends les mots de Vincent qui en parle un peu comme “d’un journal intime”, “d’une thérapie” en quelque sorte. Il souligne : “Parfois, une gravure d’il y a 10 ans colle avec une autre d’aujourd’hui, et si je ne travaille pas en série, une image en appelle une autre. Commercialement les petits tirages se vendent plus facilement, ils sont moins chers.” C’est vrai, cette question économique est fondamentale.
Vincent me raconte les anecdotes, les aventures, les rencontres qui jalonnent sa vie d’artiste et l’ont amené à exposer, vendre ses œuvres, illustrer des livres. Tout est source de joie, les opportunités saisies au vol, les merveilleux hasards qui rendent possible de vivre de son art, “quand tu ne cherches pas et qu’il y a un truc qui tombe…”
L’atelier, j’aurais dû l’appeler « Le bouche-à-oreille » ! Pendant le covid, ça a été très dur, j’étais vraiment angoissé mais après, les gens sont tout de suite revenus.
Vincent Tavernier
De façon régulière aussi, l’enseignement. Il propose des stages d’initiation à la gravure. Il enseigne également dans un collège :“J’interviens comme technicien et après, j’accompagne chacun. Les élèves sont heureux et ça me rend heureux.”
Les ventes de gravures sont “aléatoires mais assez stables depuis 2 ans : en décembre et en juillet, c’est super ! Je commence à être connu”, reprend-il avant d’ajouter : “L’atelier, j’aurais dû l’appeler « Le bouche-à-oreille » ! Pendant le Covid, ça a été très dur, j’étais vraiment angoissé mais après, les gens sont tout de suite revenus.”
Gouges, cutters, bois tendre et encres grasses
J’aimerais revoir ses outils. On descend de la mezzanine et le froid me saisit. Pour faire les tirages de ses gravures sur lino ou sur bois, Vincent utilise une presse taille-douce, un dispositif qui permet d’imprimer des gravures en creux. “Je rehausse le rouleau avec du lino ou du bois pour faire les impressions. J’ai trouvé mon outil et mon trait aux Beaux-Arts en découvrant une gravure sur bois d’Emil Nolde, Le Prophète : une révélation. J’achète ou je trouve du bois dans la rue, suffisamment tendre pour le travailler avec des gouges [outil dont se sert le sculpteur sur bois, ndlr]. Quand un bout de bois saute subitement, c’est l’accident, ça m’intéresse.” Les imprévus ouvrent souvent de nouvelles pistes de travail. Outre les gouges, Vincent se sert de cutters. Pour les impressions, il utilise des encres d’imprimerie grasses apposées avec des rouleaux et des spatules : les trois couleurs primaires et du noir. Il travaille “à la plaque perdue”, encre une première fois en jaune une plaque taillée, fait un ou plusieurs tirages, retravaille sa plaque, encre en rouge, imprime les mêmes tirages, et ainsi de suite jusqu’au noir, du plus clair au plus foncé. Il peut aussi travailler chaque couleur sur des plaques différentes. Le travail sur lino ou sur bois est presque un travail de sculpteur, il mêle l’artisanat, le savoir-faire, à l’art. C’est physique aussi. Vincent n’en parle pas, c’est une évidence.
Ses paroles, comme ses gravures, me touchent. Son travail, comme lui-même, est profondément humain. Il me donne envie de m’initier à cette technique qui m’est étrangère et bouleverserait ma pratique. Je me renseigne, m’imagine venir avec le trac faire un stage dans son bel atelier au printemps…
Si vous passez par la Plaine, arrêtez-vous donc au 6 rue des Trois-Rois, osez pousser la porte, vous ne serez pas déçus. Et pour les veinards qui pourraient se rendre à Roubaix entre le 28 février et le 21 mai, passez donc à la Piscine, un merveilleux musée, où vous pourrez voir son travail à côté de celui de Maillol.
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